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Entretien avec M. Abdesselam Mejdoub, président du comité national des boulangers
jeudi 10 mars 2005, par
Dites-nous clairement quel a été l’objectif de la grève de deux jours, les 26 et 27 février dernier, que vous avez menée puisque le communiqué du gouvernement insinue votre visée d’augmentation du prix de la baguette alors que vous évoquez celle de la marge bénéficiaire des boulangers ?
Dans toutes nos démarches qui datent depuis plus d’une année, qu’elles soient verbales, écrites, officielles, non officielles, directes ou indirectes, il n’a jamais été question de relever le prix du pain. Cette question a été tranchée définitivement le jour où le ministre du Commerce avait déclaré lui-même, le 4 juillet 2004, qu’il n’y aura pas d’augmentation du prix du pain. Cette décision, que nous respectons, a été confirmée par le communiqué du conseil de gouvernement du mercredi 28 juillet 2004. A ce communiqué, nous avons répondu par un autre communiqué dans lequel nous avons salué la démarche du gouvernement mais tout en attirant son attention sur le fait qu’il n’est plus possible que les charges de la fabrication du pain continuent à être supportées par les boulangers seuls, et qu’il faut désormais trouver des solutions alternatives pour donner satisfaction aux droits légitimes qu’ils revendiquent et proposer des solutions qui, je pense, sont faciles à trouver.
Quelle évaluation faites-vous de cette grève ?
La première évaluation est une satisfaction totale puisque le taux de suivi a traduit une mobilisation de 80% comme moyenne nationale pour le premier jour et de 90% pour le deuxième jour. Evidemment, ces taux varient d’une wilaya à une autre.
Comment expliquez-vous que des correspondants de presse aient relevé de faibles taux de suivi dans plusieurs wilayas ?
Dans les grandes villes, il y a eu une large mobilisation à l’instar de la capitale, et je vous parle d’une moyenne nationale. Bien sûr, dans certaines wilayas, je vous donne les chiffres en toute transparence, on a observé un taux de mobilisation de pas plus de 10%.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, ces faibles taux puisque, par son objectif, cette grève était supposée mobiliser l’ensemble des boulangers ?
Là où il n’y a pas eu grève, c’était surtout en raison d’un manque de communication. Tout le monde sait l’immensité de notre pays et que des boulangers, ça existe dans les coins les plus reculés et se trouvent isolés. On peut dire aussi que les gens n’étaient pas préparés à cela.
Expliquez-nous pourquoi réclamez-vous une augmentation de la marge bénéficiaire et pourquoi maintenant ?
Il faut savoir que depuis 1996, date de fixation des prix administrés du pain et de la farine destinée à la panification, la facture des charges nécessaires à la fabrication du pain n’ont pas cessé d’augmenter. Pour faire du pain, il ne suffit pas d’avoir de la farine. Il faut de la levure, de l’eau, du sel, il faut payer l’ouvrier, l’électricité, le gaz, les charges fiscales et parafiscales, il faut entretenir le matériel, trouver la petite pièce et j’en passe. Toutes ces matières et services ont subi d’énormes et successives augmentations. Certains ont vu leur prix multiplié par six. La dernière augmentation a touché le mazout, alors que 80% des fours des boulangers, là où le gaz de ville n’est pas encore arrivé, fonctionnent au mazout. Notre grande crainte est de voir la profession noble de boulanger disparaître. Beaucoup d’entre eux tiennent jusque-là le coup d’abord parce qu’ils aiment leur métier, car ce sont pour la plupart des boulangers de père en fils. Rien qu’au niveau d’Alger, nous avons enregistré plus de 300 fermetures de boulangeries. Je peux même vous donner la liste avec les noms, elles sont à Belcourt, à Alger-centre, à El Biar, Bouzaréah, Hammamet, 1er Mai, etc. Malheureusement, cette situation a assez duré et on compte parmi ces gens des anciens où la relève n’est pas assurée ; et c’est pour cela que nous craignons que cette activité paie lourdement un dysfonctionnement dont elle n’est pas responsable.
Si on prend en compte toutes ces charges, combien devrait coûter la baguette ?
Pas moins de 11,95 dinars. Nous avions établi cette structure de prix qui a été remise au ministère du Commerce le 10 janvier 2004 et est restée entre les mains d’experts et spécialistes en la matière.
A vous entendre, on croirait bien que les boulangers travaillent actuellement à perte. Comment font-ils pour subsister ?
Nous continuons à supporter la différence qui n’est plus supportable. Ceux qui continuent à travailler arrivent à compenser les pertes par la vente de gâteaux parallèlement à celle du pain amélioré et autres pains spéciaux. Il y a ceux aussi qui travaillent carrément au noir. C’est le cas de nombreuses boulangeries nouvellement ouvertes qui ne disposent ni de registre du commerce ni, évidemment, de matricule fiscal.
