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Otages français en Irak : Les raisons d’une libération retardée

lundi 6 septembre 2004, par Hassiba

La « Brigade des drapeaux noirs », a demandé au comité des ouléma musulmans de rendre une « fetwa » disant s’il est acceptable ou non, d’après l’islam, d’enlever des étrangers qui travaillent pour les forces d’occupation.

La prière du vendredi n’a pas porté chance aux deux otages français en Irak. Ce qui n’était qu’une histoire d’heures avant l’improbable dénouement ne l’est plus désormais. Le compte à rebours affiche les jours de l’angoisse. A Paris comme à Amman, on se résigne à la prudence à défaut d’empocher dans l’immédiat les gains de la mobilisation du monde arabo-musulman.

Christian Chesnot et Georges Malbrunot se portent toutefois bien, tente de rassurer le Quai d’Orsay mais sans parvenir à convaincre les familles des captifs pour lesquelles l’attente se fait éternelle. Bien que confiantes, les autorités françaises ne desserrent pas les dents. De la Vienne où il était en visite, Jean-Pierre Raffarin s’est voulu rassurant. Les informations en provenance de Baghdad ne sont pas toutes navrantes. Des signes laissent espérer la fin du calvaire des deux reporters dans les jours qui viennent.

Ebullition à la chancellerie de France dans le royaume hachimite où la cellule de crise fait des pieds et des mains pour maintenir contacts et pressions au plus haut niveau. Jusqu’ici ce travail de fourmis n’a pas abouti, le chef de la diplomatie française rentrera bredouille à Paris. Deux semaines de détention par l’Armée islamique en Irak et pas les moindres indices sur le sort des deux journalistes.

Seule la loi sur la laïcité jouerait ce vilain tour aux envoyés spéciaux du Figaro et de RFI ? Des analystes n’en croient pas un mot malgré les menaces proférées par le passé à l’adresse de la France. Le capital sympathie qu’elle comptabilise au Moyen-Orient à propos du conflit arabo-israélien lui suffirait à s’éviter de telles situations. Mais devant les idéologies radicalistes, elle n’est pas pour autant mieux lotie que le reste des démocraties occidentales. Prônant la diplomatie aux délais impartis dans l’affaire irakienne, ses « positions anti-américaines » ne semblent d’aucun secours dans l’actuel épisode. Courroie motrice ou non d’un multilatéralisme à la taille des ambitions européennes, Paris se risque à perdre pied dans le bourbier irakien. Le patron du Quai d’Orsay s’en était allé dans la région avec l’objectif d’expliquer ce qu’est l’identité républicaine de la France et sa vision globale des choses.

Michel Barnier n’aurait-il pas été assez persuasif aux yeux d’une frange de la résistance armée en Irak ? Il était question d’abord de la sécurité des otages post-libération sur laquelle, paraît-il, les chefs de l’armée islamique ne sont pas tombés d’accord. Mais deux semaines après le rapt, l’hypothèse ne tiendrait plus la route. Ce qui aurait retardé la libération des deux reporters, c’est une rumeur révélée pour la première fois à l’opinion française par le président de la Fédération nationale des musulmans de France.

D’après Mohammed Bechari, l’ouï-dire en question se résumerait en accusation grave contre les deux captifs : ils seraient des agents à la solde de certains pays étrangers engagés dans le conflit. Ce qui ouvrirait sur des divergences latentes entre commanditaires de l’enlèvement. Tel est déjà le cas au sein du congrès consultatif des moudjahidine, organe suprême rassemblant tous les groupes armés.

La sympathie de la rue arabo-musulmane

Deux collèges se seraient manifestés dans le « cas » français. Les modérés qui sont contre la prise d’otages et les radicaux favorables à l’exécution pour le fait non avéré : les détenus de l’armée islamique entretiendraient des liens avec des puissances étrangères. Qui sont-elles exactement ? Personne n’en sait plus. Sauf qu’il est possible qu’une force non identifiable ait poussé les ravisseurs sur cette piste, croyant impliquer davantage la France dans le conflit irakien.

Si les choses se précisent en ce sens, l’histoire de l’interdiction du voile islamique dans les écoles françaises deviendrait ainsi un subterfuge sans fondement aucun. Des ténors du PS font porter toutefois le chapeau au gouvernement Raffarin pour n’avoir pas su traduire la loi sur la laïcité. Celle-ci concernerait tous les signes religieux et pas uniquement le foulard islamique. Si l’acharnement contre cette « règle républicaine » ne s’avère qu’un prétexte pour camoufler le châtiment que certains auraient décidé d’infliger à la France, quelle autre motivation des preneurs d’otages ou de leurs mécènes ?

