Accueil > INTERNATIONAL > Tony Blair veut un troisième mandat

Tony Blair veut un troisième mandat

mardi 5 avril 2005, par nassim

Les élections législatives britanniques auront lieu le 5 mai. Aujourd’hui, avec un jour de retard sur le calendrier prévu par Downing Street en signe de respect à Jean-Paul II, Tony Blair doit solliciter et obtenir de la reine Elisabeth la dissolution de la Chambre des communes.

La campagne électorale, largement entamée, entre dans la dernière ligne droite. Que la date choisie pour le scrutin tienne dans une formule au symbolisme hermétique : 05.05.05, le cinquième jour du cinquième mois de la cinquième année du siècle nouveau, relève du hasard. Le chef du gouvernement se refuse à assumer le rôle d’un Fulcanelli de la politique. Contingent, aussi, le fait que le vote se déroulera la veille du 52e anniversaire du chef de file travailliste, comme si la certitude de la victoire - les sondages concordent depuis des mois - devait être son plus beau cadeau !

Le premier ministre a rendez-vous, dans un mois, avec l’Histoire. Jamais, avant lui, un travailliste n’a obtenu un troisième mandat de gouvernement d’affilée. S’il rallie la majorité des électeurs, le héraut triomphant de la « troisième voie » entrera dans les annales par la statistique. Plus sérieusement, il compte passer à la postérité comme le rénovateur de la gauche britannique et le modernisateur durable, à la suite de lady Thatcher, d’un royaume que les années 70 promettaient à un « déclin inexorable ».

D’anciens ministres déçus du blairisme assurent que Tony Blair est obsédé par sa place dans l’Histoire. Une idée fixe qui aurait déterminé sa décision d’engager le Royaume-Uni aux côtés des Etats-Unis dans la guerre en Irak avec, en arrière-plan le remodelage, par la démocratie, de tout le Proche-Orient. « L’Histoire jugera » du bien-fondé de la guerre, assure le premier ministre qui a toujours justifié l’intervention par l’urgente nécessité de priver Saddam Hussein de terrifiantes « armes de destruction massive ». L’Histoire jugera, assurément. Mais les électeurs d’abord.

Les Britanniques s’opposaient à cette guerre. Sourd à leurs exhortations, Tony Blair arguait d’informations irréfutables sur le danger représenté par l’arsenal irakien. Les « preuves » se sont révélées infondées et les dossiers publiés par le gouvernement pour convaincre le public grossièrement « bidonnés ». Le doute s’est même enraciné sur la « légalité » de l’intervention militaire elle-même. « Blair a engagé le Royaume-Uni dans une aventure servant ses desseins personnels pour créer un Proche-Orient conforme aux intérêts américains. Nous vivons dans un monde plus dangereux » par suite de cette guerre, commente David Clark, un ancien conseiller du gouvernement travailliste.

Cet épisode controversé a plombé le deuxième mandat de Blair. Le premier ministre y a perdu beaucoup de crédibilité et de confiance des électeurs. Pas suffisamment, apparemment, pour perdre les élections. Mais assez pour que sa victoire annoncée lui soit plus chichement comptée qu’en 1997 et en 2001. Les électrices qui, en 1997, avaient été séduites par le New Labour et son chef prennent leurs distances à cause, précisément, de la controverse irakienne. Dans sa circonscription de Sedgefield, dans le nord-est de l’Angleterre, Blair devra affronter, entre autres adversaires, Reg Keys, dont le fils Tom a été tué en Irak et qui ne perd pas une occasion de déclarer que la guerre était « illégale et immorale ». A gauche, nombre d’électeurs traditionnels du Labour remâchent leur rancoeur et menacent de rejoindre les rangs du parti de l’apathie.

Du coup, la participation électorale s’annonce chiche. Elle pourrait ne pas dépasser 50% - contre 59% en 2001 -, selon les instituts d’opinion. Les conséquences de ce désintérêt sont d’ores et déjà évaluées. L’institut de sondages Mori souligne qu’une participation de 78% des électeurs vaudrait au Labour une majorité de 128 sièges aux Communes. Mais, avec 56% seulement de votants, cette majorité serait réduite à 50 sièges. Avec 50% seulement d’électeurs, la marge serait plus étroite.

Outre le spectre de l’Irak qui continue de hanter Downing Street, c’est l’orientation du programme gouvernemental qui dérange les électeurs de gauche tentés par l’abstention. « New Labour a échoué à enrayer la vague des inégalités. Tony Blair réfute même l’idée que ce soit important », déplore David Clark. En outre, une famille sur cinq est surendettée et ne peut faire face aux échéances. Un enfant sur sept vit en dessous du seuil de pauvreté. Et, pour la première fois depuis quinze ans, le revenu moyen des ménages a baissé, l’an dernier, en raison d’une hausse de la pression fiscale. « Le secteur public raillé comme antédiluvien est dévalué au profit du privé », regrette David Clark. Les défenseurs des libertés civiques brocardés comme des attardés. La question de l’immigration n’est discutée que « pour apaiser le racisme, non pour le défier ». Les promesses faites pour la réforme de la Chambre des Lords et le financement des universités sont, régulièrement, abandonnées. La gauche britannique, une partie du moins, ne s’y retrouve pas.

Pourtant, le premier ministre n’entend pas changer d’orientation. « Je comprends pourquoi certains sont en colère », déclarait-il à la mi-février devant les militants travaillistes. « Cela a beaucoup à voir avec moi », reconnaissait-il. Mais « je suis un peu plus âgé, un peu plus sage et j’ai retenu quelques leçons », s’empressait-il d’ajouter, tout soudain consensuel.

La précampagne, initiée depuis trois mois, l’a souvent mis en difficulté. Il a dû renchérir sur les thèmes développés par l’opposition tory - immigration, gens du voyage, sécurité publique, baisses d’impôts - dans la facture populiste sans susciter le regain d’intérêt escompté. Pour l’emporter, Tony Blair annonce l’enracinement du New Labour au centre de l’échiquier politique et promet « la prospérité pour tous ». Il dispose d’un mois pour convaincre.

Par Jacques Duplouich, lefigaro.fr