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L’IRA, énième victime du 11 septembre ?

mardi 22 mars 2005, par Hassiba

Le Sinn Féin boudé aux Etats-Unis. Au plus fort de la guerre contre les indépendantistes irlandais, le gouvernement britannique n’aurait pas rêvé mieux.

Mais ce que les pressions royales n’ont pas réussi à obtenir des 40 millions de citoyens de souche irlandaise, les attentats du 11 septembre l’ont servi sur un plateau d’argent. Encore et toujours traumatisée par les attaques de 2001 et par la guerre en Irak, la population peine à faire la différence.

Engagée dans la guerre antiterroriste, l’administration Bush s’est, de son côté, illustrée en recevant très officiellement, à la Maison-Blanche, la famille d’un homme poignardé par des militants de l’IRA à la suite d’une altercation dans un bar. Au milieu de cette polémique, le gouvernement travailliste, le plus proche allié de l’administration républicaine, faisait adopter une loi antiterroriste durcissant la précédente et l’élargissant aux citoyens britanniques. Les militants irlandais sont prévenus.

L’actualité remet à nouveau l’Armée républicaine irlandaise (IRA) sur le devant de la scène. La tendance actuelle est à la marginalisation, au dénigrement et à la déconsidération, notamment aux Etats-Unis où la cause irlandaise a toujours bénéficié d’un fort soutien. Ce pays compte 40 millions de citoyens de souche irlandaise et nombreux sont ceux qui, comme les Kennedy, revendiquent leurs origines irlandaises.

En visite officielle en Irlande, même George Bush revendique des ancêtres originaires de cette partie de l’Europe. De sources diplomatiques irlandaise et américaine, l’association Les amis du Sinn Féin récolte chaque année environ 1 million de dollars aux Etats-Unis (751 000 euros), dont près de 800 000 gagnent les caisses du parti en Irlande. Or, en visite dans l’Est américain pour la fête de la Saint-Patrick, Gerry Adams, président du Sinn Féin, n’a rencontré ni le président Bush ni le sénateur démocrate Ted Kennedy qui ont refusé de le recevoir. Selon Katlhleen Cavanaugh, qui enseigne les sciences politiques et le droit international à l’université nationale d’Irlande, Sinn Féin est « présenté comme un parti qui continue de soutenir la violence à des fins politiques et si j’étais Gerry Adams, je n’essaierais pas de lever des fonds en ce moment[...] ». Conscient du climat hostile qui règne contre son mouvement, Gerry Adams n’a lancé aucune opération de levée de fonds.

Les prétextes de la levée de boucliers
A l’origine de cette situation, le meurtre de Robert McCartney. Ce dernier a été battu et poignardé à mort dans la rue, la nuit du 30 au 31 janvier, après une altercation dans un bar devant plus de 70 témoins. Quel rapport le mouvement politique a-t-il avec ce crime ? Les cinq sœurs de la victime accusent l’IRA d’avoir tenté de couvrir les meurtriers de leur frère. Aussi sont-elles allées aux Etats-Unis pour obtenir le soutien du président Bush et des élus américains de souche irlandaise afin que les coupables soient traduits en justice. Devant la pression populaire, le Sinn Féin a suspendu 7 de ses militants impliqués dans le meurtre et a communiqué les noms de ces personnes à la police nord-irlandaise. L’IRA a été plus loin, en proposant de passer les coupables par les armes. La proposition a été rejetée par les sœurs de Robert McCartney.

Les détracteurs de l’IRA évoquent également le cambriolage de la Banque centrale nord-irlandaise. Ce qui est devenu le vol d’argent liquide le plus important de l’histoire du Royaume-Uni a permis à ses auteurs de rafler un butin de 26 millions de livres, (38 millions d’euros) sans faire de victimes. Le Sinn Féin a nié toute implication de l’IRA, accusant le gouvernement britannique d’utiliser ce cambriolage à des fins politiques pour détruire le processus de paix. Cependant, 3 millions de livres ont été saisies début mars à Dublin dans des milieux proches de l’armée républicaine irlandaise. L’enquête se poursuit.Sans connaître les détails de ces affaires, il semble néanmoins étrange qu’un mouvement politico-militaire soit condamné après avoir lui-même reconnu et condamné les auteurs du crime. Quant au cambriolage, il représente une méthode traditionnelle employée par les mouvements militaires illégaux.

