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La problématique civilo-militaire exportée dans les opérations de paix

mercredi 2 février 2005, par Hassiba

Depuis quelques années, le nombre d’organisations civiles engagées dans le maintien de la paix s’est accru de façon spectaculaire.

Preuve en est que pendant la Seconde Guerre mondiale, le Comité international de la Croix-Rouge était l’organe principal d’un petit nombre de groupes d’aide civils. A l’époque, la coopération des militaires avec les civils visait surtout à les empêcher d’interférer avec les armées ou d’en être les victimes collatérales. Dans les zones déjà sous contrôle des Alliés, l’infrastructure civile encore debout était destinée à l’assistance de la population.

De la hiérarchisation à la coopération

Concrètement, les relations entre militaires et civils fonctionnaient selon une logique verticale de haut en bas. Les militaires y étaient en position de responsabilité, tandis que l’administration civile était chargée d’acheminer l’aide. Ainsi les militaires s’interposaient-ils entre deux forces bien définies et responsables devant leurs gouvernements respectifs. Dans ce contexte relativement peu complexe de conflit inter-étatique, l’existence d’une infrastructure gouvernementale intacte de part et d’autre réduisait chez les militaires de la Force de maintien de la paix la nécessité d’interagir avec les populations. La même logique a prévalu jusqu’à la fin de la guerre froide.

L’interaction entre civils et militaires est omniprésente dans les nouvelles opérations de maintien de la paix. Opérations axées sur les conflits locaux et sur la gestion des périodes post-conflit. Cette gestion, rappelons-le, consiste en un très large éventail de missions allant de l’entraînement et l’équipement nécessaires pour mettre fin à des affrontements ouverts aux demandes collatérales d’aide humanitaire, en passant par la formation de la police, la reconstruction des infrastructures et la réconciliation entre populations. Une partie de ces tâches n’étant évidemment pas du ressort des militaires, les organisations civiles se sont progressivement imposées comme un partenaire indispensable. Aussi les Casques bleus peuvent-ils désormais être en présence de milliers de groupes sur un seul théâtre d’opération. Après le génocide du Rwanda en 1994, par exemple, 109 organisations humanitaires opéraient à partir de Kigali et 1 700 ONG étaient présentes en Bosnie en 1996. Parmi celles-ci figurent les agences des Nations unies, les organisations non gouvernementales (ONG), les agences de secours et de développement appartenant à des Etats souverains (telles que l’Agence canadienne de développement international -ACDI- ou le ministère du Royaume-Uni pour le développement international -DFID).

En cas de manque de communication et de coordination entre les deux catégories, l’ensemble de l’opération est compromis. Dans « Le nouvel aspect du maintien de la paix et le rôle des militaires », Harold Hyman explique que les militaires sont obligés de travailler avec les autorités locales et les organisations civiles mais ne le font pas de très bon cœur. Les façons de travailler des uns et des autres sont, il est vrai, assez différentes. Les organisations civiles « sont moins hiérarchiques que les armées ; elles prennent souvent leurs décisions en comité, laissant ainsi plus de liberté d’action à leurs membres ; et il n’existe aucune obligation de leur part d’accepter des directives provenant de l’extérieur de l’organisation ». De plus, poursuit l’auteur, certains groupes refusent de collaborer de quelque façon que ce soit avec les militaires par crainte de compromettre leur sécurité, leur impartialité ou leur liberté d’action. A leur décharge, les militaires constatent parfois que la présence en si grand nombre de ces organisations n’est pas proportionnelle à leur efficacité sur le terrain. Si certains sont effectivement incontournables, d’autres manquent de capacité pour gérer les fonds reçus et sont incapables de coordonner leurs activités. « Les impressions que les Casques bleus conservent après avoir vu à l’œuvre certaines agences moins compétentes colorent malheureusement leur perception de l’ensemble des organisations d’aide humanitaire. » La complémentarité des deux acteurs dans le cadre de la COCIM (coopération civilo-militaire) est d’autant plus nécessaire que la réussite des missions allouées aux acteurs civils est conditionnée par la réussite de celles des militaires. Il paraît en effet évident que dans un contexte non sécurisé, non pacifié, les opérations de reconstruction ont peu de chances de réussir. Force est de constater que cette condition est capitale car les organisations civiles restent sur le terrain, longtemps après le retrait des militaires et sont d’ailleurs mieux acceptées par la population et les autorités.

Le leadership américain

Avec les Etats-Unis, le Canada est l’un des rares pays à avoir une vraie politique de COCIM. Les affaires civilo-militaires ont été introduites comme une spécialisation du personnel des Forces canadiennes en 1977 au Quartier général de la 1ère Division canadienne. Le Canada emprunte en bonne partie les concepts et procédures de sa doctrine COCIM à la doctrine de son puissant voisin, The American Civil Affairs (CA). Les différences sont essentiellement liées à la sémantique et aux capacités. Ainsi la doctrine canadienne tend-elle à privilégier la coopération plutôt que la direction, conséquemment à sa plus grande expérience des opérations de maintien de la paix et de ses ressources plus limitées.

