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Hassi Messaoud a raté l’occasion d’être une mégapole

lundi 21 février 2005, par Hassiba

Combien pèse Hassi Messaoud ? Des milliards de dollars ? Sûrement plus. « Messaoud pèse l’Algérie entière », a dit le premier vice-président de cette commune. L’un des responsables de la Sonatrach, lui, affirme ne pouvoir avancer un chiffre : « Beaucoup, c’est tout ce que je peux vous dire. »

Ils n’ont pas tort, Messaoud pèse beaucoup. C’est le carrefour de toutes les industries venues se greffer sur la première entreprise qui a « mis au monde » Messaoud, ou Hassi comme l’appellent ses habitants, en l’occurrence la Sonatrach. Avant Sonatrach, Hassi Messaoud n’existait pas. Un lieu-dit où s’était implanté un centre industriel saharien (CIS). Il y avait deux CIS en Algérie, celui de Hassi Messaoud et celui de Hassi R’mel. A la faveur du découpage administratif de 1985, la commune de Hassi Messaoud a vu le jour quinze ans après le CIS. Les travailleurs de la Sonatrach, la naissance de leurs enfants et leur scolarisation ont « citadiné » par la force des choses ce pôle industriel.

Aujourd’hui, avec plus de 53 000 habitants (sans compter les résidants dans les bases de vie des différentes entreprises et ceux des bidonvilles) et plus de 600 entreprises, dont près de 200 étrangères, entre publiques et privées, Messaoud est incontestablement l’une des communes les plus riches du pays. Elle est, tout simplement, le cœur de l’Algérie. Les habitants, venus des quatre coins du pays et de plus de 70 pays étrangers, reconnaissent que c’est grâce à la Sonatrach -et toutes les autres industries qui ont suivi- qu’ils ont trouvé un travail. Pas n’importe lequel mais un travail très bien rémunéré. Le salaire d’un cadre au Sud peut atteindre les 6 millions de centimes, celui d’un directeur frôle les 12 millions de centimes. A cela s’ajoute la prise en charge totale des travailleurs. Les célibataires bénéficient de toutes les commodités au niveau des bases de vie, sinon les travailleurs mariés ont droit à un logement de fonction. A l’exception de la facture de l’eau, toutes les autres factures sont prises en charge par la Sonatrach. Cette prise en charge est de vigueur également dans les autres entreprises à l’exemple de l’ENAFOR (forage), ETP (travaux publics) ou encore BP (British Petroleum).

A Hassi, il est facile de se faire de l’argent, beaucoup d’argent même sans être diplômé dans le domaine pétrolier. A partir d’une simple idée, des Algériens ont investi à Messaoud et « ça marche très bien », comme nous le diront de nombreux privés, dans cette ville industrielle. A l’exemple de celui qui a pensé investir dans l’hôtellerie ou encore celui qui a pensé créer une entreprise de catering. Les autres ont suivi. Anarchiquement, il faut le dire, mais des supérettes, des concessionaires, des magasins de prêt-à-porter ou encore des pizzerias et autres boulangeries se sont implantés, comme des champignons, partout dans la ville de Messaoud. Et tant que l’anarchie règne, ces derniers, sans respect rigoureux des règles, des lois du marché, s’en mettent « plein les poches ».

