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Les Nations unies préparent 2005

mardi 28 décembre 2004, par Hassiba

« Si l’année 2003 a été une année de profondes divisions et l’année 2004 une année de sobres réflexions, 2005 doit être une année de vigoureuses actions. » Dans quelle mesure Kofi Annan peut-il avoir raison et, si action il y a, sera-t-elle avec lui ou à son détriment ?

La fin de l’année sonne l’heure des bilans et les Nations unies ne font pas exception. Que retiendra l’Organisation mondiale de 2004 ? Du côté de l’Irak, un dossier encore brûlant, les Nations unies seront passées des sommets prestigieux au fin fond des scandales.

Des hauts et des bas

Les premiers auront duré le temps de la bataille juridico-diplomatique relative à l’octroi de l’autorisation d’intervenir contre l’Irak par le vote d’une résolution légalisant l’usage de la force. Les Nations unies sont sorties de cette bataille victorieuses puisque, selon le souhait exprimé par leur secrétaire général, la résolution n’a pas été votée et l’opération « Iraqi Freedom » déclarée illégale par Kofi Annan. Mais tout cela est déjà loin, c’était en 2003. Dès lors, la plus grande prudence a caractérisé les positions de l’Organisation, prises en tant que telle, indépendamment du Conseil de sécurité. Ainsi s’apprête-t-elle à soutenir les élections en assistant la Commission électorale indépendante. Considérées comme « un véritable succès », les élections en Afghanistan sont citées en exemple. Rappelons, cependant, que l’Afghanistan est « le point d’orgue d’une transition de trois ans dans le cadre de l’ONU ». Ce qui n’est pas le cas de l’Irak.

L’un des revers de la médaille a éclaté récemment avec le scandale autour du programme « Pétrole contre nourriture ». « Notre mission globale a avancé sur de nombreux fronts mais les accusations autour du programme ‘‘Pétrole contre nourriture’’ ont jeté une ombre sur les opérations qui ont soulagé des millions d’Irakiens », a reconnu le secrétaire général. Rappelons que le programme « humanitaire », en vigueur de 1996 à 2003 pour alléger l’impact de l’embargo international sur les Irakiens, s’est trouvé perverti et plusieurs milliards de dollars ont été détournés. Les résultats de l’enquête de la Commission Volcker (ex-président de la Réserve fédérale américaine) sont attendus avec impatience et pourraient mettre le diplomate dans l’embarras à titre de secrétaire général mais également à titre privé. Kojo Annan, son fils, serait en effet impliqué dans l’affaire, plaçant ainsi le père en situation de pris à partie. Ainsi, d’influents parlementaires américains ont appelé à la démission de Kofi Annan, avant que Washington ne lui réitère finalement son soutien.

« Les Etats-Unis ont besoin de l’ONU et l’ONU a besoin des Etats-Unis, et nous devons trouver un moyen de travailler ensemble. Les critiques et leurs attaques n’ont pas facilité la relation, de quelque côté qu’elles viennent, et nous devons trouver un moyen de mettre ce genre de discussions derrière nous et avancer. Nous avons un important calendrier qui nous attend. » Le calendrier est, entre autres, défini par le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement remis au secrétaire général. Rapport envisageant les menaces de façon globale, interdépendante, auxquelles des solutions communes et collectives doivent être apportées de façon urgente. Ainsi le Groupe dégage-t-il six catégories de menaces : les menaces d’ordre économique et social (pauvreté, maladies infectieuses, dégradation de l’environnement) ; les conflits entre Etats ; les conflits internes (guerres civiles, génocide et autres crimes contre l’humanité) ; les armes nucléaires, radiologiques, chimiques et biologiques ; le terrorisme ; la criminalité transnationale organisée.

Les acteurs interpellés

La première caractéristique de ces menaces relève de leur interdépendance. « Le terrorisme, les guerres civiles ou la misère ne peuvent être envisagés indépendamment les uns des autres. » Cette précision est importante car elle place un phénomène dans un éclairage nouveau. Il cesse d’être traité comme une activité criminelle, irrationnelle et barbare (même s’il l’est) et l’inscrit dans le cadre des conflits qui ont toujours des causes et des objectifs. Le développement est donc fixé comme priorité absolue à l’établissement de tout nouveau système de sécurité collective. Car l’extrême pauvreté au même titre que les maladies infectieuses sont en soi des menaces et constituent le terreau d’où surgissent d’autres menaces, dont les guerres civiles.

A propos du terrorisme, le Groupe constate la faible présence de l’Organisation des Nations unies qui, selon lui, n’utilise pas au mieux ses ressources pour combattre le phénomène. Les solutions ne sont pas guerrières. Au contraire. Il estime en premier lieu qu’il faudrait s’accorder sur une définition consensuelle du terrorisme, mission que l’Assemblée générale devrait accomplir, étant l’organe approprié pour ce consensus. En deuxième lieu, l’ONU devrait mettre en place une stratégie globale qui s’attaquerait à ses causes profondes, renforcerait les Etats, consoliderait la primauté du droit et sanctuariserait les droits fondamentaux de la personne humaine. Qui est le premier concerné par la gestion de ces menaces ?