Ils ne paient donc pas d’impôts, ne déclarent pas leurs employés à la sécurité sociale, sans parler des dangers sur la santé publique dans le cas de non-respect des normes de fabrication
Tout à fait. Et vous savez très bien que celui qui travaille au noir avec un prix de la baguette à 7,5 et 8,5 dinars s’en sort facilement. Ce sont des gens qui essayent de retrouver illégalement une rentabilité alors que nous, nous demandons à ce que ce métier noble et honorable soit exercé dans la légalité, c’est-à-dire qu’on lui détermine son bénéfice de manière légale et réelle, tout en se soumettant à tous les contrôles des autorités.
Comment est calculé le prix de revient de la baguette ?
C’est un calcul très simple du moment qu’on n’additionne pas le problème politique et social. Il est déterminé comme on détermine celui de n’importe quel autre produit fabriqué.
Pourquoi retrouve-t-on du pain sur les trottoirs à dix dinars ?
En bien parce qu’il n’est pas vendu par des boulangers, ce sont des revendeurs.
Oui, mais ces revendeurs se le procurent chez des boulangers. La différence n’est-elle pas partagée entre l’un et l’autre ?
Non. Le boulanger reste respectueux du prix fixé par l’Etat. Nous avons toujours demandé aux boulangers de respecter la réglementation actuelle qui fixe le prix du pain et de la farine et aussi de respecter les normes de fabrication et de commercialisation en dépit des lourdes charges. Il ne faut pas oublier qu’il y a un contrôle qui se fait et le boulanger qui enfreint cette réglementation risque gros. Cette situation de marché informel devient la honte du pays et fait qu’on retrouve du pain, plus cher, sur les trottoirs, dans des magasins inadaptés ou chez les épiciers. C’est une honte pour tout le monde. C’est un problème contre lequel nous nous sommes nous-mêmes soulevés.
C’est-à-dire qu’il faudra rappeler à l’ordre certains boulangers qui, disons-le, facilitent la tâche des revendeurs
Vous savez, le boulanger est un commerçant. Si vous lui demander mille baguettes, il vous les vend. Il n’a pas le droit de vous le refuser. Bien sûr, il y a ceux qui ne jouent pas le jeu et poussent l’ironie jusqu’à aller livrer chez les épiciers. A ceux-là, nous disons assez car ce n’est pas cela l’activité du boulanger.
Ça veut dire que cette dernière grève est un ultime appel de votre part
Nous avons fait des préavis de grève qui avaient été auparavant reportées ou annulées parce que nous sommes rentrés dans des négociations et nous avons été mis face à la réalité des prix. Malheureusement, au bout de quelques mois, il y a eu des déclarations officielles disant qu’il n’y aura pas augmentation du prix du pain. On a dit alors que cela aurait dû être clair dès le départ pour ne pas perdre plusieurs mois de négociations pour rien. Par la suite, nous avons sollicité les autorités en charge de ce dossier pour trouver des solutions alternatives et nous avons dit et écrit que nos droits légitimes ne passent pas nécessairement par le prix de la baguette pour peu qu’on essaie. La dernière déclaration du chef du gouvernement lors de son discours à la 25ème session du CNES a réaffirmé qu’il n’y aura pas d’augmentation du prix du pain. Mais ce qu’il a dit de nouveau et ce qu’il a déclaré officiellement, c’est une reconnaissance de la légitimité de la revendication des boulangers et que la facture ne doit pas être payée par eux seuls. Depuis, nous avons attendu un signal ou une invitation à trouver des solutions. Malheureusement, ça a duré, c’est pour cela que nous avons été contraints d’opter pour la grève de deux jours.
Et depuis ?
Nous sommes au même point. Mais nous avons beaucoup d’espoir. Officiellement, il n’y a eu aucun contact, mais nous avons beaucoup d’espoir à ce qu’il y ait des solutions rapides, justes et équitables pour tout le monde. Parce que le métier est noble et honorable et les gens qui l’exercent ont de la patience. Nous savons que la question du pain est sensible avec toutes les conséquences socioéconomiques. C’est pour cela que nous privilégions la sagesse.
Il est clair que pour le gouvernement, il s’agit d’un dilemme entre le pouvoir d’achat des consommateurs et la revendication des boulangers. A votre avis, quelle attitude devrait-il prendre ?
C’est à lui de voir, moi je ne dirai rien ; juste que nous sommes prêts et ouverts à toute solution juste et équitable.
Par exemple ?
Je vous ai dit que les solutions existent. Je préfère que ce soit des propositions qui viennent du gouvernement puisqu’il a décidé de maintenir le prix du pain actuel, c’est à lui de trouver les solutions alternatives. Il y a une multitude de produits qui entrent dans la fabrication du pain, de services et de taxes sur lesquels il est possible d’agir. Tout en maintenant les prix actuels du pain et de la farine.
Yasmine Ferroukhi, La Tribune