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En Algérie, les scandales de corruption se suivent, l’impunité reste

vendredi 4 juin 2004, par Hassiba

Malgré l’intensification et la récurrence du débat sur les droits, la justice et son respect, l’impunité reste l’obstacle principal au traitement des séquelles des violations de ces principes cardinaux en Algérie.

Qui n’a pas en mémoire les scandales financiers qui ont éclaboussé l’histoire de l’Algérie indépendante, le nombre de commissions d’enquête mises en place et dont les rapports n’ont jamais quitté les tiroirs de ceux qui les ont élaborés.Un état de fait qui n’a pas manqué de susciter l’ire du citoyen, lequel n’a pas d’autre choix, face à la difficulté de la vie, à l’absence de débouchées et à la situation de non-droit, que de prendre les corrompus et les corrupteurs comme exemple.

Ce dernier, qui ne s’est pas encore expliqué le scandale El Khalifa, ni celui de la BCIA et encore moins ceux de l’ENAPAL, de la BEA ou encore de l’OREF, se demande toujours si ceux qui étaient à l’origine des scandales sont au-dessus des lois. Car il reste convaincu encore aujourd’hui que les vrais coupables « sont protégés ». Pour le simple Algérien, de nombreuses affaires n’ont toujours pas livré tous leurs secrets. Sur les scandales financiers de la Banque commerciale et industrielle d’Algérie (BCIA) et El Khalifa Bank, le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia s’était exprimé. Il avait alors annoncé les pertes causées par la BCIA à la Banque extérieure d’Algérie (BEA) qui se chiffrent à 900 millions de dinars. Il avait également parlé d’un trou financier de 7 milliards de dinars constaté dans cette banque, qui, selon lui, s’est spécialisée dans « l’import-import ».

Sur l’autre scandale financier qui a frappé El Khalifa Bank, qu’il avait qualifié d’« arnaque du siècle », le chef du gouvernement avait parlé de l’ouverture d’une enquête pour élucider la responsabilité de tout un chacun dans cette affaire. L’enquête suit son cours. Les pertes publiques sont énormes. Aux dernières nouvelles et selon le liquidateur du groupe, le préjudice causé par Abdelmoumene Khalifa s’élèverait à trois milliards de dollars. Ce dernier, qui refuse d’assumer seul la responsabilité d’une telle catastrophe économique, a promis des révélations fracassantes où les noms de hauts cadres d’Etat seront cités. Il n’en fera rien. Il continue de jouir de toutes ses libertés en Angleterre et a même relancé sa chaîne de télévision privée. Le simple citoyen ne croit pas du tout que le jeune Moumen a pu réaliser seul son empire. Dans les rues d’Alger, les citoyens laissent entendre que ce « nouveau riche » a fréquenté le clan du pouvoir. Alors que certains affirment qu’il a été aperçu à Alger en compagnie d’un influent général, d’autres soutiennent qu’il était très proche d’un autre haut cadre de l’Etat. Il aurait compté parmi ses salariés des proches de personnalités et des enfants de généraux.

Dans l’affaire de la BCIA, également, ce qui était un simple litige commercial au début entre cette banque et la BEA et qui a fini par virer à une véritable banqueroute demeure pour l’Algérien une nouvelle histoire de corruption. Le scandale financier des traites avalisées par la BCIA et escomptées par la BEA aurait causé un préjudice financier de l’ordre de 11,6 milliards de dinars. L’enjeu financier était colossal et sur la liste des bénéficiaires des traites ont figuré les noms de nombreux opérateurs économiques très connus sur la place d’Oran. L’Oranais a toujours su que lorsque les affaires se mêlent à la politique, cela se traduit toujours par des scandales. Et comme les scandales d’El Khalifa et de la BCIA ne sont pas les premiers, la mémoire algérienne garde encore fraîchement les fracas des hommes d’affaires et des politiques algériens.

