A Bamako ou Dakar, des officines leur vendent un visa clé en main. Des filières bien rodées qui laissent ensuite beaucoup de jeunes sur le carreau.
Les faits -
« Je suis partisan de subordonner la délivrance d’un titre de séjour à un étudiant au caractère réel et sérieux de ses études », déclarait le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, au Figaro Magazine le 2 octobre 2024. En 2019, la Cour des comptes jugeait « important » que les établissements de l’enseignement supérieur veillent « à la qualité de leur recrutement à l’international ».
Le sujet passe sous les radars des débats sur l’immigration. On n’ignore rien des obligations de quitter le territoire français (OQTF), des « métiers en tension » ou du « panier de soins » de l’aide médicale d’Etat (AME). Mais qui a en tête que les étudiants étrangers sont la première source d’immigration en France ? Sur un total de 327 000 titres de séjour délivrés, 102 000 l’ont été pour motif étudiant en 2022, devant ceux pour raison familiale (96 000).

Parmi ces étudiants, la moitié est d’origine africaine, un sur cinq est marocain (11,8 %) ou algérien (9 %). La Chine arrive en troisième position, l’Afrique subsaharienne voit ses effectifs augmenter de 9 %. En 2023-2024, 430 466 étudiants étrangers étaient inscrits dans l’enseignement supérieur français, soit 14 % de la population étudiante en France et une augmentation de près de 20 % en cinq ans.
« La dynamique reprend », se félicite l’établissement public Campus France. L’objectif de 500 000 étudiants étrangers en France, fixé par Edouard Philippe en 2018, sera bientôt atteint. Derrière ces chiffres, une réalité moins optimiste se dessine. Pour des Marocains excellant en école d’ingénieurs, pour des Indiens réussissant parfaitement leurs études de management, combien de décrocheurs, galérant entre leur petit boulot de serveur de restaurant ou de livreur Ubereats, leurs trajets interminables entre leur logement et l’université, leurs cours loupés pour des démarches administratives ? « Je les vois arriver en retard dans l’année, en novembre. Sans repère, en short et tee-shirt, perdus avant même d’avoir commencé », raconte une enseignante.
Ainsi 50 000 d’entre eux sont considérés « en grande vulnérabilité ». Dans les Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui en logent 30 000, ils absorbent la moitié des aides d’urgence, rejoignant la case « étudiants précaires non-boursiers », éligibles aux repas à un euro.
Tontines. Ces dernières années, des officines multiplient leurs offres de services à Dakar, Bamako ou Ouagadougou. Diverses formules existent mais, en résumé, ces structures aident les candidats aux visas à remplir leur dossier Parcoursup après avoir, au préalable, repéré les filières les plus « accueillantes », parfois avec l’aide de l’intelligence artificielle, puis réunissent l’argent nécessaire à l’installation en France, parfois en faisant appel à des « tontines » dans la communauté d’origine. Soit, en général, un trimestre des ressources exigées pour obtenir le visa, le seuil minimal étant fixé à 615 euros mensuels. Une fois le sésame obtenu, l’argent circule dans la tontine pour bénéficier à un autre jeune. Le système est rodé. « De telles filières existent en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est », confirme Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles.
A l’autre bout de la chaîne, où atterrissent ces étudiants fragiles ? Souvent dans des universités de deuxième rang. « On en trouve davantage à la fac de Corte qu’à Sorbonne Université », souligne un spécialiste de l’enseignement supérieur. Souvent aussi dans les filières « arts, lettre langues, sciences humaines et sociales » sans débouchés ou dans des BTS voies de garage comme ce BTS « Management des unités commerciales », autrement dit « vendeur », qui attire beaucoup. En 2015, le scandale des faux étudiants chinois avait secoué l’enseignement supérieur.