En 1999, la COCIM a publié un manuel dont la rédaction repose sur de larges consultations avec des ONG et des organisations civiles. Cela dit, encore trop peu de Canadiens disposent d’une formation technique en COCIM. Formation généralement reçue au US Special Warfare Center de Fort Bragg. L’intensification de cette formation serait pourtant indispensable pour une meilleure compréhension réciproque de la raison d’être, des objectifs, des atouts et des capacités de chacun. Des cours COCIM sont offerts au Centre canadien international Lester B. Pearson pour la formation en maintien de la paix, mais la formation est moins complète que celle du cours de l’American Civil Affairs. Une telle connaissance pourrait orienter les spécialistes de la COCIM vers les organisations les plus aptes à remplir des tâches déterminées. De leur côté, les groupes civils tireraient une meilleure compréhension des forces armées en général et, plus spécifiquement de l’aide qu’elles peuvent leur apporter dans l’accomplissement de leurs objectifs. Dans cette perspective, la défense nationale canadienne a annoncé la création des unités COCIM dans la Réserve, reconnaissant ainsi l’existence d’un potentiel inexploité de talents disponibles dans la milice. Ces membres peuvent, en effet, offrir une variété de qualifications militaires non traditionnelles pour l’accomplissement d’objectifs militaires. Cette décision n’est pas inédite et a été initiée par les Etats-Unis qui savent déjà que les réservistes peuvent devenir des spécialistes COCIM puisque leur expertise a des applications tant civiles que militaires. Ces réservistes ont l’obligation de servir deux jours par mois et deux semaines par an, mais peuvent être appelés pour des périodes plus longues en cas de rappel sélectif de la Réserve par le président. Cependant, si un réserviste américain rappelé par l’Armée a la garantie de retrouver son emploi dès son retour, un réserviste canadien qui se porte volontaire pour une mission militaire perd son travail civil. Un changement sur ce point est indispensable.

L’expérience bosniaque

Le cas de la Bosnie offre un champ intéressant d’expérimentation de la coopération civilo-militaire en matière de maintien et de reconstruction de la paix. Constat renforcé par le fait que l’accord-cadre général pour la paix -Accords de paix de Dayton- a défini un règlement global qui aborde divers aspects civils et militaires parallèles de la mise en œuvre de la paix dans l’ex-Yougoslavie. En résumé, cette conception reconnaît que toute opération militaire a des ramifications civiles. Dans le cadre de la SFOR la Force de stabilisation de l’OTAN, la COCIM vise à nouer et entretenir les relations entre les commandants de la SFOR, les organisations civiles et la population. Cet objectif passe par le double soutien aux forces militaires et à l’environnement civil. Le premier a permis de préparer le déploiement de l’IFOR (partenariat entre civils et militaires aux niveaux local, régional et national et consolidation des activités opérationnelles des commandants de la SFOR). Le soutien de l’environnement civil a commencé par des activités humanitaires (en appui au Haut-Commissariat pour les réfugiés) et la libération de prisonniers (avec le Comité international de la Croix-Rouge) pour aboutir au rétablissement des services publics essentiels et au redressement économique et à l’organisation des élections nationales. De nombreux pays participant militairement à la SFOR ont déployé du personnel de coopération civilo-militaire, mais ce sont les Etats-Unis -à travers leurs unités d’affaires civiles actives ou de réserve- qui ont fourni le plus gros des effectifs. Entre 1996 et 1998, ils ont envoyé 1 400 officiers et sous-officiers chargés des affaires civiles. La plupart sont des réservistes mobilisés pendant 270 jours puis placés sous le contrôle opérationnel de l’IFOR/SFOR pendant six mois. Selon le colonel William R. Phillips, auteur de « La coopération civilo-militaire, élément essentiel à la mise en œuvre de la paix en Bosnie », le processus de transformation du Groupe d’intervention civilo-militaire, majoritairement américain, en une véritable force alliée multinationale a commencé en août 1997. De nombreux pays ont souhaité fournir des hommes, cependant la bonne volonté est une condition nécessaire mais insuffisante.

La COCIM étant une fonction militaire nouvelle, beaucoup de volontaires manquaient de personnel formé à cette tâche. Aussi plusieurs pays ont-ils demandé l’organisation d’un cours élémentaire de coopération civilo-militaire avant que leurs troupes ne rejoignent la SFOR. Le commandement central a donc lancé un programme de formation et de soutien composé de vingt-sixinstructeurs de cinq pays différents, dont l’Allemagne, la Grande-Bretagne et évidemment les Etats-Unis. Le Centre de préparation de la 7e armée des Etats-Unis a fourni des salles de cours, des moyens d’hébergement et des installations de tir d’explosifs en Allemagne. Les officiers des affaires civiles du Royaume-Uni ont fourni des informations sur les mines dans le cadre du stage de la COCIM. L’objectif du stage de la COCIM pré-recrutement de l’OTAN est d’apporter aux stagiaires les connaissances de base de la coopération civilo-militaire telle qu’elle est pratiquée par la SFOR. Après l’avoir suivie, ils doivent être prêts à être déployés dans la SFOR, à suivre une formation pratique sur place et à accomplir des tâches de coopération civilo-militaire à l’intérieur des commandements etdes formations de la SFOR.

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com