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Kamel Daoud : « Le prix de la peur »

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  • Kamel Daoud : « Le prix de la peur »


    Le Prix Goncourt 2024, qui a subi une intense campagne de calomnies, décrit la pression exercée par le régime algérien sur ses citoyens ainsi que sur ses ressortissants en France.

    Même s'ils ont quitté l'Algérie depuis longtemps, certains Algériens vivant en France connaissent aujourd'hui la peur : celle de voir leurs proches payer en Algérie, pour eux, leurs opinions ou leur liberté d'expression. Pris au piège du conflit de loyauté imposé par une relation toxique avec la France, ces Algériens, qu'ils soient nés en France ou qu'ils y aient immigré, doivent souvent prouver leur identité nationale à travers un nationalisme exacerbé ou un communautarisme. Parce qu'ils craignent d'être accusés de renier la mère patrie, de trahir le combat idéologique, voire d'être interdits de séjour en Algérie.


    Dans un contexte de tension politique bilatérale extrême, la peur s'est emparée de tous : il en faut peu pour être stigmatisé comme « traître » ou « vendu à la France » et pour risquer de faire payer ce « faux crime » aux proches restés en Algérie. Le procès en nationalisme, qui est particulièrement violent en Algérie, exige aujourd'hui une allégeance hystérique ou un prudent silence de la part des exilés et des immigrés. La crise politique voulue par l'Algérie avec l'ex-pays colonial, longtemps regardée de l'extérieur, est aujourd'hui vécue intimement par ceux qui résident dans l'Hexagone.

    Boualem Sansal, pour l'exemple


    « Ce message a été supprimé. » Rien de plus banal qu'une notification sur son smartphone, à notre époque. Sauf en Algérie, car, tout à coup, cette phrase automatisée laisse entendre que vous êtes observé, et votre interlocuteur partage cette impression. Vous multipliez les précautions, même pour aborder les sujets les plus anodins.


    Depuis quelques années, de nombreux Algériens vivent dans la crainte. De quoi ? Les arrestations sont en hausse et connaissent des pics saisonniers. Les procès se tiennent rapidement et les peines sont lourdes. L'article 87 bis (« tout acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l'État, l'intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions » est puni par des sanctions extrêmement sévères, voire la peine de mort ), qui vaut à Boualem Sansal son incarcération, a été appliqué à des dizaines et des dizaines d'autres personnes arrêtées. Il sert surtout aux purges entre les différents « clans » du régime qui arrêtent ses propres apparatchiks ou gradés, ce qui augmente encore la terreur. « S'ils se font ça entre eux, qu'en est-il de nous, au bas de l'échelle ? » s'exclame un ami en visite à Paris, le regard assombri par le souvenir d'une scène ou d'une information récente.


    La peur s'exprime par mille précautions. Sur WhatsApp, on préfère, pour certains sujets, écrire sur des bouts de papier, puis les montrer à son interlocuteur, qui fera de même. On discute à propos des applications les plus sécurisées : Signal ? Telegram ? Les certifications d'infaillibilité ne sont pas prises au sérieux et la paranoïa se généralise. Certaines locutions sont à prohiber : tout ce qui touche au domaine de la politique, de la contestation, des identités culturelles ou du mal de vivre, à certains noms de « puissants ». La police numérique est rapide et efficace. Elle surveille Internet comme un nid de dissidence. Les plateformes de réseaux sociaux constituaient l'un des rares espaces où s'exprimer, mais le paysage politique algérien se résume désormais à des étiquettes fanées sur les devantures des sièges locaux. L'opposition n'est plus qu'une silhouette, et les prestigieux journaux algériens, anciennement symboles de la liberté, salués jadis comme des exemples, ont été réduits à des entités financièrement vulnérables, dépendantes des revenus publicitaires et des directives éditoriales.

    Le soulèvement populaire de 2019


    Les images d'exubérance et de liberté, les chants d'allégresse sont bien loin. Plus rien n'est pareil. Les banderoles colorées et inventives du soulèvement du 22 février 2019 [début du Hirak, mouvement de contestation populaire, NDLR] ont disparu. Quelque chose est mort, et l'on ne croit plus à son retour. C'est la fin de la liberté, de l'insolence, de l'humour politique corrosif. « Sous Bouteflika, on était en démocratie, mais on ne le savait pas », m'explique, à demi amusé par sa formule, mon ami, alors que nous sommes assis à une terrasse parisienne à décortiquer nos joies et nos misères « nationales ». Pour lui, c'est un moment de répit qui durera une semaine, avant son retour. Dès lors, « message supprimé » sera le leitmotiv de nos conversations amères.

    Nous prenons tous des précautions désormais : nous scrutons attentivement les messages, nous évitons les interlocuteurs politiquement compromettants et nous « codons » notre répertoire téléphonique en prévision des fouilles lors des arrestations. La peur n'est pas seulement due aux rafles, elle vient aussi d'une autre source : celle d'être lynché par les usines à trolls et les campagnes de diffamation. Cette crainte est partagée par de nombreux opposants ou simples critiques. Les attaques personnelles et les campagnes de diffamation bénéficient de la puissance de feu des médias publics, des blogs ou bien de ces journaux numériques qui, grâce à l'anonymat, jouissent d'une liberté de violence absolue. Déposer une plainte contre ces « médias » ventriloques de la terreur ne sert à rien, aucun juge ne suivra. Voir son nom diffusé sur les réseaux et sa famille calomniée par les chaînes de télévision à la solde des puissants fait frémir de peur une énorme partie des Algériens.

