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Kamel Daoud - Le rire triste de l'Algérie

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  • Kamel Daoud - Le rire triste de l'Algérie


    RIRE POUR RÉSISTER. Écrasés par ceux qui se réclament de la guerre de libération, terrorisés par les islamistes, les Algériens ont appris à faire des blagues à couvert.

    ans un pays triste, fier, beau, méfiant et vieilli avant l'âge par une épopée décoloniale qui piège son avenir et ses émotions, la question est de mise : où se cache le vrai rire algérien, le grand rire heureux qui brise les postures du corps des décolonisés  ? Voyons ce que nous offrent l'histoire et les images de l'Algérie, par exemple.

    D'abord, le rire du décolonisateur sur les visages de milliers de vétérans de cette guerre. Rare en public (un héros ne peut pas se le permettre), gras, avec des yeux plissés de ruse, mielleux, séducteur et trompeur, haut aussi. En effet, le vétéran a un sentiment féodal de la propriété du pays : il l'a libéré, il est à lui. Son rire est seigneurial, condescendant.

    Signe de ralliement


    On imagine si peu en Occident, chez ces féodaux nationalistes, cet instinct de propriétaire, cette attitude de scrutation, méfiante et souvent violente, contre toute concurrence des générations nées après l'épopée guerrière. Le décolonisateur y adopte une posture corporelle particulière : musclée, rigide et tétanisée par la brutalité subie et imposée. C'est ce que Frantz Fanon a appelé «  la tension musculaire du colonisé  ». Chez les décolonisés, elle se perpétue comme une posture de souveraineté, alors que le conflit est terminé. Cela est dû au fait qu'ils ont vécu une scène indépassable : leur confrontation avec l'ancien colonisateur. Leur sourire est calculé : il est le fruit de l'amertume de la guerre, du désenchantement et de la méfiance envers les «  frères  », envers les trahisons meurtrières d'après l'indépendance. Comme pour incarner cette tradition du rire des vétérans, l'ancien président algérien Abdelaziz Bouteflika avait la réputation de raconter des blagues et de rire avec les diplomates occidentaux, mais jamais avec son peuple.


    En général, le vétéran a le faux rire gras, soigneusement acide, mais irrévocablement paternel. Il est le «  père  » de l'indépendance. Le colonel Boumediene, président de l'Algérie de 1965 à 1978, personnifiait le «  libérateur  » impitoyable. Il a laissé à ses successeurs une esthétique du «  chef  » : le burnous d'ancêtre, le visage sévère. Après l'indépendance, il arborait un sourire en coin, à la manière de la Joconde, mais avec un regard glacial. Ce demi-sourire était le signe de ralliement des chefs. On le voit sur une photo de Krim Belkacem (1922-1970), l'un des signataires des accords d'Évian (1962), et sur celle de Larbi Ben M'hidi, l'un des fondateurs du Front de libération nationale (FLN), exécuté par le général Aussaresses pendant la bataille d'Alger (1957).



    Dessin d’Ali Dilem en 2017, allusion à la réponse d’Albert Camus à un étudiant en 1957, après la remise du prix Nobel de littérature à Stockholm : « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela, la justice, je préfère ma mère. » Aujourd’hui, les traversées maritimes de migrants entre l’Algérie et l’Espagne se multiplient. © @ Dilem, 2017
    Cherchons plus loin. Sur le Web, de rares enregistrements montrent des individus masqués, habillés de sarouels et de manteaux longs, qui sourient, se tapotent le dos et laissent entrevoir une étrange timidité de collégiens en sortie scolaire : ce sont les islamistes armés de la guerre civile (1992-2002), auteurs de massacres de masse, d'attentats à la bombe, de viols et de destructions. Pourtant, leur sourire s'affiche comme la pire des innocences champêtres. Les «  émirs  » (traduire : les princes) sourient avec calcul face aux caméras de leurs services de propagande. C'était il y a vingt ans, bien avant que le groupe État islamique se mette à filmer des égorgements pour accentuer la terreur mondiale.

    On revoit les «  clips  » pour examiner de près cette étrange timidité chez ces tueurs, leur jeu et leur réflexe. Les caméras à l'épaule les déshabillent presque, entre des fourrés d'arbres et de broussailles, dans les montagnes où ils avaient leurs camps. C'est là qu'ils se réunissaient, se reposaient, violaient les jeunes filles enlevées ou décapitaient les «  impies  ».

    Selon une légende urbaine, le sourire involontaire devant les appareils photographiques serait apparu après la Seconde Guerre mondiale. Les photographes de presse américains auraient été les premiers à photographier les «  libérés  » d'Europe après la défaite des nazis. Ils auraient ainsi brisé la posture de photos guindées de la génération précédente, celle du daguerréotype. Là, les «  libérés  » ont inventé un genre de sourire qui se perpétue aujourd'hui dans les selfies. Au cœur des broussailles de l'horrible conflit civil algérien, c'est peut-être ce réflexe qui persistait, cette fois monstrueux. Un scoutisme de sanguinaires.

