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Le Liban au centre de diverses convoitises

mardi 15 février 2005, par Hassiba

La mort, hier, de l’ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri, tué dans un attentat à la voiture piégée, n’a pas manqué dès les premiers instants de refaire planer le doute et la peur d’un retour à l’instabilité dans un pays à peine remis des conséquences de la guerre civile qui l’a ruiné pendant près d’une décennie et demie (1975-1990).

Instabilité d’autant plus que c’est Rafik Hariri, qui incarnait l’un des grands formats des images de reconstruction du Liban. De 1992 à 2004, il a dirigé le gouvernement de son pays qu’il a voulu faire sortir de sa crise économique en multipliant les tentatives d’y amener les investisseurs libanais et étrangers. La mort violente de Hariri a réveillé les douloureux souvenirs des attentats à l’explosif dans ce pays. Citons le cas de Béchir Gemayel, président élu du Liban, tué en 1982, et celui du Premier ministre sunnite Rachid Karamé -comme Hariri- qui a été assassiné en 1987.

Mais, au-delà des tensions politiques internes au Liban et de sa fragile unité nationale, c’est le contexte régional et international qui fait de cet attentat un événement qui peut s’avérer plus qu’important. Un contexte marqué surtout par les pressions exercées sur l’influente Syrie, notamment après la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) la sommant de retirer ses troupes du Liban où demeurent déployées une quinzaine de milliers de soldats syriens.

La Syrie voisine, suivant une politique d’influence forte exercée par Damas sur Beyrouth -perpétuée par Bachar Al Assad sur les traces de son défunt père-, et bien qu’elle ait dénoncé par le biais de son Président un « terrible acte criminel », risque, au même titre que le Liban lui-même, de connaître, après cet attentat et le débat qu’il induit déjà, une accentuation des pressions pour l’amener à se retirer définitivement des territoires libanais bien que les accords de Taef soulignaient un retrait syrien jusqu’à l’est de la plaine orientale du Liban seulement. L’Iran, qui « condamne avec vigueur l’action terroriste » d’hier, reste, outre la Syrie, une influence étrangère certaine via le Hezbollah fortement implanté notamment au Liban-Sud. Dans le brassage politique et social de la région, les Palestiniens sont nombreux à s’implanter au Liban.

Hier, après l’attentat, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas a dénoncé « un crime contre le peuple libanais ». De son côté, l’Irak de Iyad Allaoui a condamné l’assassinat de Rafik Hariri : « Cet acte lâche perpétré par des mains terroristes. » La Jordanie souligne « condamner fermement ». La Turquie, un peu plus au nord, dénonce « avec vigueur » cet acte ayant visé Hariri. L’Arabie saoudite déclare rejeter de « tels actes terroristes ». Le voisin israélien pointe du doigt la Syrie. « Je ne peux dire avec certitude que la Syrie est derrière cet attentat, mais il y a dans la région beaucoup de groupes qui auraient pu le commettre », a déclaré hier le chef de la diplomatie israélienne Sylvan Shalom. Les Etats-Unis, première puissance mondiale et acteur actif dans la région du Proche et du Moyen-Orient, placent la Syrie et l’Iran dans le collimateur. Ce qui s’est passé hier au Liban a évidemment fait réagir Washington. Ainsi, la Maison-Blanche n’a pas tergiversé pour dénoncer l’attentat et demander à ce que le peuple libanais puisse vivre dans un pays « libre de l’occupation syrienne ». L’Union européenne, elle, condamne le « méprisable » attentat qui a coûté la vie à l’ancien Premier ministre libanais. En somme, l’attentat ayant secoué hier Beyrouth et laissé les Libanais sous le choc intervient, comme le rappellent les réactions des uns et des autres, dans une conjoncture de tensions entretenues et alimentées pour des visées et des intérêts parfois diamétralement opposés dans une région suscitant des convoitises à n’en plus finir. Diverses convoitises.

Hariri, l’architecte de la reconstruction du Liban

Il a été le chef de file de 5 gouvernements, avant de démissionner en octobre dernier. Enfant d’un ouvrier agricole, Rafik Hariri, c’est de lui qu’il s’agit, a vite fait de gravir les échelons dans la société libanaise. A 18 ans, il émigre en Arabie saoudite où il enseigna les mathématiques dans un lycée. Il se lancera par la suite dans l’immobilier et gagnera vite la confiance de la famille royale saoudienne qui a jugé qu’il avait tenu tous ses engagements en matière de respect des délais de construction d’édifices.

C’est d’ailleurs en Arabie saoudite qu’il constituera sa fortune, estimée à 10 milliards de dollars. Il est le fondateur et propriétaire de Future TV de Radio Orient et du journal El Mostaqbal.Qualifié de l’architecte de la reconstruction du Liban, cet enfant de Saïda s’est passionné pour la politique dont il fera sa vocation. C’est ainsi qu’il brigue la députation et en sort vainqueur. Il préside alors le gouvernement libanais en 1992. Il le dirigera d’ailleurs jusqu’en 1998. Et pendant ces six ans, un peu plus qu’un mandat présidentiel, il s’attellera à panser les blessures d’une population éprouvée par plus de quinze ans de guerre civile. Il ne lésinera pas d’économie d’énergie en sillonnant beaucoup de pays pour convaincre d’aider au financement de la reconstruction du Liban à travers des investissements directs. Ce qui ne se fera pas sans que ce pays en paie, d’une autre manière, le prix fort. En effet, c’est en 2002 à Paris qu’il obtint le O.K. de la communauté internationale à condition qu’il engage de véritables réformes économiques, avec en priorité la privatisation de plusieurs entités économiques publique. Mais il n’aura pas la chance de savourer son œuvre de remise sur pied du pays. Ses efforts n’auront pas suffi à faire relever le Liban qui croule toujours sous le poids de 35 milliards de dollars de dette, soit le double de son produit intérieur brut.

Ses conflits politiques avec le président libanais, conjugués à l’influence de la Syrie, dont il demandera une fois passé à l’opposition le retrait des troupes de son pays, le pousseront à la porte. Il démissionne donc et privilégie l’action politique dans l’opposition. Rafik Hariri a été accusé par ses adversaires d’avoir plongé dans la corruption et les malversations. Il a été tué hier dans un attentat à la voiture piégée en plein Beyrouth. Un attentat encore inexpliqué et non revendiqué. Ce d’autant que, compte tenu de la situation complexe de la région, toutes les hypothèses sont possibles. D’ailleurs, les Etats-Unis n’ont pas hésité à accuser la Syrie d’être derrière ce massacre, alors que l’Iran pointe son doigt vers Israël, qui voit dans le Hezbollah libanais l’auteur principal.

Par Y. Hamidouche, F. Ababsa, latribune-online.com