A en croire les nouvelles de Baghdad, beaucoup n’ont toujours pas digéré le fait que Paris reste à l’« écart » du processus de stabilisation politico-sécuritaire en Irak. Certains lui reprochent même d’être trop présent en Afghanistan alors qu’il prend plus d’une distance à l’égard de l’ancienne Mésopotamie. Bien qu’il ait reconnu le gouvernement intérimaire irakien, rien ne va pas plus entre Paris et Baghdad. Le président irakien Ghazi Al Yaouar a reporté son déplacement dans la capitale française tandis que les autres étapes de sa tournée européenne sont maintenues. L’Elysée s’est abstenu de commenter ce report, les déclarations « incendiaires » du Premier ministre Alloui n’ayant pas été du tout du goût de la présidence française. Pour lui, nul n’échappera au terrorisme et même ceux qui croiraient y échapper parce qu’ils s’opposaient à la guerre. Donc à la chute du régime de Saddam. Dans une récente livraison, le quotidien de Ayad Allaoui s’en était pris violemment à Jacques Chirac.

Baghdad-Paris : l’axe de la mésentente ?

Dans un commentaire intitulé « Chirac, n’as-tu pas entendu nos plaintes ? », l’éditorialiste écrit : « Le rapt des journalistes français [...] est l’un des résultats des objections de Chirac à aider le gouvernement [irakien] à rétablir la sécurité intérieure et des non de Chirac chaque fois qu’était présentée au Conseil de sécurité une proposition d’aide internationale à l’Irak. » Le torchon brûlera-t-il davantage entre les deux capitales jusqu’au point du non-retour ? Paris tient bon, le gouvernement Raffarin n’est pas près de revoir la copie de sa loi sur la laïcité, moins encore d’engager des troupes en Irak comme le souhaite l’alliance Bush-Allaoui. Le multilatéralisme dans la gestion des contentieux internationaux demeurera son unique leitmotiv. Sera-t-elle plus sensible aux appels du frère européen espagnol, actuellement président de l’ONU ? Il avait invité en l’occurrence Paris à se joindre au multilatéralisme d’un autre genre : celui de la lutte antiterroriste. La vision du néo-conservatisme américain baptisant l’Irak comme front fondamental pour gagner la guerre contre le terrorisme, la France serait la pièce manquant au puzzle.

Il y a quasiment d’infimes chances pour que les vœux de la « nouvelle Europe » -à rétablir des liens transatlantiques à l’avantage de l’hyper puissance-, s’exaucent à court terme. Paris accédant aux demandes de Madrid, ce serait légitimer l’invasion de l’Irak à laquelle il refusait de prendre part. Mais voici que le meneur en chef du « camp de la paix » se voit entraîner malgré lui dans le bourbier irakien via l’affaire des otages. Ainsi, les orientations politiques internes de la France ne seraient que prétextes. Au-delà de la « provocation » qu’engendrerait le foulard islamique -les radicaux décèlent un affront au monde musulman-, les positions de la France au sujet de d’autres paraphes internationaux n’est pas pour plaire à tout le monde.

A commencer par la dernière offensive franco-américaine à propos de la présidentielle libanaise. L’adoption de la résolution 1559, appelant au respect de la souveraineté du pays du Cèdre et au retrait de toutes les troupes étrangères de son sol, écorcherait quelque peu l’entente cordiale qu’entretient depuis le monde arabo-musulman avec Paris.

L’Armée islamique en Irak verrait-elle dans le geste de la France un quelconque ralliement à la vision américaine hostile au régime d’Al Assad fils pour ses soupçonneux soutiens à la résistance anti-israélienne ? Si le souhait de l’implication de la France dans le conflit irakien se précise, Washington se garde d’aller vite en besogne. Il n’ira pas jusqu’à mettre Damas au banc des accusés comme c’était le cas pour Téhéran quand le gouvernement intérimaire irakien l’accusait de soutenir le radicalisme chiite.

Moyen-Orient, terrain « miné »

L’administration Bush garderait toutefois en tête ce fait que les autorités syriennes ferment les yeux sur le passage de combattants arabes en Irak par sa frontière. Pour l’instant, les néo-conservateurs américains s’abstiennent d’étaler des « jonctions » du genre de celles qui rendraient les choses plus complexes. Bien qu’il ne soit pas attesté que la position française à l’égard de la Syrie ait donné à l’armée islamique en Irak la mauvaise idée de repousser la date de la remise des otages, les « faux » pas de Paris sont suivis à la loupe. Et si en outre Washington parvient à transférer le dossier du nucléaire iranien au Conseil de sécurité pour d’éventuelles sanctions contre Téhéran ? L’Europe ayant fait savoir sa désapprobation de la politique iranienne, la France se verrait dépossédée davantage de sympathie dans le monde arabo-musulman. Et risquerait de payer le prix fort par des actes qui lui seraient plus franchement destinés. Les tenants du radicalisme islamiste craignent que la France ne se joigne finalement corps et âme au projet du Grand Moyen-Orient, rebaptisé « partenariat pour un avenir commun ».

Georges W.Bush, « Monsieur sécurité », est accrédité de 12 points d’avance sur son rival démocrate John Kerry. En tête de la course, il aurait déjà toutes les chances de mener à terme ses projets : la balkanisation du Moyen-Orient au service d’Israël et l’hégémonisation au profit des Etats-Unis.

Par Anis Djaad, La Tribune