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Le Liban, une autre étape des mutations politiques au Moyen-Orient

mardi 1er mars 2005, par Hassiba

Le projet du Grand Moyen-Orient est inspiré par les dynamiques de changements internes dans les pays arabes et non une invention des laboratoires américains.

L’Afghanistan et l’Irak n’auraient jamais pu être envahis par les coalisés sous la direction américaine si des conditions subjectives internes dans ces pays n’étaient pas mûres pour accepter une invasion étrangère. La majorité des Afghans et des Irakiens voulaient des changements radicaux sur tous les plans, en premier lieu, des régimes politiques.

Cette volonté de changement était déjà perceptible dans d’autres régions du monde arabo-musulman, bien avant la chute du Mur de Berlin et le déséquilibre des rapports de forces géostratégiques. Au Liban, en 1975, la guerre civile est l’expression tragique d’un besoin de mutations profondes et de libération d’une Constitution basée sur le confessionnalisme et le communautarisme hiérarchisés. Cet ordre a nourri les divisions antagoniques et les affrontements permanents entre différentes confessions et communautés qui ont atteint leur paroxysme lors de la guerre fratricide de 14 ans. En Algérie, les années quatre-vingt ont été ponctuées de mouvements sociaux qui aspiraient à mettre un terme au système du parti unique et à l’économie de la rente qui a approfondi les disparités sociales sous un égalitarisme de façade avant d’alimenter des haines et des fractures sociales ayant généré une tragédie nationale caractérisée par une violence inégalée pendant une dizaine d’années.

En Tunisie, au Maroc, au Soudan, en Jordanie, etc., des mouvements d’émancipation sociale ont été enregistrés pendant les années quatre-vingt et les années quatre-vingt-dix. Là où des soupapes de sécurité ont fonctionné pour permettre une évolution en douceur, comme au Maroc, la violence contenue a été plus ou moins amortie. Mais ailleurs, les développements de ces dynamiques ont été accompagnés soit d’une répression féroce comme en Tunisie, soit de guerres civiles impitoyables comme en Algérie, au Liban et au Soudan, soit d’une intervention étrangère comme en Afghanistan et en Irak. Les accords de Taëf n’ayant pas traité les origines de la crise au Liban, mais uniquement les manifestations, c’est la rue et l’opposition libanaises qui rouvrent la plaie du pays meurtri pour remettre en cause un ordre confessionnel inique exacerbé par une tutelle syrienne bénie par les pays arabes.

Aujourd’hui, les démonstrations de force dont la rue libanaise est le théâtre ne sont que l’expression symbolique d’un ras-le-bol qui nécessite néanmoins un approfondissement allant au-delà des revendications immédiates, à savoir le changement du gouvernement et le retrait syrien. L’assassinat de Hariri n’est que l’étincelle qui a provoqué le brasier sommeillant depuis des dizaines d’années, voire depuis 1925. La menace du confessionnalisme réside essentiellement dans la primauté de l’identité ethnique et religieuse sur l’identité nationale. Cette menace a été perçue dans la crise algérienne dans la mesure où le référent religieux a été plus déterminant dans les groupes islamistes armés que le référent national. Ainsi, l’allégeance de la chi’a libanaise aux grands frères syriens et iraniens a longtemps supplanté l’allégeance à l’étendard du cèdre. L’issue du vote de la motion de censure du Parlement libanais dépend donc de l’attitude du Hezbollah, allié traditionnel de la Syrie, mis en cause par la rue et l’opposition. Manifestement, le Hezbollah adoptera une position de neutralité pour ne pas gêner la Syrie et le gouvernement libanais. Mais l’opposition ne peut s’accommoder d’une telle position au moment où le choix est entre « l’indépendance nationale » et « la suzeraineté ».

Pour sa part, la Syrie qui est sous pression, voire dans le collimateur américain, tente de gagner du temps et tirer profit de ce bras de fer avec l’Occident. Damas sait pertinemment qu’il n’a pas d’autre choix qu’un retrait négocié du Liban. Cependant, il tente d’arracher des garanties à Washington pour, d’une part, assurer la stabilité du régime syrien avec promesse d’engager des réformes institutionnelles, politiques et économiques à moyen terme et, d’autre part, engager des négociations sous le patronage américain pour un retrait israélien du plateau du Golan.

Par Abdelkrim Ghezali, latribune-online.com