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La loi sur les hydrocarbures : un projet controversé

mercredi 9 février 2005, par Hassiba

En Algérie, le programme d’ajustement structurel (PAS) visait à nous permettre d’être éligibles à une insertion progressive dans le nouvel ordre économique mondial, moins prévisible et beaucoup plus concurrentiel où des défis multiples sont à relever, un plan financier, organisationnel, technique et de gestion, le tout dans une situation d’opportunité et de risques permanents.

Malheureusement, ce n’est toujours pas le cas ; ce programme n’a toujours pas atteint ses objectifs ; si ajustement il y a, il n’est pas encore d’ordre structurel, certainement que le mode de gouvernance n’est pas étranger à cette situation.
 L’économie et sa croissance demeurent quasiment dépendantes des hydrocarbures et donc sujette à fragilisation en cas de chute des cours. Le fonds de régulation est une solution conjoncturelle et à court terme.
 Les besoins sont couverts essentiellement par des importations (produits alimentaires et biens de consommation) et la tendance est à l’augmentation.
 Le secteur public productif reste contre-performant et un PIB hors hydrocarbures négatif.
 La valeur ajoutée de l’économie dans sa globalité n’est pas à l’origine de la croissance actuellement enregistrée.
 Le pays même modérément demeure endetté avec un niveau de chômage conséquent ; les ressources comme les réformes doivent être partagées.

Les recommandations des institutions internationales concernent principalement :
 La bonne gouvernance qui reste un impératif.
 La concrétisation des réformes dont l’adaptabilité du secteur bancaire et l’ouverture de celui des hydrocarbures. Cette réforme du secteur des hydrocarbures prônée par le projet de loi mérite, car d’actualité, d’être abordée même sommairement. Le projet est public. Il serait inutile de revenir sur les avantages soulignés car connus de tout un chacun.

Cette future loi est présentée à juste titre d’ailleurs comme étant la solution attendue aux problèmes de développement et renouvellement de notre potentiel énergétique. Cependant, on gagnerait à afficher clairement la stratégie et les objectifs visés, à savoir que la ressource hydrocarbures est convoitée à l’échelle mondiale et que l’Algérie déjà à court de moyens financiers d’origine non hydrocarbures, n’a d’autre choix, (les récents développements au niveau du Proche et Moyen-Orient l’attestent bien) que de s’inscrire dans cette perspective de permettre l’accès à celle-ci tout en veillant à préserver autant que faire se peut ses intérêts primondiaux comme la propriété sur le patrimoine minier (déjà prise en charge par le projet de loi), seule opposable à toute volonté d’appropriation.

Nous retiendrons en particulier le fait que :
 Le dispositif permettra aux partenaires, en général étrangers, de disposer d’au moins 70% des hydrocarbures découverts et, de 100% dans le cas où SH se déclare non intéressée par l’option des 30% comme prévu par la future loi ; il sera difficile à SH de s’associer avec tous les partenaires à l’occasion de chaque découverte. Comme il est prévu une commercialisation mixte dans le cas d’une découverte de gaz naturel.
 La formule actuelle « partage production », bien que non abordée dans le projet de loi, s’éteindra certainement avec les contrats en cours, car, au même titre que les pays de l’Opep (Arabie Saoudite, Venezuela...) ou hors Opep (Russie, Mexique, Norvège...), qui généralement y ont recours, celle-ci ne permet pas l’accès à la propriété mais seulement aux quantités produites, en fonction des coûts engagés et de la rémunération prévue.
 S’agissant d’un choix souverain, nous serons les précurseurs en la matière ; nous rejoindrons ainsi le groupe des pays économiquement avancés, qui ont déjà généralisé cette pratique depuis très longtemps (USA, GB...) car, disposant de moyens institutionnels efficaces et modernes d’encadrement des activités en question. Les objectifs seraient multiples en particulier, le fait de responsabiliser à travers la fiscalité les partenaires en ce qui concerne la gestion des coûts, le plan de développement du gisement (à l’inverse du dispositif production Sharing Agrement), une gestion transparente qui a déjà démontré tout l’intérêt à la consolider, une collecte de la fiscalité plus accrue et surtout, le désengagement de l’Etat du risque à la fois lié à la recherche mais aussi à la production et à la conservation du gisement.
 La connaissance du domaine minier dont les moyens actuels ne peuvent y faire face.
 Enfin le transfert de prérogatives actuellement dévolues à la plus haute institution, à une agence technique relevant du ministère de l’Energie qui légifère, d’où la souplesse et l’efficacité quant à la conduite du processus. Toutefois, certains aspects méritent à des fins d’enrichissements que l’on s’y attarde à nouveau, en adoptant une démarche de globalisation de nos intérêts, à l’instar D’une part :
 De l’impératif comme pour la mise en conformité de SH (sept ans) d’un planning de mise en œuvre, pour permettre aux acteurs concernés (Etat, agences de régulation, Alnaft, Douanes, etc.) d’être en mesure de faire face aux exigences de cette réforme capitale pour le pays.
 Le postulat de départ, à savoir que le projet de loi traiterait des activités de transformation (article 01), ne ressort nullement à l’exception de l’article 63, à notre sens insuffisant. Les mesures fiscales, taxes douanières et autres avantages consentis ne concernent nullement le secteur aval (au sens pétrochimique ou gazochimie du terme). Pourquoi ne pas faire relever les investissements du Downstream, comme c’est le cas pour l’Upstream, des agences Alnaf et de régulation pour lier les intérêts de l’amont à ceux de l’aval (le code des investissements ne concerne pas l’Upstream).
 Du cadre fondamental visant la valorisation locale d’au moins une partie de ces matières et ressources. Si l’intérêt manifesté pour l’amont est bien compris de tous, les initiés du domaine s’accordent à relever le fait que l’Algérie est l’un des rares pays de l’Opep qui ne dispose pas d’une industrie de valorisation.