« La lutte contre les menaces d’aujourd’hui doit être au premier chef l’affaire d’Etats compétents et responsables. »

Malheureusement, le rapport ne définit ni la responsabilité ni la compétence. « Responsabilité » signifie-t-elle, comme c’est théoriquement le cas, le libre choix de respecter les lois et de répondre de ses actes ? Peu d’Etats, pour ne pas dire aucun, ne peut se targuer d’appartenir à cette catégorie de façon permanente et avec constance. « Compétence » signifie-t-elle la capacité ou l’autorité ? La première notion renvoie à celles de moyens et de volonté politique. Or, les deux ne vont pas toujours de pair. Quant à l’autorité, nul Etat n’est censé imposer sa volonté en dehors du canal légal tracé par les Nations unies. Les Etats chargés de relever les défis du XXIème siècle sont donc assez flous. Mais n’était-ce pas là l’objectif des rédacteurs du rapport ?Le second grand acteur est évidemment l’Organisation mondiale, si toutefois elle parvient à apporter les changements indispensables à un meilleur fonctionnement. Le premier changement est l’élargissement. Pour aboutir à un Conseil de sécurité de 24 membres, deux démarches sont proposées :- L’ajout de six sièges permanents sans droit de veto (deux pour l’Afrique, deux pour l’Asie et le Pacifique, un pour l’Europe et un pour les Amériques) et trois nouveaux sièges non permanents avec mandat de deux ans ;- La création non pas de nouveaux sièges permanents, mais d’une nouvelle catégorie de huit sièges (deux pour chaque grande zone régionale) avec mandat renouvelable de quatre ans et d’un nouveau siège avec mandat de deux ans, non renouvelable.

A noter que la répartition géographique proposée donne un poids énorme à l’Europe qui se retrouverait, selon le premier scénario, représentée par 5 Etats. Ne voulant manifestement pas froisser les 5 grandes puissances, le droit de veto ne sera pas, quelle que soit la formule choisie, élargi. Prévoyant la déception de nombreux Etats qui contestent ce monopole, le rapport encourage les Etats membres à permettre à l’Assemblée générale de tenir son rôle de principal organe délibérant du système des Nations unies. Le groupe d’experts préconise également le renforcement du secrétariat, estimant qu’un secrétaire général puissant constituerait l’un des éléments indispensables de tout système efficace de sécurité collective pour le XXIeme siècle. Dans le même ordre d’idées, il recommande la création d’un poste de vice-secrétaire général chargé des problèmes de paix et de sécurité.

Les menaces à juguler

Par quel danger doit-on commencer ? Le Groupe recommande de s’engager à atteindre les objectifs d’éradication de la pauvreté, de croissance économique soutenue et de promotion du développement durable. Il dénonce le fait que certains pays donateurs ne consacrent toujours pas 0,7% de leur produit national brut (PNB) à l’aide publique au développement (APD) et encourage les gouvernements prêteurs et les institutions financières internationales à alléger la dette des pays pauvres fortement endettés, à rééchelonner leur dette et à leur ouvrir davantage les marchés mondiaux. Restant fidèles à la mondialisation du libéralisme, les experts exhortent les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à conclure le cycle de négociations de Doha sur le développement, au plus tard en 2006.

Sur le chapitre de la santé, la coopération internationale est, là encore, primordiale. A titre d’exemple, il faudrait plus de 10 milliards de dollars par an pour enrayer la pandémie du VIH/sida. Somme impossible à réunir sans une coalition de volonté pour une fois non belliciste. Aux mesures qui dépendent de la volonté des Etats s’ajoutent celles qui sont ou devraient être du ressort des Nations unies. Parmi celles-ci figure l’amélioration de ses capacités de sanction et de médiation de prévention. Relevant de ce dernier aspect, Groupe estime que l’Organisation doit disposer d’un service de sécurité hautement qualifié, ayant accès aux renseignements et aux évaluations des menaces dont disposent les Etats membres. Pour ce faire, il exhorte les Etats membres à approuver la création de la Direction de la sécurité, à en financer intégralement les opérations et à aider le secrétaire général à mettre en place un nouveau système de sécurité du personnel en 2005. Il prône également la création par le Conseil de sécurité d’un nouvel organe intergouvernemental, à savoir la Commission de consolidation de la paix. Elle serait chargée de déterminer quels sont les pays en difficulté et risquant de sombrer dans une situation conflictuelle ou violation de la légalité internationale. En collaboration avec le gouvernement en question, elle organiserait la fourniture d’une aide préventive afin d’éviter que le risque s’amplifie, aiderait à préparer le passage de l’état de conflit à la consolidation de la paix et mobiliserait la communauté internationale.La prévention s’applique également sur le chapitre de la prolifération qui pourrait se développer en chaîne.

