Par Alice Brouard et Stanislas Fautré, pour Le Figaro Magazine
Publié le 27/01/2023
GRAND REPORTAGE - De nouveau ouvert aux touristes, le plateau du Tassili n'Ajjer dans le Grand Sud algérien dévoile des peintures rupestres datant de 8000 ans avant notre ère. Un inestimable voyage par-delà les âges et les cultures.
Il est là. Enveloppé dans sa superbe, un takakat (vêtement long) vert-bleu et un tagelmust (chèche) blanc. Ses yeux charbon ardent rivés sur l'horizon. En appui sur un bâton, le buste penché par des années d'efforts à arpenter sa terre. Et quelle terre ! «C'est beau, c'est bon !» condense Agaoued Mechar, notre guide touareg. «Photo, photo !» s'empresse-t-il d'ajouter, heureux de savoir les touristes étrangers autorisés à revenir sur le plateau du Tassili n'Ajjer dans le Grand Sud algérien, classé zone rouge (formellement déconseillée) par le ministère des Affaires étrangères depuis 2008.
Élevé à 1200-2000 mètres d'altitude sur 800 kilomètres de long, entre 80 et 300 kilomètres de large, aux confins de la Libye et du Niger, cet océan de rochers et de sable semble tombé de la Lune : oueds asséchés, canyons béants, falaises excavées, blocs de grès calcinés, éboulés, érodés… Dans ce chaos, des peuples du néolithique ont peint leur quotidien, leurs croyances et leurs mythes sur des parois, dans des anfractuosités ou des cavités. Agaoued connaît le plateau dans ses moindres replis. Retrouve ces trésors sans l'ombre d'une hésitation. Le Touareg est né, a grandi dans ce fief, avant de suivre les pas de son père, Djebrine Ag Mohamed Mechar, connu pour avoir guidé Henri Lhote, explorateur-ethnologue, dans l'expédition inventaire et reproductions des peintures rupestres du Tassili n'Ajjer, entre janvier 1956 et juillet 1957.
8000 ans d'histoire humaine dans le plus grand musée naturel du monde
Harmonie du ciel et de la terre en rose, ocre et doré.
La marche indolente de notre caravane.
La voûte parfaite et scintillante de la nuit.Stanislas Fautré / Le Figaro Magazine
À l'époque, peu d'étrangers osent s'aventurer dans cette immensité de 72.000 kilomètres carrés. Exposées au pavillon de Marsan à Paris de novembre 1957 à janvier 1958, les copies d'Henri Lhote et de ses équipiers, calquées sur le grès puis passées à la gouache sur papier, font connaître l'art rupestre et pariétal tassilien au monde entier. Et suscitent une controverse par la méthode employée : en humidifiant les parois pour les débarrasser des poussières agglomérées durant des millénaires, l'équipe cause des dommages sur la conservation de ce patrimoine. À 78 ans, Agaoued n'a que faire de ce rappel historique. Il est temps de partir. Le soleil brûle déjà. Ibrahim, le cuisinier, Saayh et Abdelkrim, les amis et leurs sept ânes lourdement bâtés, lancent vaillamment la caravane.
Au bon marcheur, il faut quatre heures en moyenne pour grimper, via le col de Tafilalet (1784 m) et ses trois ressauts successifs, sur le plateau. Au non-initié, une journée entière. En apparence, le relief se dessine en une haute montagne tabulaire coiffée de cônes et de mamelons striés par le vent. Mais, pas à pas, des tours ruiniformes surgissent de monstrueux éboulis, des falaises tranchées au couteau, évidées à leur pied, offrent des abris-sous-roche, de petits passages se faufilent entre d'énormes masses, des gorges apportent ombre et fraîcheur, des colonnes se dressent dans la démesure, des arches oscillent dans le ciel…
«Ça va ?» interroge Agaoued. Il faut s'acclimater à la lumière, à la chaleur, à l'aridité, à la nudité du paysage. S'infiltrer dans le territoire d'un peuple nomade. Et, bientôt, dans les intentions de peintres (graveurs aussi) à l'origine du premier ensemble d'art préhistorique au monde, un musée à ciel ouvert de 15.000 œuvres. «Le désert, une nature non bouleversée, non dévastée par l'Homme, nous dépouille et, en même temps, nous reconstitue, habille notre âme et épure notre esprit, prévient Yasmina Khadra, l'écrivain, enfant du pays. Laissez-vous porter par la beauté, l'émerveillement, l'instant. Ignorez le temps, optez pour le peut-être, le tout ou le rien.»