Comment ne pas s’enrichir quand les Délégations exécutives communales (DEC), à une certaine époque, ont distribué des terres dans le cadre des programmes globaux décidés par l’Etat et que, sans permis de construire, le premier venu pouvait construire son entreprise ou son commerce. Pour redresser la barre aujourd’hui, l’actuel exécutif avoue son « impuissance ». « Nous avons hérité d’une situation et nous essayons de redresser et de remettre de l’ordre mais ce n’est pas toujours facile. L’année dernière et parmi les 140 affaires présentées à la justice, le jugement de nombreuses d’entre elles a été en défaveur de la commune », a affirmé le premier secrétaire général de Hassi, M. Mekki. La raison ? « A une certaine époque, il n’y avait pas que la commune qui pouvait décider des biens de cette ville. A Hassi Messaoud, il y a eu la distribution des terres pour des agriculteurs et des éleveurs dans le cadre de programmes globaux et Sonatrach épousait alors la même politique du pays. Vous savez qu’étant une région stratégique, et à la faveur du CALPI [Comité d’assistance, de localisation et de promotion de l’investissement], un nombre important d’investisseurs se sont installés à Hassi venus des quatre coins du pays. A cela s’ajoute la création de l’agence foncière qui a également joué un rôle dans la distribution des terres. Il est vrai que ce n’est pas la totalité des bénéficiaires qui ont obtenu un permis de construire et il est vrai aussi que l’anarchie s’est alors installée.

Aujourd’hui en voulant redresser la situation, il se trouve que la commune elle-même ne détient pas de documents prouvant la propriété des terres » ajoute El Hadj Mekki. Le passage « politique » de cette région du statut de CSI à celui de commune n’a pas suivi administrativement. Ainsi les terres de Hassi ne sont pas encore cadastrées. Autrement dit, le plan cadastral de Hassi n’est pas encore établi. Selon quels critères ce cadastre pourra-t-il être établi ? Surtout qu’aujourd’hui Sonatrach réclame ses « zones sécurisées » après avoir, elle-même, adopté, quelques années auparavant, le plan d’exploitation de Hassi. Les bénéficiaires qui ont construit à proximité de puits exploitables seront-ils délocalisés ? dédommagés ? La commune de Messaoud existera-t-elle toujours dans ce lieu-là ?En tirant la sonnette d’alarme sur le risque qu’encourt la population vivant à proximité de ses exploitations, Sonatrach prend-elle en compte uniquement les paramètres économiques ? Car même si les arguments avancés visent en priorité à garantir la sécurité de la population de Hassi Messaoud, il reste à définir les mesures concrètes à adopter à l’égard de ceux et de celles qui y vivent actuellement.

Autre problématique, celle de la responsabilité et du rôle de l’Etat face à une telle situation. Qui a laissé la situation se développer à un tel point ? A entendre ce travailleur syndicaliste de l’entreprise, il est clair que « le problème est sensible et une décision rapide et idoine devrait être trouvée. Car le risque pour les populations existe, certes, mais il est le même qu’ailleurs à l’exemple de celui de la centrale d’El Hamma. Le vrai problème pour la Sonatrach aujourd’hui est qu’elle perd beaucoup d’argent. Sous la ville même de Messaoud, il y a un gisement pétrolier et à l’intérieur même de la cité, il y a des puits auxquels, pour leur maintenance dans une production normale, la Sonatrach ne peut avoir accès. Là, c’est un manque à gagner très important car ne pas maintenir ces puits équivaut à leur ‘‘mort’’. Je pense, qu’entre la construction d’une nouvelle ville qui coûterait près d’un milliard de dollars et la récupération de la totalité du gisement de plus de trente milliards de dollars, le choix n’est pas difficile. » La Sonatrach enregistre d’autres pertes aussi importantes depuis l’expansion de Hassi et la multiplication des agressions, des vols et du banditisme. Selon ce travailleur, « de nombreux panneaux solaires qui, paraît-il, coûtent très cher en Libye, au Nigeria et ailleurs ont été volés. La Sonatrach les achète à des milliers de dollars et maintenant elle perd encore de l’argent en assurant leur surveillance et celle des puits. Tout ceci représente une problématique que l’entreprise veut définitivement résoudre ».

