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Oran, terre d’immigration africaine
vendredi 11 février 2005, par
Oran voit affluer une inhabituelle vague d’immigration clandestine africaine dont l’ampleur stupéfie et inquiète.
Du haut du pavé, c’est un monde secret, une société invisible, difficile à décrypter. Notre enquête a tenté de lever un petit voile sur ce rush de ces « naufragés du temps », ces « sans-destin », ces « hommes aux semelles de vent », ces anonymes venus d’Afrique à la recherche de l’eldorado européen. Nous sommes au premier étage, dans le hall d’un petit hôtel situé au cœur d’Oran. A côté, dans une cuisine plutôt bien aménagée, une femme noire prépare du riz au poulet. Histoire de manger africain », commente-t-elle du coin de ses lèvres souriantes.
Dans une ambiance dominée par un parfum d’épices exotiques, Mamadou, 21 ans, a l’air inquiet. Méfiant, il nous raconte l’odyssée de l’enfer de ces copains « maliens » qui n’ont qu’une seule devise : continuer... le chemin vers le nord. « Je suis ici depuis un mois. Ce sont mes copains qui m’on fait venir ici. J’étais à Alger, ma dernière escale depuis que j’ai quitté le Mali. Je préfère de loin Oran. C’est plus cool. Mes copains et moi n’avons pas le droit de revenir, de rebrousser chemin. Oui, c’est un drame, une tragédie pour nous tous. Car pour ces milliers d’hommes et de femmes qui ont quitté leur pays, les dés sont jetés. » Ce jeune raconte alors, non sans une grande méfiance mêlée d’angoisse, son aventure et celle de ses copains, qui ont quitté leur terre natale pour un long périple à l’issue incertaine.
C’est sûr : si aucun clandestin africain n’était là, il y a cinq ans, ils sont désormais plus de 600 à camper aujourd’hui à Oran, dont 244 arrêtés en 2004, selon les chiffres officiels. « Ils sont venus le plus souvent seuls ou avec quelques camarades d’infortune. » Ils seraient aujourd’hui plus d’un millier à vivre clandestinement ici. Oran est une destination nouvellement privilégiée par ces clandestins africains. En mal de touristes, les petits hôtels du centre-ville comme de la ville nouvelle (M’dina Djedida), quant à eux, semblent trouver leur compte.
Ces hommes qui sortent de l’ombre
« Pour me faire venir, ma famille a payé 1000 dollars à une organisation de passeurs. Je suis arrivé à Alger en camion, puis en train jusqu’à Oran. Il y a de cela un mois », se souvient Mamadou. « J’ai une cousine, dit-il, qui travaille comme p... dans un hôtel de luxe, pas très loin d’ici. » De cette vie, ce jeune garde un goût amer. Ainsi, le séjour oranais de cette communauté « provisoire » a tendance à bien durer. « Mes copains, poursuit-il, exercent essentiellement dans le change parallèle... On les retrouve dans les métiers dangereux, difficiles et dégradants. » Clandestinité, drogue et faux billets sont les termes qui caractérisent le mieux cette communauté, qui survit grâce à une économie souterraine, dont les relents sont inestimables. Mamadou arrête de parler. Il a vraiment l’air inquiet. « Beaucoup parmi nous se retrouvent exposés au vol après avoir été attirés dans des lieux isolés et dépossédés de leurs devises, quand ce n’est pas aux agressions tout court » « Ne crois surtout pas à ce qu’il raconte.
Beaucoup, par exemple, prétendent être des Maliens alors qu’en réalité ce n’est pas vrai. Car les Maliens sont francophones, alors qu’eux ne connaissent aucun mot en français », l’interrompt le patron de l’hôtel. « Vous êtes locataire ? », s’écrie ce dernier à l’adresse d’un arrivant - africain - qui venait de franchir le seuil de la porte en voulant rejoindre son copain dans sa chambre. « Non », lui répond timidement le nouveau venu. « C’est interdit. Rebroussez chemin », lui rétorque alors sèchement le propriétaire. « Ici, il faut être autoritaire. Sinon, ils vont vous bouffer », justifie alors le patron à notre adresse. « Beaucoup louent des chambres à 400 DA la nuit et tentent de faire venir d’autres copains », nous explique encore ce dernier.
Pour ceux qui n’ont pas de quoi se payer une chambre d’hôtel, les places publiques deviennent de fait un refuge « privilégié ». Après avoir épuisé toutes leurs ressources financières, ces grands rêveurs du Vieux Continent se retrouvent davantage en grands « misérables ». « Ils sont champions de la fausse monnaie et de l’escroquerie. D’ailleurs, les signes d’angoisse apparaissent sur leurs visages dès qu’ils entendent le mot police », témoigne le patron de l’hôtel. « Ils ont forcément quelque chose à se reprocher », explique notre interlocuteur. Selon ce dernier, les policiers font souvent des perquisitions dans les hôtels quand ce ne sont pas des opérations coup-de-poing.