Remplissage. Si ces flux d’étudiants existent, c’est qu’ils correspondent aussi à une offre des universités ou des écoles. « Les internationaux permettent de gonfler les effectifs universitaires, donc les financements, et, dans certains cas, ils aident aussi des enseignants à boucler leur service d’enseignement (leurs heures obligatoires), à un master qui ne fait pas le plein de continuer à fonctionner », explique le familier de l’université cité plus haut. Ce que la Cour des comptes pointait en 2019 dans un rapport dénonçant « une stratégie de remplissage, privilégiant le nombre sur la qualité des candidats. [La] motivation peut être de nature financière ou la recherche du maintien de certaines formations. Cette logique n’est pas favorable aux étudiants internationaux eux-mêmes ». Confrontés au déclin démographique tricolore, des établissements français font feu de tout bois.
Depuis 2019, le programme « Bienvenue en France » permet aux universités de mettre en place des frais d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires, soit 2 770 euros pour une licence et 3 770 euros pour un master. Une mesure qui a suscité une large opposition dans les instances universitaires, souvent au nom d’une « politique inclusive » et n’a donc été que peu appliquée. En 2022, seuls 7,8 % des étudiants internationaux ont payé l’intégralité des frais.
Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France
« Cible-t-on les bons étudiants ? » : la question est posée sans détour par un membre de la préfectorale, ancien d’un cabinet ministériel place Beauvau. A l’automne 2023, Elisabeth Borne, alertée par les files d’étudiants étrangers devant les Restos du cœur, demande aux ministères de l’Enseignement supérieur, des Affaires étrangères et de l’Intérieur de creuser la question de cette « mobilité internationale ». Comment mieux s’assurer de la qualité académique des candidats ? Comment diversifier les publics accueillis, attirer des jeunes de la classe moyenne ? Ces questions figuraient au menu de ce brainstorming « discret tant le sujet est tabou, aussi inflammable qu’une allumette », se souvient un participant.
Ce travail interministériel est balayé dès décembre 2023, englouti dans la polémique sur la caution étudiante « retour » que les sénateurs Les Républicains avaient ajoutée au projet de loi Darmanin sur l’immigration. Cette somme, visant à couvrir d’éventuels frais d’éloignement, aurait dû être déposée sur un compte bloqué, un système inspiré de ce qui se fait en Allemagne où depuis 2024, près de 12 000 euros par an sont ainsi gelés. Tollé dans les rangs universitaires, « mauvaise idée » selon Emmanuel Macron, « cavalier législatif » pour le Conseil constitutionnel dans sa large censure du projet de loi.
Pour défendre son amendement au Sénat, le LR Roger Karoutchi avait plaidé que, « beaucoup de présidents d’université affirment que beaucoup [ d’étudiants étrangers ] ne se présentent pas aux examens, ne vont pas en cours. C’est donc devenu un titre de séjour qui permet une immigration détournée de son objectif premier ». Le Sénat avait aussi ajouté la vérification du « caractère réel et sérieux des études » comme condition du renouvellement des titres.
Sélectivité. Exiger une caution introduit une sélection par l’argent. Injuste pour les candidats sans moyens ? « Est-il préférable que le système français favorise de fait la venue des élites africaines, les enfants ayant pu fréquenter les lycées français de Yaoundé ou Dakar ? , interroge un haut fonctionnaire chargé de la politique migratoire. La vraie question est de savoir jusqu’où la France veut aller dans la sélectivité ». « L’enseignement supérieur est un marché mondial. En France, parce que l’enjeu est de faire venir le maximum de candidats, peu de mécanismes de contrôle effectifs sont mis en place ».
« Les étudiants internationaux sont avant tout une chance. Pour notre ouverture au monde, pour la recherche, pour notre marché de travail. Et un enjeu crucial de réciprocité si l’on veut continuer à envoyer nos enfants étudier à l’étranger », pondère Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France.
Peu de données sont communiquées sur le devenir ces étudiants et ne tiennent pas compte, par définition, de ceux qui ne sont plus en situation régulière. Selon l’OCDE, 43 % des étudiants quittent la France un an après avoir obtenu leur premier visa. Après sept ans de présence, deux tiers sont repartis chez eux ou dans un pays tiers, près de 20 % ont obtenu un titre de séjour pour motif « économique » et 9 % un titre pour motif « familial ».
