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Présidentielle 2004 : Gros sous et marché électoral

mardi 6 avril 2004, par Hassiba

Si la face grossièrement visible de cette domination du champ d’expression politique par le président candidat est l’asservissement de la télévision gouvernementale, on observe aussi, à sa disposition de campagne électorale, un éventail de moyens parfois surréalistes hors de portée des cinq autres compétiteurs.

En premier lieu par le biais des rouages divers de l’Administration, dont le Premier ministre (avec son parti politique) et le ministre de l’Intérieur lui ont assuré une consolidation et une création de réseaux clientélistes transmetteurs de promesses de gratifications et d’assurances sur le bon choix.

Le pessimisme chronique à l’endroit des urnes, hérité de la période coloniale et renforcé par les règles dictatoriales dans les relations gouvernants-gouvernés, renforce le sentiment des citoyens que hors, l’entrisme, il n’y a point de salut en matière d’intérêt à la chose politique. La machine administrative génère ainsi tant la fraude qu’une inégalité criante entre les compétiteurs à disposer de capacités de commune mesure devant l’épreuve des suffrages.

On peut méditer sur l’égalité factice de dotation pour chacun des candidats de 1 milliard de centimes quand on apprend la nouvelle par le quotidien El Moudjahid (2-3 avril) qui l’étrenne en titraille de une que le nombre de meetings tenus par Bouteflika est de 1340 ; celui de Benflis de 410 ; 105 pour Djaballah ; 65 pour Sadi ; 30 pour Rebaïne. Ce score « écrasant » de tenue de meetings n’accrédite par le punch et le capital de conviction à la tâche du compétiteur champion, comme voudrait l’afficher le journal gouvernemental.
Il est d’abord le produit d’une caisse noire, engrangée et gérée par des réseaux aussi noirs dans leurs mœurs. Le même quotidien, dans une pub, annonce pour noircir encore plus la facture de la prédation attentée à la transparence du scrutin : « Bouteflika en Line. Union des citoyens. Appel gratuit ». « Plus de 60 jeunes Algériennes et Algériens à votre écoute et 10 numéros de téléphone vert à l’écoute de vos appels. Nous, jeunes Algériens et Algériennes, nous nous sentons pour la première fois en relation avec notre pays. L’image du passé pour l’exil a disparu. On a voulu prendre notre avenir en main et bâtir plus avec A. Bouteflika. »

La machine à impressionner l’espace public par l’imagerie de M. Bouteflika en Big Brother incontournable y va aussi d’un affichage aux ressources insondables, et qui impitoyablement viennent souvent écraser les affiches des compétiteurs. Le cinéaste Rachedi, note désabusé (Liberté, 28 mars) que ces faramineux moyens ne réussissent pas pour autant des œuvres artistiques : « Les affiches sont d’une extrême pauvreté esthétique. » Aïssa Khelladi du staff présidentiel défend lui « le bleu des affiches : c’est la couleur de l’acier trempé qui évoque la force, valeur forte (sic) de la campagne. » Autoritarisme quand tu nous tiens. Les ressources d’ingéniosité pour réduire toute chance d’égalité entre les compétiteurs, et en même temps renforcer le poids du marché électoral, sont illimitées : un autre quotidien rapporte qu’à Annaba, dans les cités de la périphérie, des brigades de jeunes vendent pour cinquante dinars des « cartes d’ayant droit à l’effigie du président-candidat » qui, une fois réélu, assurera ses promesses.

Autre face visible de la tentation totalitaire du président-candidat d’accaparer l’espace public télévisuel, y compris celui des télévisions françaises les plus regardées, c’est l’anecdote vraie de son projet de passage à l’émission à grand audimat « Vivement dimanche » de la vedette Michel Drucker, avec, en clou d’émission tout plein d’émotion, comme les grands saltimbanques de la télé savent en faire. A quatre jours du vote, était prévu un de ses numéros qui fassent mousser de nostalgie une autre vedette des écrans hexagonaux, J. P. El kabbach, revisitant son Oran natal et incrustant l’inégalable image « forte » du président-candidat. Cette émission allait être diffusée, n’eût été l’alerte donnée par deux autres candidats, dans la presse nationale et par courrier à la chaîne et au Conseil supérieur de l’audiovisuel français. Ce n’est plus seulement ici de l’ingéniosité mise en œuvre par les stratèges communications de M. Bouteflika pour persuader les citoyens d’opter pour sa candidature : le registre rejoint le travail de propagande en absolu irrespect de toute norme déontologique. A l’image du produit décliné déjà sur l’écran de la télévision gouvernementale algérienne par le feuilleton de voyages du chef de l’Etat à travers les zaouïas du pays pour produire une réélection programmée dans un scénario de béatification. Un autre front de marchandisation de l’opinion publique résolument occupé par le président-candidat est celui de la fabrique de sondages d’opinion. Nerf de la guerre bien sûr au-dessus des moyens financiers des autres candidats, il a produit, en action psychologique, au moins deux grilles de lecture similaires (sondages Abassa et Immar), feuilles de route pour aiguiller les spéculations. Dans un pays où les travaux de statistiques y compris pour les recensements démographiques relèvent d’acrobaties épiques, les deux boîtes ont fabriqué, avec force graphes et camemberts, les conjectures les plus prétentieuses de finesse.

A la gloire, bien sûr, du cher commanditaire du chantier. Bien sûr non déclaré, pour respecter l’ambiance générale d’irrespect de toute norme. Dans des deals inconnus, nombre de journaux, bien sûr, ont fait résonner l’action psychologique au sein de leur lectorat. Sans s’encombrer de précautions de doute élémentaire ni de relativisation. Menée tambour battant à l’américaine question d’argent pour le marketing, mais sans l’art de trouvaille des mots et des arguments, la campagne électorale pour le scrutin présidentiel du 8 avril a subi une pression sans contrôle exercée par M. Bouteflika. Au détriment non seulement de ses compétiteurs, mais plus grave du droit à l’information des citoyennes et citoyens algériens. Des fast-foods et échoppes improvisés en permanences électorales, tout comme à la veille du mois du Ramadhan en points de fabrication et vente de zalabia, nous laissent l’image d’amertume d’une Algérie refoulée de son cheminement vers l’âge politique. Face à son rouleau compresseur de moyens, les compétiteurs du président-candidat ont dû, le plus souvent, s’opposer à lui, plutôt que de se poser par leurs originalités de programmes et de projets.

Belkacem Mostefaoui, El Watan