    Bunker contre l'horreur


    Dès cette époque, pourtant, malgré la peur, les «  émirs  » avaient inspiré des milliers de blagues acerbes sur leurs «  sectes  » et pratiques. «  On nous a arrêtés à un barrage de barbus, mon fils  !  » raconte, gêné, un père à son fils. Celui-ci finit par lui demander pourquoi il a survécu au massacre de tous les autres voyageurs après les faits. «  Parce qu'ils ont violé la moitié des voyageurs et qu'ils ont tué l'autre moitié  », explique le père, encore plus gêné. «  Et toi  ?  », exige le fils. «  Moi  ? Eh…  » Le père cherche sa réponse (le narrateur de la blague doit jouer la scène), farfouille dans ses poches, toussote, puis précise : «  Moi  ? Ils m'ont tué  !  » L'honneur est sauf. On rit. Puis on regarde autour de soi. Parce que la peur revient, comme la petite monnaie du rire. C'est le nœud gordien de l'enquête sur le rire algérien. Alors que le bilan était de près de deux mille morts par semaine, les Algériens ont su trouver dans cet humour un bunker contre l'horreur.


    Un souvenir emblématique pour ceux qui avaient 10 ans ou plus dans les années 1980 en Algérie. À l'époque, les émissions télévisées débutent à 17 heures avec des versets coraniques et l'hymne national. Les vendredis matin, les diffusions commencent tôt. C'est le week-end, et l'une des émissions les plus populaires est celle d'une animatrice nommée Mama Nadjwa, entourée d'enfants. Le micro filaire, gênant, les entrave dans leur envie de s'exprimer, l'amusement est gâché par leur timidité. Cependant, un moment a marqué une génération : quand l'animatrice a demandé à l'un d'eux de raconter une blague.



    En 2019, vingt ans après son accession à la présidence, Abdelaziz Bouteflika, bien que très malade, se présente pour un cinquième mandat. Dessin de Dilem.© @ Dilem, 2019

    À cette époque, le FLN, parti unique, était toujours au pouvoir, mais un humour corrosif explosait contre les apparatchiks du pays, la police secrète et surtout contre Chadli Bendjedid, président de la République de 1979 à 1992. La cible de ce «  show  » collectif et clandestin était justement ce président, portraituré comme étant idiot. L'enfant a entamé une blague inoffensive : «  Un jour, Chadli Bendjedid a…  » L'émission a été brutalement interrompue. Après quelques minutes de grains sur les écrans, la diffusion a repris comme si de rien n'était. On a vu alors, à la dernière rangée, derrière d'autres enfants contrits et effrayés, le «  blagueur  » coupable. En pleurs, muet, il frottait sa joue giflée. Cette scène dérisoire a marqué le point culminant d'une tension qui durait depuis des années entre un rire franc, populaire, virulent et moqueur et un régime qui vivait ses dernières années de prestige.


    Le 5 octobre 1988, des émeutes éclataient entre une jeunesse sans perspective et les vétérans. L'armée ouvrait le feu sur la foule, faisant des centaines de morts. La guerre civile des années 1990 s'annonçait. Mais aussi les talents incroyables de l'humour national : Dilemdessinait ses premières caricatures, foudroyantes de génie, des billettistes signaient dans les journaux privés des chroniques au style baroque, rieur, insolent : Sid Ahmed Semiane, Chawki Amari, etc. Le rire algérien de la résistance s'organisait.

    Entre un Dieu qui ne rit pas, le souvenir de la guerre et la police secrète, le rire algérien demeura souvent caché. Quand on rit à gorge déployée, on a toujours cette crainte, cette appréhension au ventre. De quoi  ? De décennies de violences politiques, mais aussi du «  destin  », de Dieu, du châtiment. Dans les villages, avant l'avènement de l'islamisme, les soirées étaient souvent animées par des éclats de rire. Pour conjurer le mauvais sort, on terminait invariablement par cette formule : «  Que Dieu nous préserve du malheur à cause de notre rire  !  »

    Malice et rébellion


    Le premier à embrasser pleinement l'humour algérien fut le remarquable Fellag, mais… en France. On se souvient de «  Babor l'Australie  » ou «  Djurjurassique Bled  ». En Algérie, entre la religion, les monuments aux «  martyrs  », les apparatchiks, l'armée et le désenchantement, le rire se savourait en cachette, comme le raï, ce genre musical de la sensualité né en Oranie. On en retrouve une trace dans les soirées, les bars et la rue. Voilà le refuge des sujets interdits en matière de sexe, d'érotisme, de séduction et de joie. Le repaire secret de la malice espiègle, de la rébellion, de l'affection pour sa famille, de la roublardise.

    Ce rire est souvent prolongé, contenu, nocturne, émanant d'espaces intimes et ironiques, cruel et rempli de culpabilité. On rit entre un Dieu qui répète «  Comment osez-vous rire alors que le monde n'est pas parfait  ?  » et les morts de la guerre de libération qui froncent les sourcils : «  Comment osez-vous rire alors que nous sommes morts pour vous  ?  »

    Sur les vidéos d'Internet, les harraga, émigrés clandestins vers l'Europe, se filment avec des airs sérieux, angoissés par la houle, en alerte. Une fois qu'ils sont sortis des eaux territoriales, la scène change : ils éclatent de rire, commencent à chanter. Le rire n'est possible que lorsqu'il est subventionné par la liberté. 

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    Avec son Algerian bashing perpétuel, Kamek Daoud devient malgré lui , le porte-voix de l’extrême droite, il joue contre son camps ..comme beaucoup d'autres ( sifaoui, malika sorel..Jamila ben hadid..)

    Ses écrits n'ont aucun impact sur la société Algérienne, car il se trompe de lecteurs, il écrit pour un public francais et francophone ...sur des sujets qui ne les concernent pas !





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    • #3
      Ce n'est qu'un enième sbire qui écrit pour ne rien dire.

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