Sonatrach veut récupérer « sa zone ». C’est pourquoi un Conseil interministériel (CIM) s’est penché sur la situation de la première ville pétrolière d’Algérie, le 30 novembre 2004, sur la demande de Chakib Khelil. Depuis, Ahmed Ouyahia a pris personnellement en main le dossier. Devant la menace pesant à la fois sur la sécurité de la population de Hassi Messaoud et sur les installations pétrolières, le gouvernement a mis en place un plan d’action visant à « la sécurisation du champ pétrolifère de Hassi Messaoud et au transfert de la ville » hors du périmètre pétrolier. En clair, l’évacuation à moyen terme de la ville. Le chef du gouvernement a explicité et défini les mesures à mettre en œuvre dans une instruction (n°5) et une décision (n°6) datées du 4 décembre 2004, adressées à l’ensemble des membres de l’exécutif. Le CIM s’est résolu à déclarer « l’opération de transfert de la ville de Hassi Messaoud et de sécurisation du champ pétrolifère ainsi que des installations de Hassi Messaoud comme dossier d’intérêt national ». Le CIM a, dans ce cadre, adopté « les 17 mesures recommandées à l’issue des travaux du comité d’experts interministériel réuni à Hassi Messaoud en mai 2004 ». Ces mesures sont adoptées en tant que « plan d’action à court et moyen terme pour le transfert de la ville de Hassi Messaoud et la réhabilitation de la zone pétrolière ». Selon l’instruction n°5 du chef du gouvernement, Hassi Messaoud sera classée par décret « zone à risques majeurs ». Une nouvelle ville sera créée. Elle sera implantée « à l’extérieur du périmètre d’exploitation du champ ». Le plan d’action prévoit, dans ce cadre, de geler l’attribution de tout permis de construire pour les activités non indispensables à l’activité pétrolière. Les instances concernées devront prendre en charge les problèmes de sécurité et réglementer strictement la circulation sur les routes et les dessertes pétrolières.

Les autorités compétentes doivent, dans le même ordre, établir un état des lieux « exhaustif » sur l’environnement de Hassi Messaoud et réviser le plan d’urbanisation actuel. Il s’agit également d’élaborer les modalités de délocalisation de certaines infrastructures de la zone centrale sur le budget de l’Etat. Ce gel décidé par le gouvernement alimente les discussions à Hassi. Surtout chez les investisseurs privés comme ce propriétaire d’une société de catering. Ce dernier appréhende aujourd’hui l’élargissement de son entreprise : « Je ne sais même pas si nous allons être dédommagés. » Cette peur est également ressentie par des privés qui ont construit des villas sur les pipelines et à proximité des installations pétrolières. La rumeur de la délocalisation fait même état de la destruction d’immeubles construits par la commune. Mais le coup le plus dur du gel décidé par le gouvernement a été ressenti par les entrepreneurs. Pas moins de 220 entrepreneurs ne sont plus en activité. Ce qui représente pas moins de mille emplois pénalisés. Réellement, même au niveau de l’APC, les choses ne sont pas encore claires. El Hadj Mekki qui a tenu, mercredi dernier, une réunion au niveau de la wilaya à ce sujet rassure : « Il s’agit de l’extension de la ville de Hassi. Rien n’est encore décidé concernant la délocalisation. Nous n’avons aucune orientation à ce sujet.