Comment prévenir la prolifération ? Le Groupe propose des mesures légales et incitatives. Les premières consistent à renforcer ce régime au moyen du Protocole additionnel, offrir de déclarer un moratoire volontaire limité dans le temps sur la construction d’installations de ce type et négocier un traité de limitation à des fins civiles ou d’armement de la production de matières fissiles. Les secondes englobent des mesures d’incitation aux Etats qui renonceraient à leurs installations d’enrichissement et de retraitement de l’uranium et l’engagement du Conseil de sécurité à prendre des mesures collectives en cas d’attaque nucléaire ou de menace d’attaque nucléaire contre un Etat non doté d’armes nucléaires.Concernant la médiation, le département des Affaires politiques devrait être doté de ressources supplémentaires et être restructuré afin d’offrir davantage de services d’appui spécialisés conséquents dans le domaine de la médiation. Quant au chapitre concernant les sanctions, il met en exergue le fait que le Conseil de sécurité devrait user des pouvoirs issus du Statut de Rome pour saisir la Cour pénale internationale en cas d’allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Retenant les leçons tirées des expériences récentes en matière d’usage de la force et de légitimation, a posteriori, de celui-ci, le Groupe établit cinq critères de légitimité : gravité de la menace, légitimité du motif, dernier ressort, caractère proportionné des moyens et mise en balance des conséquences. Si l’adoption de ces critères ne débouche pas forcément sur des résultats faisant l’unanimité, elle devrait au moins améliorer les chances de parvenir à un consensus international sur des questions qui ont été profondément conflictuelles. Le « caractère proportionné des moyens » fait évidemment référence au manque structurel de moyens mis à la disposition de l’Organisation.

Sachant que la sécurité de son personnel se dégrade depuis le milieu des années 90, comment l’ONU peut-elle espérer protéger les civils et aider à mettre fin aux conflits ? Reste le crime transnational organisé, nécessitant un traitement tout aussi international. Ainsi les experts préconisent-ils la création d’une administration centrale chargée de faciliter l’échange d’éléments de preuve entre les pouvoirs judiciaires nationaux, l’entraide judiciaire entre les parquets et l’exécution des demandes d’extradition. Pour formaliser toutes ces mesures, la négociation d’une convention internationale globale sur le blanchiment de capitaux est nécessaire, d’autant que le secret bancaire et les paradis financiers représentent des obstacles structurels à la lutte contre le blanchiment de l’argent sale.

Les sonnettes d’alarme
L’ONU est attendue sur beaucoup d’autres sujets liés aux conflits. Ainsi l’agence pour les réfugiés a-t-elle tiré la sonnette d’alarme sur la situation de plus d’un million de réfugiés dans le monde. Ceux-ci, affirme l’agence, seront, dès l’année prochaine, victimes de la faim et de malnutrition si les pays donateurs ne répondent pas de manière généreuse aux appels de fonds du Programme alimentaire mondial (PAM). Ils s’ajouteront aux plusieurs centaines de milliers qui tentent de survivre avec de maigres rations alimentaires, préviennent le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le PAM qui mettent l’accent sur les réfugiés en Afrique et en Asie (notamment Azerbaïdjan).En Zambie, par exemple, les rations alimentaires seront bientôt réduites de moitié, condamnant 87 000 des 191 000 réfugiés à la malnutrition. En Tanzanie, les rations journalières ont, au mois d’octobre, été réduites de 25% dans 13 camps de réfugiés burundais et congolais. La malnutrition menace aussi 118 000 réfugiés en Ethiopie et 224 000 autres réfugiés au Kenya. En RDC, le PAM indique qu’il aura besoin de réduire de 30% les rations alimentaires d’ici à janvier.

Hormis les appels incessants aux donateurs, quelles sont les solutions préconisées par l’ONU ? La réponse est l’établissement d’un « véritable partenariat mondial Sud-Sud » en faveur du développement. De ce côté, les choses commencent à évoluer. Ainsi le commerce entre pays du Sud continue-t-il d’augmenter et plus de 40% des exportations provenant des pays en développement sont désormais destinées à d’autres pays en développement. Dans les décennies à venir, certains grands pays du Sud dépasseront nombre de pays développés sur le plan économique. Ils seront alors théoriquement susceptibles de fournir une aide publique au développement. Les Nations unies n’hésitent d’ailleurs pas à mettre en valeur les efforts accomplis dans le Sud, bravant parfois les idées reçues et le politiquement correct.

Ainsi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a-t-elle décerné un prix à Al Manar, la télévision du Hezbollah chiite libanais pour un programme anti-tabac diffusé sur cette chaîne. Décerné pour la seconde année consécutive par l’OMS qui coordonne l’action d’une commission formée d’experts et de représentants de médias libanais, ce prix récompense le meilleur documentaire en compétition avec vingt autres. La radio du Hezbollah, An Nour a également obtenu un premier prix pour son programme radiophonique intitulé « Votre alimentation est votre médication ». Cette double consécration est d’autant plus symbolique qu’elle intervient au moment où la France et les Etats-Unis interdisent la diffusion de la chaîne satellitaire du Hezbollah, que le département d’Etat américain a qualifiée de média terroriste.

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com