Aujourd’hui, nous importons presque la totalité des produits dérivés au détriment d’une valeur ajoutée et en pesant lourdement sur la balance des paiements du pays. Le royaume d’Arabie Saoudite a investi plus de 42 milliards USD dans la valorisation locale.Il réalise à partir de ses 3100 usines de transformation, notamment de pétrochimie, un chiffre d’affaires annuel supérieur à 25 milliards USD ; les emplois directs et surtout indirects s’évaluent par milliers. Pour atteindre cet objectif, il a deux sociétés Aramco pour l’Upstream et Sabic pour le Downstream. La Malaisie qui développe avec la société d’Etat Petronas une stratégie intégrant l’amont et l’aval est un autre exemple.
 De la limitation de production qui est à repenser car, au sens où elle est traitée, dictée par « la politique nationale énergétique » aux portes de l’Europe, elle ouvre la voie à la multiplication non contrôlée des fournisseurs.
 De l’option de participation de SH, qui reste conditionnée par l’accord préalable entre les parties, non seulement sur les dépenses engagées mais sur celles à venir ; en tout cas ; SH ne peut prétendre user de cette option avec tous les partenaires pour des raisons évidentes. Même dans un tel cas, on devrait en principe lui permettre de disposer, le cas échéant, de la minorité de blocage à défaut, elle sera contrainte à appliquer la politique de l’actionnaire majoritaire et à terme de se retirer ou ne pas prendre option dès le départ (gisement vivant...)
 De la consolidation pertinente des bénéfices, mais insuffisante car en sous-entendu limitée à l’amont.
 De l’activité en international non abordée.
 De l’adhésion à l’OMC et autre accord avec l’UE, qui pourront concerner SH en premier lieu, car en position de monopole dominant. D’autre part :
 Il est souligné que cette loi va permettre à SH de se désengager des créneaux où la rémunération des capitaux est de l’ordre de 10% pour se consacrer à l’amont où celle-ci est d’environ 30%. A notre sens, cela est valable aussi à l’international.
 Il est fait allusion aux prix du gaz et des produits pétroliers quant à leur fixation car, est-il évoqué, par ailleurs, que, l’OMC et mondialisation obligent, leurs niveaux seront en rapport (après 5 à 10 ans selon le cas) avec le cours international ; bien entendu cela sera incontournable au moment voulu, mais ne devrions-nous pas nous hisser dans tous les domaines durant ces périodes au niveau des autres exigences de cette compétition ; Etat performant, ouverture démocratique et autres mécanismes de marché de compétition ; un modèle de gouvernance en rapport avec les impératifs de la modernité.

Devant l’ampleur du retard à résorber en termes de poids des investissements à consentir dans des domaines nécessitant souvent pour des raisons évidentes de compétitivité des technologies évolutives et un savoir-faire en conséquence, toute forme de gouvernance ne saurait être que le fruit d’un compromis entre les termes extrêmes de l’équation : . Continuer à importer en monnaie forte, dépendant des hydrocarbures et rester un pays mono-exportateur pour un temps que durera l’écoulement de nos réserves en pétrole et en gaz. .