Pour le moment, il est juste question de faire une étude des sites. Il nous a été demandé de faire une enquête exhaustive sur le terrain pour définir chaque catégorie de propriétés (privées avec permis de construire ou sans permis, étatiques...). Concernant le degré du risque qu’elle encourt, ce sera à la Sonatrach d’établir ses zones de sécurité. Ce qu’elle n’a pas encore fait. La délocalisation donc n’est pas à court terme et, concernant l’implantation de la nouvelle ville, les services de la wilaya étudient toujours trois propositions faites par le ministre de l’Energie. » Tout est gelé donc à Hassi. Les membres de l’actuel Exécutif ont arrêté les travaux de tous les chantiers. Le nouveau lycée ou encore le nouveau marché n’ouvriront pas leurs portes. De même, les travaux du « Sheraton » -comme le surnomme la population de Messaoud-, un somptueux hôtel en cours de construction, sont à l’arrêt. Au fait, les mesures d’urgence prévoient carrément l’abrogation du décret portant création de la zone touristique de Hassi Messaoud. La ville ne deviendra donc pas mégapole. Elle en était loin, il faut le dire. Malgré toutes ses richesses, Messaoud ne traduisait que pauvreté et anarchie. Etat des routes dégradé, constructions anarchiques et sans cachet typique, bidonvilles... Un tout qui reflète l’absence d’une régulation à Messaoud. La raison ? Chacun, l’explique à sa manière. Pour l’élu, El Hadj Mekki, « même s’il est vrai que la commune de Hassi est riche, cela reste proportionnel. Car la commune, qui est née de rien, doit financer tous ses projets dans les différents domaines. Avec un budget (2004-2005) de 160 milliards de centimes, il n’est pas toujours facile de gérer. Il y a de nombreux projets inscrits dans les programmes précédents et qui ne sont toujours pas réalisés. Actuellement, nous essayons d’assainir la situation et nous avons inscrit de nombreux projets pour l’amélioration de la vie à Hassi, dont la réfection des routes, mais depuis quelques mois tout a été gelé ».

Si l’actuel exécutif refuse d’endosser la responsabilité sur l’état des lieux, les citoyens, pour leur part, l’incriminent. « C’est la faute aux élus qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts et à dilapider les richesses de la commune », ont déclaré de nombreux habitants de Hassi. Des travailleurs de Sonatrach expliquent cette situation par la décision de l’Etat d’aller vers une extension de la zone industrielle. « Il ne fallait pas urbaniser Hassi. Tout était bien géré par Sonatrach auparavant mais depuis une dizaine d’années, l’arrivée en masse de citoyens des différentes régions du pays a créé l’anarchie », affirment-ils.

Le directeur régional, département Forage, M. Cheïkh, estime que « s’il est vrai que la commune est très loin de traduire sa richesse, il faut dire que cela est dû à la mauvaise gestion. A mon avis, si cette ville industrielle n’est pas devenue mégapole, c’est uniquement à cause de la stratégie politique décidée dès le départ. Je pense que c’est un choix politique ». Le vice-président de la société BP exploration (une filiale de BP Exploration Company Ltd, laquelle est contrôlée à son tour, en dernière instance, par the British Petroleum Company plc, BP, l’un des plus grands groupes pétroliers au niveau mondial), M. Mohamed Kheddam, a soutenu que la ville de Hassi Messaoud s’est étendue plus qu’il ne le faut. « Se développer est une chose mais la manière de se développer en est une autre. Dommage de voir aujourd’hui autant d’anarchie, d’absence de rigueur de la part de l’administration. Je pense que toute ville doit avoir un plan directeur traçant les principaux axes routiers, les zones commerciales, les zones industrielles, les constructions... Peut-être que ce plan directeur existe. Est-ce qu’il a été respecté ? Je n’en suis pas sûr. La ville draine un certain nombre de citoyens venus du Nord pour chercher du travail et, il ne faut pas le cacher, certains entrepreneurs profitent de cette situation et donc il y a beaucoup de sociétés qui font de la prestation de services et qui attirent les travailleurs. Ce qui a causé un développement anarchique puisque ces chercheurs d’emploi doivent se trouver un lieu pour résider. Et qui dit louer, dit un potentiel à construire pour louer. Il y a, à mon avis, un autre facteur expliquant la raison de cette anarchie, c’est celui de la recherche d’une zone sécurisée durant la décennie du terrorisme. Mais il n’en reste pas moins que le facteur le plus important, c’est l’absence d’une administration rigoureuse. La loi incarnée par l’administration locale n’a pas joué son rôle. » La ville de Hassi Messaoud, sans style architectural vit au rythme de ses propres règles. D’une façon chaotique et désordonnée.

Par Hasna Yacoub, La Tribune