Dans un livre autobiographique dérangeant, David Duquesne raconte le délitement d’un pays où l’assimilation se révèle de plus en plus difficile.
Par Ferghane Azihari
« Ne fais pas ton Français ! Itinéraire d’un bâtard de la République », de David Duquesne (Grasset, 256 p., 20 €).
La présence musulmane en Europe n'est ni le fruit unique de l'histoire coloniale ni l'effet de l'effort de reconstruction entrepris après la Seconde Guerre mondiale, comme beaucoup le répètent sans examen. Si les Pakistanais sont nombreux à se ruer vers l'ancienne métropole britannique, tel n'est pas le cas des Singapouriens, que les Européens peineraient à engager dans des professions subalternes pour un salaire de misère. De même que l'exode rural au XIXe siècle était la réponse des miséreux en quête d'une meilleure vie, cette présence en Occident découle d'abord d'une certaine faillite du monde islamique. Beaucoup d'immigrés ont d'ailleurs fait preuve de reconnaissance envers leur pays d'adoption. Ce ne fut hélas pas le cas de tous.
C'est l'échec de cette acculturation que David Duquesne raconte dans son premier livre. Infirmier libéral originaire du Pas-de-Calais, né d'une mère d'origine algérienne et d'un père français, l'auteur narre autant sa vie que le délitement de la maison France. Il expose, sur un ton mélancolique, le souvenir d'un pays où l'assimilation des étrangers à la culture française était encore possible : « La mixité culturelle fut une aubaine, les enfants musulmans étaient très minoritaires dans le quartier et dans les écoles. Ils passaient beaucoup de temps à jouer dans la rue avec les petits “Français” et s'imprégnaient du mode de vie et de la culture de ce pays. Mes grands-parents faisaient l'effort de parler français à la maison, dans l'intérêt de leurs enfants. »
« Dans sa grande mansuétude »
Cette acculturation aurait désormais disparu en raison de l'importance et du caractère incontrôlé des flux migratoires récents. L'émancipation de la plupart des membres de sa famille, explique-t-il, pouvait encore advenir en raison de la faiblesse de la pression communautaire : « Leurs amis étaient majoritairement de culture française et d'origine européenne, et se fichaient bien de savoir s'ils respectaient bien ou mal leur culture d'origine et leur religion. La massification démographique de certains quartiers entraînera une mise sous pression qui pèsera sur ces assimilations plus ou moins abouties à la culture française. »
Les éléments issus de l'immigration les mieux intégrés à la société française auraient été ainsi trahis par une politique migratoire trop généreuse, important en France les coutumes ancestrales que d'aucuns ont fuies. David Duquesne se souvient du moment clé : « En 19921993 arrivent dans notre quartier des prédicateurs barbus en qamis, en provenance d'Algérie, reçus sous le statut de réfugiés politiques. Alors que la guerre civile fait rage en Algérie, la France accueille dans sa grande mansuétude des prêcheurs de haine qui viennent contaminer les jeunes musulmans des banlieues françaises. »
En manque d'exotisme
Pis encore, aux pressions communautaires s'ajoutait la lâcheté du pays d'accueil, plus enclin à stigmatiser les immigrés désireux de s'intégrer qu'à les valoriser. « On attendait de moi que je sois un morceau d'Algérie ambulant. » L'Éducation nationale porterait une part de responsabilité dans la dilution du pacte républicain. Duquesne se souvient de ces moments où son institutrice lui reprochait de ne pas être suffisamment arabe et musulman, tel un Pierre Loti en manque d'exotisme dans son propre pays.
Défigurée par le francocentrisme, le paternalisme et la culpabilité postcoloniale, la littérature spécialisée dans l'étude des flux migratoires s'est davantage préoccupée de l'étude des préjugés de la société d'accueil envers les nouveaux arrivants que l'inverse. Au risque de nous faire croire que les Français étaient aussi xénophobes que les immigrés en provenance du monde arabo-musulman étaient francophiles. Cette autobiographie, qui sonne comme une invitation à renverser la charge de la preuve, dérangera les plus candides d'entre nous. Sans doute est-ce le prix à payer pour regarder en face les défis et les périls auxquels l'archipel français est confronté.
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