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Kamel Daoud : « Dictature ou islamisme, la malédiction du monde arabe »

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  • Kamel Daoud : « Dictature ou islamisme, la malédiction du monde arabe »


    CHRONIQUE. En Syrie comme ailleurs, la « démocratie arabe » semble introuvable. Une impasse qui résulte de la faillite des élites autochtones, et non d’une faute exclusive de l’Occident.

    En provenance de la Syrie, les réseaux sociaux en sont inondés : de scènes de fillettes voilées à l'extrême, en rangs dans des salles de classe étroites, de prêcheurs déambulant dans les quartiers chrétiens de Damas pour « convertir » et annoncer dans l'exaltation l'avènement du califat, de prédicateurs venus « conseiller », discourir et habiter le nouveau royaume de Dieu.


    La Syrie, au-delà du bonheur d'être libre, commence à ressentir l'angoisse de l'après-fête. On y découvre que la chute d'un régime meurtrier ne suffit pas à construire une démocratie. La Syrie passe de la tutelle de l'ambassade d'Iran à celle de la Turquie, d'un parrainage à un autre.

    La Syrie n'échappe pas à la question « arabe »


    La Syrie, un nouveau califat ? Oui, c'est possible, imminent peut-être, ou, du moins, pour un moment. L'impasse idéologique du monde dit « arabe » est encore manifeste : si ce n'est pas la dictature, ce sont les islamistes. L'Occident l'a admis après le départ des Américains de Kaboul, mais, dans le monde dit « arabe », la question est restée sans réponse efficace depuis des décennies. « Si ce n'est pas nous, ce seront certainement eux ! Choisissez ! » clamaient, cyniques et marchands, les régimes dits « arabes » pour justifier, face aux Occidentaux, leurs violences et leurs mandats à vie. Après les chantres des récits de décolonisation, ce furent les commerçants de la stabilité et les sous-traitants des flux migratoires.


    En fin de compte, la Syrie n'échappe pas à la question « arabe » : que faire entre deux maux ? L'Occident a bel et bien essayé d'y apporter une réponse mécanique en intervenant dans le monde musulman, mais il s'en mord toujours les doigts aujourd'hui, préférant se taire sur son échec. C'est l'erreur de l'universalisme simplifié et du militarisme en mission pour une démocratie mondiale.


    Quand il s'agit de répondre à l'interrogation « y a-t-il une autre alternative que dictature ou islamisme ? », les élites de cette aire géographique préfèrent justement se défausser sur l'Occident ou l'histoire du siècle dernier. L'Occident est accusé d'ingérence si des interventions y sont menées et d'abandon cruel s'il refuse d'intervenir. Résumé d'un petit jeu rhétorique pour escamoter une réalité à lourdes conséquences : ce sont, souvent, les élites du monde dit « arabe » qui s'abstiennent de traiter de la question de l'islamisme, de « relire » la matrice des textes sacrés, dans leur splendeur et leur monstruosité, de s'approprier le droit de la réflexion qu'elles cèdent complaisamment à des charlatans barbus.

    Pour illustrer cette idée, une éditorialiste du Golfe notait que Daech a existé, et existera encore et encore, tant que les écrits fondateurs ne sont pas critiqués, relus, revisités et pensés. Qui osera s'engager dans cette entreprise ? Peu sont présents sur la ligne de départ.

    Se défausser sur l'Occident


    Les raisons ? Nombreuses. D'abord, faire le procès de l'Occident et donner dans le décolonial est plus « rentable », plus facile et sans risque. Avec Edward Said comme prophète posthume de cette myopie volontaire quant à la responsabilité du désastre local. Ensuite, les dictatures ont depuis longtemps massacré les élites progressistes, académiques et culturelles de pays dits « arabes » au point d'avoir obtenu leur mort cérébrale, à quelques exceptions près. Enfin, les islamistes ont aussi utilisé les attentats et la terreur, au point d'inhiber toute réflexion sur l'islamisme ou l'islam.


    Aujourd'hui, les raisons de l'impasse sont tacitement ignorées. Quel choix faire entre une dictature qui engendre de l'islamisme et l'islamisme qui émerge d'une dictature disparue ? Le questionnement audacieux ne mobilise que peu d'esprits courageux. Peur, fatigue, désespoir, émotion et communautarisme élevés en identité de repli. C'est aussi un curieux mélange autochtone qui voit désormais l'islamisme mondial comme une vengeance contre l'ancien colonisateur, au point de blanchir les terroristes des méfaits et de la monstruosité.

    Les raisons, ce sont ces élites progressistes du monde dit « arabe » qui n'ont pas trouvé la solution ou l'ont oubliée, et non l'Occident qui se croit obligé de la proposer. Ces élites du monde dit « arabe » ont failli : par peur, par démission, par impuissance et en raison des répressions qui ont duré pendant des décennies. Il n'en reste rien, ou juste ce faux choix d'avenir dans cette géographie : un dictateur tue jusqu'à sa chute. Puis des islamistes héritent de cette ruine pour l'achever et bâtir un au-delà.


    « C'est soit nous, soit eux », répétaient les dictateurs du monde dit « arabe ». « Nous » ? Ce sont les fameux « régimes » qui, après les légitimités obtenues par les guerres de décolonisation, se réclament désormais de la mission utilitaire de barrage contre l'islamisme. « Eux », ce sont précisément les « islamistes ». L'Occident a eu son moment de vanité universelle en croyant pouvoir démocratiser en évinçant les dictateurs. Erreur fatale : la dictature est une idéologie, un « style » politique, une habitude. Destituer un Saddam mettra fin à une dictature, mais ne fera pas naître une démocratie.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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