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CHRONIQUE. Les mirliflores du transhumanisme cultiveraient-ils un fantasme de terrier amniotique ? Les patrons de la tech sont enclins à se faire bâtir des bunkers en prévision des foudres terrestres.
Prédite par des astrologues, plusieurs fois différée, la fin du monde qu'annonçait Philippulus le prophète dans L'Étoile mystérieuse d'Hergé serait proche. C'est du moins la conviction de nombreux survivalistes, adeptes des refuges lacustres ou des huttes dans les arbres. On connaît la réaction de Paul Léautaud auquel l'un de ces prêcheurs d'Armageddon venait annoncer l'imminente Apocalypse : « Il ne fallait pas vous déranger pour si peu. »
Un tel flegme n'est pas de mise chez les milliardaires de la Silicon Valley et rois Midas de l'intelligence artificielle. Les intéressés, qui ont les moyens de leur paranoïa, sont désormais enclins à se faire bâtir des refuges high-tech, des niches prophylactiques, des abris troglodytes – toutes constructions que l'on peut regrouper sous l'appellation de « bunker ».
Altman, Zuckerberg et Musk face aux fureurs de Gaïa
Il en va ainsi de Peter Thiel, le fondateur de PayPal, qui partagerait avec Sam Altman, le créateur d'Open AI, le projet d'une mystérieuse cache hyper-technologique dans la lointaine Nouvelle-Zélande. Mark Zuckerberg, le magnat de Facebook, fait construire à Hawaï son Koolau Ranch : au cœur d'une propriété de vingt-sept hectares, un abri blindé de 464 mètres carrés avec vidéosurveillance, groupe électrogène, citerne dépolluée, stock de vivres, connectique sophistiquée. Jeff Bezos aurait niché pareil dispositif près des rampes de lancement de ses fusées.
Et l'on prête un projet de cette sorte à Elon Musk, un cyber-compound où l'on accéderait avec une Batmobile Tesla avant de se réfugier dans un blockhaus stratifié, doté de reconnaissance faciale, douche de décontamination, pharmacopée et bassin d'aquaculture. D'ores et déjà, une firme texane fabrique en série des bunkers de survie pouvant être acheminés vers le site choisi par les acheteurs, certains d'entre eux se partageant la location de jets privés prêts à décoller à la première alerte.
D'où vient que ces muscadins de la tech qui veulent aller sur Mars se prémunissent ainsi contre les possibles fureurs de Gaïa, la Terre-mère ? Surdose de romans de science-fiction ou anticipation d'un cataclysme ? Naguère, les heureux du monde se contentaient de demeures mirifiques sur des îles paradisiaques et réservées, telles Saint-Barth ou Moustique. Donald Trump lui-même en a donné une variation de terre ferme avec sa demeure-casino de Mar-a-Lago. Mais rien encore de ces Xanadu souterrains, de ces grottes technologiques à haute teneur numérique.
« Offrez-moi un abri »
La grotte. C'est peut-être à cette cache immémoriale que s'accorde le cerveau reptilien de ces milliardaires 2.0. À Lascaux ou Altamira, on a découvert les peintures rupestres d'un bestiaire préhistorique, symboles à la fois de chasse et de culte. Un certain fonds troglodyte peut s'allier à des fins rebelles ou guerrières. Du bandit Mandrin qui trouvait refuge dans les grottes de la Balme jusqu'aux tunnels du Hamas mitant le sous-sol de Gaza, on est passé du site naturel au forage aménagé.
Un temps, les axes de fortification d'une frontière ou d'un littoral prirent la forme du bunker, ce qui valait de la ligne Maginot comme du mur de l'Atlantique. Et c'est dans un tel réduit bétonné que Hitler consomma son suicide. Les perspectives de guerre atomique allaient en renforcer l'usage protecteur. Si le sous-sol de l'Élysée est doté d'un QG de commandement, un pays pourtant neutre dans les conflits, la Suisse a multiplié sous ses immeubles les abris antinucléaires, tandis que l'Iran enterre ses centrifugeuses.
« Gimme Shelter », chantaient les Rolling Stones – offrez-moi un abri. Les mirliflores du transhumanisme cultiveraient-ils un fantasme de terrier amniotique ? À moins qu'ils n'habillent d'un imaginaire dystopique l'ostentation de leur pouvoir ? Depuis les années 1960, le personnage du démiurge satanique dirigeant ses entreprises néfastes à partir d'une base souterraine, généralement située sur une île désolée, a fleuri dans la saga de James Bond et de ses émules. En un sens, Ian Fleming préparait le monde à venir : des oligarques à yachts cinglant vers des rades secrètes, avec bunkers à lasers gardés par des go-go girls en combinaisons de latex.
Tel est sans doute le paysage mental des Jeff Bezos et Mark Zuckerberg. Leur munificence survivaliste se double, dans un pays où Walt Disney se fit cryogéniser, d'un puéril fantasme d'éternité. « Il n'y a pas de grandes personnes », affirmait en 1967 Malraux à la première page de ses Antimémoires. Migrer sur Mars ou inventer des grottes pour Hulk bioniques, ainsi en va-t-il d'un rêve qui peut ressembler à celui d'une enfance exaucée. Le prométhéisme moderne chiffre en millions de dollars les bunkers de l'immortalité.
