Accueil > ECONOMIE > La Russie affine sa « diplomatie du gaz »
La Russie affine sa « diplomatie du gaz »
vendredi 15 avril 2005, par
Alors que la Communauté des États indépendants (CEI) est en pleine ébullition, la Russie révise à la hausse les tarifs privilégiés du gaz qu’elle accordait encore à ses anciens pays frères (l’ex-URSS moins les pays Baltes).
L’Ukraine vient de négocier une augmentation de 60% du prix du gaz qu’elle importe de Russie, à 80 dollars les 1 000 m3. En contrepartie, elle facturera à Gazprom, le monopole gazier russe, une majoration du « péage » pour l’utilisation du gazoduc qui traverse le pays et par lequel transitent 80% du gaz importé de Russie par l’Union européenne. La Moldavie, qui paie déjà 80 dollars pour 1 000 m3, va devoir payer dès l’année prochaine le prix du marché européen, autour de 145 dollars.
En revanche, le Kremlin a réservé un traitement de faveur à la Biélorussie, un pays loyal au Kremlin et peu affecté par la vague démocratique qui gagne la CEI. La Biélorussie, par où transite 20% du gaz que la Russie exporte vers l’Europe, pourra continuer de payer son gaz 46,68 dollars, en tout cas jusqu’en 2006. Vladimir Poutine a négocié cet accord directement avec le président Lukachenko. En contrepartie, celui-ci s’est engagé à favoriser « les exportations de gaz russe vers l’Europe de l’Ouest », selon les termes du président russe. Quatre nouvelles stations de compression vont être installées en Biélorussie d’ici à la fin de cette année. Elles permettront à Gazprom d’augmenter de 43% sa capacité de livraison à l’Europe de l’Ouest.
Ces évolutions traduisent une évolution marquée des relations énergétiques entre la Russie et ses voisins occidentaux immédiats. Une véritable « diplomatie du gaz ». « Sous le premier mandat Poutine, la dette gazière ukrainienne a été systématiquement instrumentalisée » au profit des intérêts stratégiques russes, souligne un récent rapport parlementaire français (1). En 1999 puis en 2000, Moscou a effacé 100 millions de dollars de dette de l’Ukraine en échange d’un bail sur 80% des installations militaires de Sébastopol.
En Biélorussie, l’arme énergétique avait été utilisée avec encore plus de brutalité. Gazprom menaçait de remonter ses tarifs de 50% de manière à contraindre Minsk de lui céder la moitié des actions de Beltransgaz, le gazoduc national, pour moins de 300 millions de dollars. Face au refus de Minsk, Moscou a purement et simplement coupé le robinet de gaz vers la Biélorussie le 1er janvier 2004. D’où une diminution des livraisons qui transitaient par la Biélorussie. L’incident a provoqué de vives protestations de la part de la Biélorussie, mais aussi par contrecoup de la Pologne, les deux pays se retrouvant privés de chauffage en plein hiver. L’image de Gazprom en a souffert durablement.
Mais les anciennes républiques soviétiques ne peuvent pas se permettre un long bras de fer avec Gazprom et inversement : les exportations vers les pays consommateurs de la CEI représentent 7,5% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Une majoration des tarifs permettra de couvrir l’augmentation de ses coûts (+ 19% en 2003), une dérive qui promet de s’aggraver avec l’augmentation du prix du gaz que lui livre le Turkménistan, un pays de la CEI qui a imposé un embargo à la Russie. Mais en général, les pays européens de la CEI tiennent beaucoup à la garantie offerte par Gazprom tant sur leurs approvisionnements que sur leurs recettes de transit du gaz vers l’Europe.
De son côté, Gazprom a besoin de l’assurance que ses livraisons à l’Union européenne - 56% de son chiffre d’affaires - pourront se développer harmonieusement. Le monopole russe est dépendant de cette garantie, surtout au moment où l’Europe, qui mesure sa trop grande dépendance à l’égard du gaz russe, est tentée d’aller en chercher ailleurs. L’Allemagne, qui achète 40% de son gaz à la Russie, est particulièrement vigilante. Elle a prévu de démanteler son parc thermonucléaire d’ici à 2012 et de passer au « tout gaz ».
Par Georges Quioc, lefigaro.fr
(1) Les relations entre l’Union européenne et la Russie : quel avenir ? René André et Jean-Louis Bianco. www.assemblée-nationale.fr