Nouvelle vague africaine
Ils sont aisément repérables durant la nuit, en ville, où ils circulent en groupe. S’ils ont tous ou presque un portable, ils ne peuvent, en revanche - pour la plupart -, se permettre qu’une baguette de pain, un sachet de lait et quelques cigarettes. Depuis plusieurs mois, beaucoup s’inquiètent de l’ampleur de cette immigration clandestine à Oran. Alors, Oran plaque tournante ? D’interminables interpellations qui se sont soldées par 244 incarcérations en 2004 à Oran. A titre illustratif, une comparaison des bilans annuels des arrestations de clandestins indique une tendance à la hausse, puisque le nombre, qui était de 2806 en 2000 sur le territoire national, est passé à 4273 en 2001, 4118 en 2002 et 4870 en 2003. Selon la Gendarmerie nationale, 28 900 immigrés clandestins ont été arrêtés lors de cette décennie sur tout le territoire national. Entre le 1er janvier 2000 et le 31 octobre 2004, près de 19 524 étrangers ont été arrêtés en situation irrégulière ou dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine. Le nombre d’affaires traitées est également en nette progression.
Durant l’année 2003, 10 005 affaires ont été enregistrées à l’échelle nationale. Pas moins de 48 nationalités différentes sont représentées. Elles sont certes à majorité africaine, principalement du Mali, du Niger, du Nigeria, du Maroc et de la Guinée. Toutefois, les gendarmes ont également interpellé des immigrants clandestins venus d’Asie ou du Moyen-Orient (des Pakistanais, des Bengalais, des Syriens...). Au cours de la période allant du 15 octobre au 13 novembre 2004, quelque 848 personnes d’origines diverses ont été arrêtées sur le territoire national. Parmi ces immigrés clandestins, 122 ont été écroués, 96 mis en liberté provisoire et 630 autres refoulés. La plupart sont d’origines nigérienne (426) et malienne (177), alors que 66 sont en provenance du Maroc et 27 autres de la Syrie.
Comparons encore : le nombre d’affaires constatées est passé de 531 en 1992 à 737 en 2000. Pourquoi une telle ampleur de ce nouveau phénomène pour une ville qui pour le moins n’en a pas l’habitude ? Tentative d’explication d’un propriétaire de l’hôtel qui héberge une bonne proportion de ces immigrants : « Le passage vers l’Europe via le Maroc, qui semble devenu hermétique, fait que ces prétendants restent à Oran. » Une ville qui « leur offre les avantages d’une grande cité : l’anonymat, les possibilités de travail et la tranquillité », soutient Mamadou. « La plupart achètent un passeport malien falsifié pour éviter le visa d’entrée en Algérie », révèle le gérant de l’hôtel. « En mars 2004, le Maroc et l’Espagne avaient, en effet, mis en œuvre un plan de surveillance maritime commune entre le Sahara-Occidental et l’archipel des Canaries dans le but de lutter contre l’immigration clandestine.
La frontière est marquée, par exemple, entre Melilla et le port minéralier de Nador, par des fils barbelés : les frontières sont infranchissables. Les autorités ont construit une barrière métallique de trois mètres de hauteur sur huit kilomètres entre Ceuta et le Maroc. Ce qui a grandement freiné le passage vers l’Espagne ! Et comme l’information circule vite, et ne pouvant ni aller de l’avant ni faire le chemin inverse et entreprendre un retour de plusieurs milliers de kilomètres, ces clandestins se retrouvent alors livrés à eux-mêmes, sans argent », explique le gérant de l’hôtel.
« Auparavant, beaucoup que je connaissais s’orientaient vers Maghnia. C’est là que les contacts se nouaient avec les réseaux spécialisés dans le passage des candidats à l’immigration vers l’Espagne. Les clandestins devront débourser chacun entre 150 et 400 euros pour passer à Melilla et Ceuta. Aussi, beaucoup tentent de regagner l’Europe via les Canaries. Les clandestins partent en barque jusqu’à Nerja », révèle notre interlocuteur. Mais il faudra beaucoup de patience, d’effort et de mise en confiance pour pouvoir réussir à délier sa langue : « Les clandestins utilisent des passeurs marocains qui leur demandent entre 50 et 2000 euros par passage. »
Par Cherif Lahdiri, www.elwatan.com