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Polémiques au Japon autour du train fou d’Osaka

vendredi 29 avril 2005, par nassim

Depuis la privatisation du rail japonais, la rentabilité prime sur la sécurité.

Après le choc et l’émoi causés par le déraillement du train de banlieue, lundi près d’Osaka, la polémique grossit au Japon autour des causes de cette catastrophe ferroviaire, la pire au Japon depuis 1963. Alors que le bilan s’alourdit jour après jour (104 morts étaient annoncés hier, plus de 445 blessés dont 150 dans un état grave) et que les chances de retrouver des survivants étaient jugées hier soir « minces, voire nulles » par les sauveteurs, l’heure est à l’interrogation.

Morgue improvisée. Les familles des victimes, traumatisées et pour certaines révoltées, veulent comprendre. Dans un Japon rodé en matière de transports publics, qui dépense sans compter pour la sécurité du rail, et dont les trains et métros transportent 60 millions d’usagers par jour (pour 127 millions d’habitants), comment un tel drame a-t-il pu se produire ?

Mardi, dans le gymnase d’Amagasaki ­ la ville où l’accident a eu lieu ­ transformé en morgue improvisée, les excuses formulées par le président de la Japan Railways West (JR West), la société de chemin de fer d’Osaka qui exploite la ligne Fukuchiyama, ont été rejetées par des parents en colère, accablés de douleur. L’entière responsabilité de la catastrophe, d’après eux, incombe à la JR West, première société de chemin de fer de l’archipel. « Je prie pour l’âme de ceux qui sont morts », s’est fendu le patron de la JR West. Colère et rancoeur visent surtout le conducteur du train, Ryujiro Takaini, 23 ans à peine, qui a lui aussi péri dans l’accident. Lundi matin, peu avant le drame, il aurait tenté de rattraper le retard pris après avoir dépassé de 40 mètres un point d’arrêt en gare. C’est un train fou, roulant à 100 km/h (contre 70 km/h requis), qui a déraillé quelques instants plus tard dans un virage, faisant voltiger ses deux premiers wagons dans un immeuble d’habitations. « Comment la JR West a-t-elle été assez stupide pour confier la conduite d’un train à un si jeune employé ? », a demandé un homme ayant perdu son épouse. Le conducteur avait à son actif onze mois d’expérience. La JR West a précisé qu’il avait déjà commis, par le passé, des fautes professionnelles. Le rejet du blâme sur son jeune employé ne peut suffire à exempter la JR West de ses propres responsabilités.

Les zones d’ombre abondent depuis sa privatisation, menée l’an passé au pas de charge. C’est en fait l’organisation du réseau ferré national, considéré à tort ou à raison comme un des plus performants au monde, qui fait de nouveau débat. Pour éviter sa banqueroute, il avait été privatisé et éclaté en 1987 en six grandes compagnies ferroviaires JR (Japan Railways). Auxquelles se sont greffées depuis 16 autres grandes sociétés ferroviaires et 58 plus petites. C’est cette mosaïque d’intérêts privés, faite de participations croisées typiques du capitalisme nippon, qui est sujette à débat. D’après certains experts, la sécurité sur les rails n’est plus la même au Japon depuis 1999, quand l’Etat a vendu (pour 5,6 milliards de dollars) ses parts dans la maison mère East Japan Railways.

Règles élémentaires. Au lendemain de la catastrophe d’Amagasaki, lundi, un de ses trains Shinkansen (le train express nippon) a déraillé dans la préfecture d’Ibaraki (nord-est de Tokyo), sans faire de victime. Le débat sur le lien entre privatisation, efficacité commerciale et sécurité est d’autant plus virulent, ces jours-ci, que la JR West a été elle aussi privatisée il y a un an sans que l’Etat n’impose de garanties sur le plan de la sécurité. Il s’est en quelque sorte délesté de ses parts en mars 2004... et de son rôle de gardien. Depuis, pour accroître un peu plus ses profits, la JR West aurait oublié certaines règles élémentaires en matière de sécurité. Et mis un peu plus la pression sur des conducteurs déjà stressés. Dont les cadences ne tolèrent jamais la moindre « minute de retard. »

Par Michel TEMMAN, liberation.fr