    L'échelle de Richter de la peur


    La peur provient aussi d'un répertoire d'influenceurs que nous avons découverts en France depuis peu.


    Peur du contrôle approfondi, peur des « écoutes » (on apprend chaque mois qu'un matériel encore plus sophistiqué vient d'être acheté en Europe par le pouvoir algérien), peur des campagnes médiatiques haineuses et peur d'être associé à une personne « grillée »… Cela se manifeste au creux de votre estomac dès le matin, à la vue d'une voiture un peu abîmée qui vous suit, en entendant cet écho dans le téléphone, avec la crainte d'une « convocation » devant des juges ou d'avoir simplement exprimé une humeur sur Facebook. La « dictature » commence dans le ventre, avec cette sensation d'inconfort, avec ce corps qui craint l'ombre. En effet, le pire, ce n'est pas de franchir la « ligne rouge » mais de ne pas savoir où elle se situe.


    Sur l'échelle de ce Richter de la terreur, le catalogue est riche. Le pire, pour en ressentir l'effet en Algérie, c'est de côtoyer les Français : ambassades, consulats, dîners à l'occasion des fêtes nationales françaises, centres culturels… L'hystérie entourant les relations entre l'Algérie et la France fait que ce champ de mines doit être traversé avec mille précautions. « Lors d'un congrès d'architectes à l'université de […], on me regarda avec surprise quand je pris la parole en français ; tout à coup, quelqu'un m'a dit : “Parlez notre langue nationale.” J'ai eu peur », m'a raconté un professeur d'université.

    La fameuse guerre des mémoires redistribue les rôles que l'on a crus consommés par l'Histoire : traître, fidèle, combattant, moudjahid, « vendu », résistant et nationaliste, indicateur. La décolonisation se rejoue par les imaginaires et, avec elle, les procès pour trahison et les exécutions sommaires symboliques ou les verdicts de prison ferme.

    Interdiction de sortie du territoire national


    Que risque-t-on ? La mise au ban professionnelle, l'indexation au nom de l'hypernationalisme inquisitorial. Mais, plus tragique encore, l'arrestation des « dissidents » internes, la prison et la confiscation de leurs biens. Un des acronymes de l'ère actuelle est également un mystère pour les étrangers : ISTN. Cela signifie « interdiction de sortie du territoire national ». Le retrait de votre passeport vous condamne à une peine de « prison à ciel ouvert », car vous ne pouvez plus quitter le pays, voyager. Parfois, cette sentence n'est même plus juridique, elle résulte plutôt d'un « procès » non écrit. Vous vous apprêtez à partir à l'étranger, mais on vous informe sans ménagement à l'aéroport que vous ne pouvez pas embarquer, qu'on ignore pourquoi et comment lever l'interdiction.


    « Sois prudent », recommande-t-on aux voyageurs qui rentrent au pays. Et, plus sombre encore : la terreur en Algérie est vécue comme une punition pour avoir osé la liberté lors des contestations en 2019. Après avoir mal rêvé ou trop rêvé cette liberté, on se sent comme rattrapé par la fatalité ou la colère des dieux. Le plus effrayant est que cette peur ne vient pas d'une instruction stricte « d'en haut », mais d'un effet de boule de neige, d'un excès « d'abus d'obéissance ».


    D'autres angoisses algériennes ? Oui, surtout celles liées à la hantise de perdre ce pays, si fragilisé par ses ruptures politiques chaotiques depuis son indépendance et par un manque de vision d'avenir détachée du culte du passé. Cette terre, à la beauté poignante, promène deux peurs comme deux ombres : la peur de soi et la peur d'imaginer un futur alternatif à la mythologie de la colonisation, cet « instant unique » qui fige l'histoire algérienne. Paradoxalement, cette même crainte de perdre ce pays à jamais nourrit sa propre violence. Et la violence des divisions et des terreurs des Algériens en France.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Kamel Daoud passe à un autre registre, celui du mensonge.
    ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

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    • #3
      Toujours dans l'exagération Kamel Daoud. Depuis qu'il avait menti d'être Marocain et ses articles insanes sur les pseudo-événements de Frankfort, il n'est plus guère crédible.

      - Je suis marocain Par Kamel Kamel Daoud

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      • #4
        Il y a une distinction entre les opposants et ceux instrumentalisés en France par l'alliance extrême droite et bollorisme.

        Pour les opposants, y a pas eu besoin de Sansal ou Daoud pour le pouvoir. Depuis bien longtemps pas mal ont été mis en prison, parfois arrêtés dès leur arrivée en Algérie.

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        • #5
          Il est bien récompensé le Daoud , il fait bien le job d'indic

          Il a même droit à l'Une du Magazine



          Dernière modification par sako, 17 janvier 2025, 13h38.

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