L’affaire de l’ENAPAL où près de 25 millions de dollars se sont volatilisés lors d’un marché fictif n’est pas oubliée. Et même si l’ex-directeur général de cette entreprise a été condamné, nombreux restent persuadés que les principaux « magouilleurs » n’ont pas été inquiétés. L’affaire de la BEA des Pins Maritimes, plus connue sous l’appellation de « l’affaire Mouhouche », avait fait à l’époque beaucoup de vacarme.Des milliards -les gens parlent de trente milliards de centimes algériens- qui ont été subtilisés à la BEA des Pins Maritimes et la totalité de l’argent ont été mis à l’abris dans des comptes à l’étranger. Un détournement fait après l’obtention d’un prêt bancaire en devises auprès de cette banque. Le jeune Mouhouche, un enfant d’un quartier populaire, frimait au volant d’une voiture luxueuse dans son quartier populaire à une époque où les richesses exhibées n’étaient pas encore chose courante. Tout a un début. L’histoire a commencé à faire des remous. Le petit peuple comme les apparatchiks du système ont eu vent du scandale. En 1991, il y eut un procès. Les citoyens ont parlé à l’époque de pressions exercées sur les témoins et sur les magistrats pour que les complices de Mouhouche, des enfants de la « jet-set algérienne », soient préservés. L’escroquerie commise a été payée rubis sur l’ongle par cet enfant du peuple sorti de l’anonymat alors que les Algériens à l’époque ont beaucoup parlé de l’implication d’un des enfants de la haute sphère qui aurait été éloigné à l’étranger. Selon les dires, les pressions étaient trop fortes et parfois insupportables ; des sanctions suivies de mutations étaient prises contre tous ceux qui ont voulu faire du zèle ou juste leur travail !

D’autres affaires ont précédé ou suivi l’affaire Mouhouche, à l’exemple de l’affaire du gazoduc algéro-italien ou encore celle de Ryad El Feth (OREF) et bien d’autres... Le simple citoyen s’est donc résigné à suivre les exemples des « véreux » et des « ripoux », voyant qu’ils restent impunis. Il s’est convaincu, à travers tous les exemples des scandales qu’a connus le pays et à travers les temps qui ne changent pas, que dans le monde des affaires, l’immoralité et le vice sont devenus des vertus cardinales. L’échelle des valeurs s’est renversée. Il sait pertinemment aujourd’hui que l’Algérie ne fait pas exception à cette règle qui veut que le politique ait besoin d’argent, même sale, pour son prestige autant que l’homme d’affaires ait besoin d’appuis politique pour préserver ses intérêts et faire fructifier ses affaires. L’illustration lui a été magistralement faite par la valse d’hommes d’affaires qui sont arrivés avec fracas dans le paysage économique algérien. Aujourd’hui encore, le simple citoyen entend parler de scandales.

Celui de « l’or irakien » qui pourrait impliquer d’importantes personnalités algériennes n’a pas encore révélé tous ses secrets. C’est le cas également pour l’enquête qui devrait définir les responsabilités des intervenants ayant entraîné des pertes en vies humaines ou ayant engendré d’importants dégâts matériels après le séisme du 21 mai dernier. Les citoyens se disent déjà sceptiques quant aux résultats de ces deux enquêtes et de toutes celles qui suivront. Pour eux, le pays est encore loin de pouvoir effacer d’un revers de la main -avec toute la bonne volonté que peuvent avoir ses gérants- toutes les formes de clientélisme, de passe-droits ou de corruption. Ils restent convaincus que seuls les plus naïfs sinon les plus démunis s’accrochent à l’idée du droit et de la morale. De même que seuls les lampistes paient pour les « gros bonnets » dont le flot d’argent et les connaissances influentes leur permettent d’acheter la liberté et la quiétude.

Les Algériens n’ont pas la mémoire courte, ils savent. Alors, ils suivent l’exemple ou ils se révoltent.

Par Hasna Yacoub, latribune-online.com