Marc Lambron
Prédite par des astrologues, plusieurs fois différée, la fin du monde qu'annonçait Philippulus le prophète dans L'Étoile mystérieuse d'Hergé serait proche. C'est du moins la conviction de nombreux survivalistes, adeptes des refuges lacustres ou des huttes dans les arbres. On connaît la réaction de Paul Léautaud auquel l'un de ces prêcheurs d'Armageddon venait annoncer l'imminente Apocalypse : « Il ne fallait pas vous déranger pour si peu. »
Un tel flegme n'est pas de mise chez les milliardaires de la Silicon Valley et rois Midas de l'intelligence artificielle. Les intéressés, qui ont les moyens de leur paranoïa, sont désormais enclins à se faire bâtir des refuges high-tech, des niches prophylactiques, des abris troglodytes – toutes constructions que l'on peut regrouper sous l'appellation de « bunker ».
Altman, Zuckerberg et Musk face aux fureurs de Gaïa
Il en va ainsi de Peter Thiel, le fondateur de PayPal, qui partagerait avec Sam Altman, le créateur d'Open AI, le projet d'une mystérieuse cache hyper-technologique dans la lointaine Nouvelle-Zélande. Mark Zuckerberg, le magnat de Facebook, fait construire à Hawaï son Koolau Ranch : au cœur d'une propriété de vingt-sept hectares, un abri blindé de 464 mètres carrés avec vidéosurveillance, groupe électrogène, citerne dépolluée, stock de vivres, connectique sophistiquée. Jeff Bezos aurait niché pareil dispositif près des rampes de lancement de ses fusées.
Et l'on prête un projet de cette sorte à Elon Musk, un cyber-compound où l'on accéderait avec une Batmobile Tesla avant de se réfugier dans un blockhaus stratifié, doté de reconnaissance faciale, douche de décontamination, pharmacopée et bassin d'aquaculture. D'ores et déjà, une firme texane fabrique en série des bunkers de survie pouvant être acheminés vers le site choisi par les acheteurs, certains d'entre eux se partageant la location de jets privés prêts à décoller à la première alerte.
D'où vient que ces muscadins de la tech qui veulent aller sur Mars se prémunissent ainsi contre les possibles fureurs de Gaïa, la Terre-mère ? Surdose de romans de science-fiction ou anticipation d'un cataclysme ? Naguère, les heureux du monde se contentaient de demeures mirifiques sur des îles paradisiaques et réservées, telles Saint-Barth ou Moustique. Donald Trump lui-même en a donné une variation de terre ferme avec sa demeure-casino de Mar-a-Lago. Mais rien encore de ces Xanadu souterrains, de ces grottes technologiques à haute teneur numérique.
« Offrez-moi un abri »
La grotte. C'est peut-être à cette cache immémoriale que s'accorde le cerveau reptilien de ces milliardaires 2.0. À Lascaux ou Altamira, on a découvert les peintures rupestres d'un bestiaire préhistorique, symboles à la fois de chasse et de culte. Un certain fonds troglodyte peut s'allier à des fins rebelles ou guerrières. Du bandit Mandrin qui trouvait refuge dans les grottes de la Balme jusqu'aux tunnels du Hamas mitant le sous-sol de Gaza, on est passé du site naturel au forage aménagé.
Un temps, les axes de fortification d'une frontière ou d'un littoral prirent la forme du bunker, ce qui valait de la ligne Maginot comme du mur de l'Atlantique. Et c'est dans un tel réduit bétonné que Hitler consomma son suicide. Les perspectives de guerre atomique allaient en renforcer l'usage protecteur. Si le sous-sol de l'Élysée est doté d'un QG de commandement, un pays pourtant neutre dans les conflits, la Suisse a multiplié sous ses immeubles les abris antinucléaires, tandis que l'Iran enterre ses centrifugeuses.
« Gimme Shelter », chantaient les Rolling Stones – offrez-moi un abri. Les mirliflores du transhumanisme cultiveraient-ils un fantasme de terrier amniotique ? À moins qu'ils n'habillent d'un imaginaire dystopique l'ostentation de leur pouvoir ? Depuis les années 1960, le personnage du démiurge satanique dirigeant ses entreprises néfastes à partir d'une base souterraine, généralement située sur une île désolée, a fleuri dans la saga de James Bond et de ses émules. En un sens, Ian Fleming préparait le monde à venir : des oligarques à yachts cinglant vers des rades secrètes, avec bunkers à lasers gardés par des go-go girls en combinaisons de latex.
Tel est sans doute le paysage mental des Jeff Bezos et Mark Zuckerberg. Leur munificence survivaliste se double, dans un pays où Walt Disney se fit cryogéniser, d'un puéril fantasme d'éternité. « Il n'y a pas de grandes personnes », affirmait en 1967 Malraux à la première page de ses Antimémoires. Migrer sur Mars ou inventer des grottes pour Hulk bioniques, ainsi en va-t-il d'un rêve qui peut ressembler à celui d'une enfance exaucée. Le prométhéisme moderne chiffre en millions de dollars les bunkers de l'immortalité.
Marc Lambron
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