CHRONIQUE. Fatiha Agag-Boudjahlat analyse le « piège trinitaire » qui enferme les enfants d’immigrés algériens et partage sa propre expérience.
Mon troisième essai, plus personnel, a pour titre Les Nostalgériades ; Nostalgie, Algérie, Jérémiades, le piège trinitaire qui enferme les enfants d'immigrés algériens dont je suis. Nous avons dépassé le stade des jérémiades avec les lobbyistes comme Karim Zeribi, les militants indigénistes et les blédards dits « influenceurs » qui ont récemment été mis à l'index et en garde à vue pour leurs appels aux meurtres et à la haine, prennent leur part dans cet activisme algérien.
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N'étant pas diminuée intellectuellement par la condescendance postcoloniale, je mesure l'agentivité de l'Algérie qui joue sa partie, vis-à-vis de la France comme du Maroc. Cela fait longtemps que l'État algérien fait de ses rapports avec la France une modalité de gestion de politique intérieure. Le nationalisme, pour faire oublier les abus d'un État kleptocrate, l'islamisme, pour réguler la société et la mettre au pas. Là où les Kabyles réclamaient des écoles, on leur a implanté des mosquées. On a cru que l'autoritarisme de l'État algérien le prémunissait contre l'islamisme. La polygamie a fait son grand retour en Algérie, qui avance à reculons au niveau civilisationnel. Pourtant, que d'atouts… La liberté de la presse y était plus respectée que dans les autres pays arabes, le niveau d'éducation était solide. Je ne reconnais plus ce peuple-là, anesthésié à coups de clientélisme et d'abus.
décennie noire des massacres du GIA et du FIS. La loi sur l'arabisation adoptée sous Bouteflika a contribué aussi à l'isolement du peuple algérien. L'actuel président Tebboune est sur une pente d'hystérisation. La France a occupé l'Algérie 120 ans. L'Algérie est indépendante depuis 1962 mais toujours responsable de rien. Tebboune s'est fait soigner en Allemagne. Son ancien ministre de la Santé a fait accoucher sa femme en France.
Schizophrénie de la diaspora
La diaspora algérienne, si importante en volume en France, est bloquée dans une dissonance, voire une schizophrénie. Incapables de rentrer vivre en Algérie, infoutus d'assumer apprécier de vivre en France. Leurs enfants, nés en France, sont les pires. Les jeunes hommes ne prirent la nationalité algérienne que lorsque le service militaire de trois ans ne leur fut plus imposé et que le prix du visa explosa à 80 euros. J'ai dû moi-même la prendre pour ne pas bloquer l'héritage de mes frères, puisque je devais être algérienne pour accepter ou refuser cet héritage. Mais je suis lucide sur mes rapports avec ce pays. C'est celui de mes parents où vivent mes tantes et mes cousins. Je déteste ce qu'il est devenu : un pays de tourisme de masse pour les enfants d'immigrés, aveugles volontaires au fait que c'est le niveau de vie européen qui leur permet d'y passer des vacances festives, loin de la pauvreté de la majorité des habitants. Tartufferie de ceux qui ont refusé d'y servir sous les drapeaux, qui n'y vivraient pas, qui refusent leur expulsion tout en insultant la France.
C'est là l'autre impasse psychique : loin des fanfaronnades clamant qu'ils profitent de la France et de ses aides, prétextant même une réparation légitime du trauma colonial, ils ne peuvent admettre qu'ils apprécient de vivre en France parce qu'ils apprécient de vivre en Europe, en Occident et dans une République qui leur a fait individuellement et collectivement du bien. Ce sont des enfants qui préfèrent rester avec leurs parents abusifs parce que le conflit de loyauté les culpabilise de s'enraciner. L'État algérien instrumentalise les failles psychiques propres à tout immigré et enfant d'immigré que la situation matérielle et politique dans son pays a contraint à fuir. C'est une thérapie collective dont nous avons besoin. Quant à l'État algérien, il faut lui dire ses quatre vérités et sortir du chantage pour entrer dans le rapport de force.
*Fatiha Agag-Boudjahlat est une enseignante et essayiste française, également cofondatrice du mouvement Viv(r)e la République. Dernière parution : Laïcité, l'avenir ensemble (éditions Privat, 2021).
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