Entre pierres du désert et âmes des hommes
Publié le 27/01/2023
GRAND REPORTAGE - De nouveau ouvert aux touristes, le plateau du Tassili n'Ajjer dans le Grand Sud algérien dévoile des peintures rupestres datant de 8000 ans avant notre ère. Un inestimable voyage par-delà les âges et les cultures.
Il est là. Enveloppé dans sa superbe, un takakat (vêtement long) vert-bleu et un tagelmust (chèche) blanc. Ses yeux charbon ardent rivés sur l'horizon. En appui sur un bâton, le buste penché par des années d'efforts à arpenter sa terre. Et quelle terre ! «C'est beau, c'est bon !» condense Agaoued Mechar, notre guide touareg. «Photo, photo !» s'empresse-t-il d'ajouter, heureux de savoir les touristes étrangers autorisés à revenir sur le plateau du Tassili n'Ajjer dans le Grand Sud algérien, classé zone rouge (formellement déconseillée) par le ministère des Affaires étrangères depuis 2008.
Élevé à 1200-2000 mètres d'altitude sur 800 kilomètres de long, entre 80 et 300 kilomètres de large, aux confins de la Libye et du Niger, cet océan de rochers et de sable semble tombé de la Lune : oueds asséchés, canyons béants, falaises excavées, blocs de grès calcinés, éboulés, érodés… Dans ce chaos, des peuples du néolithique ont peint leur quotidien, leurs croyances et leurs mythes sur des parois, dans des anfractuosités ou des cavités. Agaoued connaît le plateau dans ses moindres replis. Retrouve ces trésors sans l'ombre d'une hésitation. Le Touareg est né, a grandi dans ce fief, avant de suivre les pas de son père, Djebrine Ag Mohamed Mechar, connu pour avoir guidé Henri Lhote, explorateur-ethnologue, dans l'expédition inventaire et reproductions des peintures rupestres du Tassili n'Ajjer, entre janvier 1956 et juillet 1957.
8000 ans d'histoire humaine dans le plus grand musée naturel du monde
Harmonie du ciel et de la terre en rose, ocre et doré.
La marche indolente de notre caravane.
La voûte parfaite et scintillante de la nuit.Stanislas Fautré / Le Figaro Magazine
À l'époque, peu d'étrangers osent s'aventurer dans cette immensité de 72.000 kilomètres carrés. Exposées au pavillon de Marsan à Paris de novembre 1957 à janvier 1958, les copies d'Henri Lhote et de ses équipiers, calquées sur le grès puis passées à la gouache sur papier, font connaître l'art rupestre et pariétal tassilien au monde entier. Et suscitent une controverse par la méthode employée : en humidifiant les parois pour les débarrasser des poussières agglomérées durant des millénaires, l'équipe cause des dommages sur la conservation de ce patrimoine. À 78 ans, Agaoued n'a que faire de ce rappel historique. Il est temps de partir. Le soleil brûle déjà. Ibrahim, le cuisinier, Saayh et Abdelkrim, les amis et leurs sept ânes lourdement bâtés, lancent vaillamment la caravane.
« Le désert (...) nous dépouille et, en même temps, nous reconstitue, habille notre âme et épure notre esprit” »
Yasmina Khadra, écrivain, enfant du pays
Yasmina Khadra, écrivain, enfant du pays
«Ça va ?» interroge Agaoued. Il faut s'acclimater à la lumière, à la chaleur, à l'aridité, à la nudité du paysage. S'infiltrer dans le territoire d'un peuple nomade. Et, bientôt, dans les intentions de peintres (graveurs aussi) à l'origine du premier ensemble d'art préhistorique au monde, un musée à ciel ouvert de 15.000 œuvres. «Le désert, une nature non bouleversée, non dévastée par l'Homme, nous dépouille et, en même temps, nous reconstitue, habille notre âme et épure notre esprit, prévient Yasmina Khadra, l'écrivain, enfant du pays. Laissez-vous porter par la beauté, l'émerveillement, l'instant. Ignorez le temps, optez pour le peut-être, le tout ou le rien.»
Entre pierres du désert et âmes des hommes
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