Investir selon un programme ambitieux et intensif découlant d’une politique qui, à partir de matières principalement locales, permettrait une production performante de biens et de services destinés aussi bien au marché national qu’à l’exportation. Cela requiert des moyens financiers, des capacités de management et de réalisation considérables que les capacités actuelles du pays ne peuvent assurer. Un tel compromis ne saurait, à lui seul suffire, il faut l’adosser à une démarche de partenariat qui ne peut s’envisager en dehors d’un contexte favorable à l’investissement, donc de profits et de rémunération du capital investi. Le code des investissements et autres mesures incitatrices « zones franches... » ne sauraient capter les IDE si les résidants investisseurs n’arrivaient pas à émerger, en raison du cadre global, à l’instar du secteur bancaire et de l’administration (économie en partie émergée) qui n’est toujours pas en adéquation avec les impératifs d’une économie où la compétition sur le marché s’exerce entre concurrents dans les limites d’une maîtrise visible et généralisée. L’essentiel, c’est que le partenariat permette de limiter les risques techniques, commerciaux et autres, qu’il concerne tous les domaines, sans exclusion aucune (y compris par exemple les rénovations comme les GNL, les infrastructures portuaires, le raffinage, les engrais, la pétrochimie...) et enfin qu’une valeur ajoutée en découle.

Or, si la réforme de l’Etat ne cesse d’être postposée, comment pourrait-il objectivement et sereinement encadrer un programme de réformes à tous les niveaux de l’économie, en particulier celui du secteur des hydrocarbures. Le parachèvement des réformes suppose que l’encadreur, à savoir l’Etat, est en mesure de jouer son rôle à tous les niveaux. Le récent redéploiement autour de la Caspienne au potentiel hydrocarubres considérables nous interpelle à plus d’un titre. Les nouvelles routes du gaz et du pétrole amèneront des ouvertures politiques visant l’accès à la ressource hydrocarbures ; cela a été le cas pour bien des régions et des pays. En ce qui nous concerne, nous sommes une alternative de choix dans ce domaine. Il ne faut pas perdre de vue que les objectifs des sociétés pétrolières sont de maximiser leurs profits, le nôtre réside dans la pérennité économique et sociale du pays, au-delà des implications politiques au plan international, y compris au sein de l’Opep. C’est pourquoi, appliquons-nous autant que faire se peut, à mener des réformes réalistes, en rapport avec nos potentialités, objectif et comportements sociaux, sans pour autant perdre de vue ni la performance, ni la compétitivité, ni le fait que la mondialisation est sans retour. Les frontières sont une création de l’homme d’hier, celui d’aujourd’hui va s’atteler pour maximiser son profit à les faire disparaître.

La future loi sur les hydrocarbures nous impose déjà un préalable, à savoir l’impératif d’une bonne gouvernance, qui suppose la réforme comme première urgence de l’Etat et des institutions concernées par le contrôle et la régulation pour veiller à disposer d’un outil performant, à même de constituer un vis-à-vis crédible et compétent, comme c’est le cas dans les pays avancés qui ont ouvert le secteur des hydrocarbures aux multinationales et autres majors pétroliers ; malgré cela, ils n’arrivent pas à dissocier les intérêts d’un tel secteur de la géopolitique, tant ils sont liés et dépendants entre eux. S’il est vrai que l’on peut réaliser la performance sur le court terme, à moyen et long termes elle s’essouffle et c’est à l’aide de la transparence que la gouvernance est en mesure de perdurer.

S’il est vrai que l’intelligence et la culture sont utiles à un dirigeant, ils le sont moins que la force de caractère et le bon jugement. Il est historiquement prouvé que les meilleurs dirigeants n’ont pas été les plus intelligents, ou les plus cultivés et c’est valable pour bien des fonctions. La gouvernance est une forme d’administration toute relative, elle évolue dans le temps et l’espace dont elle dépend. Peut-être, comme partout ailleurs, c’est tout simplement l’émanation des comportements des différents acteurs de la société algérienne. La résultante pour une bonne gouvernance est un challenge permanent.

En conclusion, le mode de gouvernance ne peut être qu’un choix citoyen issu d’une majorité consciente des enjeux. L’histoire nous enseigne que lorsque celui-ci est imposé, quelle que soit la bonne volonté de ses concepteurs, il n’aboutit pas à la promotion de la dimension humaine.

Par Saïd Demmane, El Watan