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Comment le système a fait réélire Bouteflika

samedi 10 avril 2004, par Hassiba

Cette victoire de Bouteflika par un score sans appel consacre celle d’un système politique dont on disait qu’il prenait l’eau de partout.

Dès 1999, de manière graduelle, puis avec une certaine brutalité, Bouteflika a esquissé les contours d’une politique autoritaire devant aboutir à sa réélection en 2004.

Premier chantier auquel il s’est attaqué sans prendre de gants, le champ d’expression politico-médiatique : les médias publics sont interdits d’accès à l’opposition, estimant que la télévision et la radio doivent servir le pouvoir politique. En direction de la presse indépendante, il a durci le code pénal dès 2001 dans l’attente de mesures plus coercitives devant bâillonner totalement la liberté de la presse. Puis ce fut la série de limogeages de magistrats, de walis et de chefs de daïra remplacés par des hommes acquis au Président.

Pis, s’attribuant les prérogatives constitutionnelles du Premier ministre, en plus de la conduite de la politique générale, toutes les nominations aux différents niveaux des institutions du pays - wilaya, daïra, administration locale, entreprise publique, justice - relevaient désormais de sa compétence. Bouteflika y veillait personnellement. De plus, l’idée que le programme du gouvernement soit soumis, pour aval, au Parlement lui était insupportable. Qu’à cela ne tienne, c’est par ordonnance que le chef de l’Etat légiférera et contournera l’obstacle parlementaire. Pour avoir osé rappeler ses prérogatives, Ahmed Benbitour est limogé en 2000 de son poste de Premier ministre.

En fermant les yeux sur ces violations, le Parlement, notamment la majorité FLN et RND, a de fait cautionné la dérive autoritaire annoncée. Quant à la réforme de la justice qui devait se traduire par un début de séparation des pouvoirs, le chef de l’Etat y a mis fin. De la sorte, il pouvait instrumentaliser à sa guise la justice, procéder aux nominations des magistrats acquis à sa politique et verrouiller le champ judiciaire.

Dans le même temps, il aura réussi à diviser l’opposition. Le RCD sort affaibli de sa participation au gouvernement. Non seulement Khalida Toumi et Amara Benyounès choisissent le camp présidentiel, mais la crise kabyle que le parti de Sadi n’a pas vu venir à temps lui a porté un sérieux coup. Le FFS, qui a accepté de participer aux élections communales, en dépit de la répression de la révolte kabyle, en sort également affaibli. De plus et de manière générale, le chef de l’Etat a su jouer des faiblesses d’une opposition divergeant sur la conduite à prendre. En direction des islamistes, les larges concessions faites en leur direction ont été payantes. L’ensemble de ce qui reste de la base et de l’encadrement de l’ex-FIS, y compris les « émirs » de l’AIS, se sont investis dans le soutien au Président sortant. Tandis que le MSP allié au RND, parti de l’Administration, et les redresseurs du FLN, formaient une alliance électorale.
Le FLN, version Benflis, n’a pas échappé à la mise au pas du Président. Pour avoir tenté de s’autonomiser, l’ex-parti unique a subi les foudres du chef de l’Etat. Limogeage d’Ali Benflis de son poste de chef de gouvernement en mai 2003, coups de force contre le parti - invalidation du
8e congrès et gel de ses comptes bancaires -constituaient la touche finale à la mise sous pas réglé de la société algérienne. Les organisations de masse - UNJA, ONEC, UNEA - n’allaient pas tarder à subir le même sort, tandis que l’UGTA, opérant un retournement spectaculaire, a fini par rallier le camp présidentiel.

En parallèle, le pouvoir a empêché par tous les moyens l’émergence de syndicats autonomes. Même le mouvement citoyen, seule force qui a quelque peu brouillé les cartes présidentielles, est, faute de soutien politique, sorti divisé et affaibli par la répression du pouvoir. Quant à la presse, les multiples harcèlements dont elle a été l’objet durant l’été 2003 et en 2004 dénotent que le système ne peut tolérer l’existence de la liberté d’informer. En direction de l’armée, envers laquelle Bouteflika soufflait le chaud et le froid, il est parvenu à la neutraliser au point qu’elle n’a pu empêcher sa réélection si tant était son intention réelle. Au final, mise au pas des partis, des syndicats, de la société civile, instrumentalisation de la justice et de l’Administration, neutralisation de l’institution militaire, occupation sans partage du champ politico-médiatique ont fait que les jeux étaient faits bien avant le 8 avril. Un Président qui a commencé sa campagne électorale en 2003, sillonnant les
48 wilayas, tout en distribuant de l’argent aux régions visitées sur fond de musellement de toute opposition, ne pouvait laisser échapper un second mandat. Si fraude il y a, elle n’est pas dans les urnes mais dans la manière dont Bouteflika a initié et contrôlé à tous les niveaux le processus électoral.

En prenant part à cette élection, Ali Benflis et Saïd Sadi ont de fait cautionné cette élection jouée par avance. En vérité, les conditions sociopolitiques d’un scrutin libre et transparent n’existant pas, il fallait opter pour une transition démocratique devant se traduire par une refondation nationale à même de permettre une élection libre. Le FFS et le MDS sont finalement les seuls à proposer une telle alternative, et ce, même si ces deux partis divergent sur le contenu de cette phase de transition. Mais il faudra bien qu’elle voie le jour. Autrement, c’est la régression programmée qui attend l’Algérie

Hassane Zerrouky, Le Matin