Combien de crimes crapuleux et de cambriolages ont-ils été commis dans les rues dominées par l’IRA depuis plus de trente ans ? Innombrables sans doute, alors pourquoi la mort tragique de ce père de deux enfants a-t-elle autant de conséquences aujourd’hui ? Le premier élément de réponse consiste à préciser, situer et donc relativiser cette levée de boucliers, en soulignant que la dégradation de l’image de l’IRA n’est pas perceptible au niveau interne. « La grande majorité de l’argent du mouvement républicain [Sinn Féin et IRA] vient d’Irlande, l’organisation est loin d’être pauvre », assure un diplomate irlandais. De plus, les spécialistes s’accordent aussi à dire que, lors des élections municipales et législatives du printemps, Sinn Féin devrait rester le principal parti catholique d’Irlande du Nord. Hypothèse confortée par le fait que le processus de paix est au point mort depuis plus de 2 ans.

Cette situation maintient la puissance, l’influence et la légitimité de l’IRA sur la scène politique. A l’échelle internationale, les choses sont différentes. « Ceux qui acceptaient de payer 1 000 dollars le repas pour dîner avec Gerry Adams au Waldorf-Astoria à New York n’étaient pas des supporters venus de la base mais des classes aisées américaines, aujourd’hui particulièrement vulnérables à la rhétorique antiterroriste de l’après-11 septembre du gouvernement Bush », explique Kathleen Cavanaugh.

Les raisons de cette nouvelle hostilité
Les effets du 11 septembre ne se sont pas cantonnés aux Etats-Unis. Ils ont traversé l’Atlantique pour atteindre un Etat directement concerné par les agissements et la gestion du dossier nord-irlandais. Il s’agit bien évidemment du Royaume-Uni. Après un véritable bras de fer avec l’opposition, le gouvernement Blair a réussi à faire adopter son projet de loi antiterroriste.

Menée par les conservateurs et les libéraux-démocrates, l’opposition a accepté de voter le texte jugé liberticide après avoir obtenu la possibilité de le modifier en profondeur d’ici à un an. Parmi les questions contestées, citons la question de la charge de la preuve contre les personnes soupçonnées de terrorisme. Les opposants à cette loi souhaitaient que des preuves plus solides que de simples « soupçons » soient avancées pour priver un suspect de liberté. Le ministre de l’Intérieur a écarté toute négociation sur cet amendement.

Face à la détermination de l’opposition, le gouvernement Blair a également accepté que les nouvelles mesures prévues soit prises avec l’aval d’un magistrat (l’avant-projet de loi excluait ce dernier). Appelé « sunset clause », cet amendement a été appuyé par 24 travaillistes, dont Lord Irvine, ancien attorney général au sein du gouvernement travailliste et mentor juridique du Premier Ministre. La nouvelle loi antiterroriste a été immédiatement appliquée par le ministre de l’Intérieur britannique à dix ressortissants étrangers suspectés de terrorisme. Neuf d’entre eux avaient été libérés la veille après plus de trois ans de détention. Les « control orders » imposent d’importantes restrictions aux libertés, telles que l’assignation à résidence, l’interdiction de quitter leur domicile de 19h00 à 07h00, le port d’un bracelet électronique, l’interdiction du téléphone portable et de l’Internet ainsi que la limitation de contacts avec l’extérieur.

La nouvelle loi antiterroriste 2005 autorise le ministre de l’Intérieur à prendre de telles mesures, avant d’avoir obtenu l’aval de la justice, contre des suspects étrangers et britanniques. En conséquence, la loi s’appliquera aux indépendantistes nord-irlandais. Cet aval doit cependant être obtenu a posteriori. Dans ce sens, elle n’est pas différente des lois précédentes. La loi antiterroriste de 2000 permet l’incarcération sans mise en examen et sans procès d’étrangers soupçonnés d’activités terroristes. Durcie en 2001 après les attentats du 11 septembre, elle a permis le maintien en détention d’une douzaine d’étrangers, certains depuis plus de trois ans, dans des prisons britanniques, dont Belmarsh. Cette législation a été dénoncée en décembre par les Law Lords, la plus haute instance judiciaire britannique, comme contraire à la convention européenne des droits de l’Homme. Selon de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme, dont Amnesty, cette législation a permis de créer en Grande-Bretagne un petit « Guantanamo bis ».

Par Louisa Aït Hamadouche, latribune-online.com