Marie-Amélie Lombard-Latune
Les faits -
« Je suis partisan de subordonner la délivrance d’un titre de séjour à un étudiant au caractère réel et sérieux de ses études », déclarait le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, au Figaro Magazine le 2 octobre 2024. En 2019, la Cour des comptes jugeait « important » que les établissements de l’enseignement supérieur veillent « à la qualité de leur recrutement à l’international ».
Le sujet passe sous les radars des débats sur l’immigration. On n’ignore rien des obligations de quitter le territoire français (OQTF), des « métiers en tension » ou du « panier de soins » de l’aide médicale d’Etat (AME). Mais qui a en tête que les étudiants étrangers sont la première source d’immigration en France ? Sur un total de 327 000 titres de séjour délivrés, 102 000 l’ont été pour motif étudiant en 2022, devant ceux pour raison familiale (96 000).

Parmi ces étudiants, la moitié est d’origine africaine, un sur cinq est marocain (11,8 %) ou algérien (9 %). La Chine arrive en troisième position, l’Afrique subsaharienne voit ses effectifs augmenter de 9 %. En 2023-2024, 430 466 étudiants étrangers étaient inscrits dans l’enseignement supérieur français, soit 14 % de la population étudiante en France et une augmentation de près de 20 % en cinq ans.
« La dynamique reprend », se félicite l’établissement public Campus France. L’objectif de 500 000 étudiants étrangers en France, fixé par Edouard Philippe en 2018, sera bientôt atteint. Derrière ces chiffres, une réalité moins optimiste se dessine. Pour des Marocains excellant en école d’ingénieurs, pour des Indiens réussissant parfaitement leurs études de management, combien de décrocheurs, galérant entre leur petit boulot de serveur de restaurant ou de livreur Ubereats, leurs trajets interminables entre leur logement et l’université, leurs cours loupés pour des démarches administratives ? « Je les vois arriver en retard dans l’année, en novembre. Sans repère, en short et tee-shirt, perdus avant même d’avoir commencé », raconte une enseignante.
Ainsi 50 000 d’entre eux sont considérés « en grande vulnérabilité ». Dans les Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), qui en logent 30 000, ils absorbent la moitié des aides d’urgence, rejoignant la case « étudiants précaires non-boursiers », éligibles aux repas à un euro.
Les internationaux permettent de gonfler les effectifs universitaires, donc les financements, et, dans certains cas, ils aident aussi des enseignants à boucler leur service d’enseignement (leurs heures obligatoires), à un master qui ne fait pas le plein de continuer à fonctionner
A l’autre bout de la chaîne, où atterrissent ces étudiants fragiles ? Souvent dans des universités de deuxième rang. « On en trouve davantage à la fac de Corte qu’à Sorbonne Université », souligne un spécialiste de l’enseignement supérieur. Souvent aussi dans les filières « arts, lettre langues, sciences humaines et sociales » sans débouchés ou dans des BTS voies de garage comme ce BTS « Management des unités commerciales », autrement dit « vendeur », qui attire beaucoup. En 2015, le scandale des faux étudiants chinois avait secoué l’enseignement supérieur.

Remplissage. Si ces flux d’étudiants existent, c’est qu’ils correspondent aussi à une offre des universités ou des écoles. « Les internationaux permettent de gonfler les effectifs universitaires, donc les financements, et, dans certains cas, ils aident aussi des enseignants à boucler leur service d’enseignement (leurs heures obligatoires), à un master qui ne fait pas le plein de continuer à fonctionner », explique le familier de l’université cité plus haut. Ce que la Cour des comptes pointait en 2019 dans un rapport dénonçant « une stratégie de remplissage, privilégiant le nombre sur la qualité des candidats. [La] motivation peut être de nature financière ou la recherche du maintien de certaines formations. Cette logique n’est pas favorable aux étudiants internationaux eux-mêmes ». Confrontés au déclin démographique tricolore, des établissements français font feu de tout bois.
« Cible-t-on les bons étudiants ? » : la question est posée sans détour par un membre de la préfectorale, ancien d’un cabinet ministériel place Beauvau
Depuis 2019, le programme « Bienvenue en France » permet aux universités de mettre en place des frais d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires, soit 2 770 euros pour une licence et 3 770 euros pour un master. Une mesure qui a suscité une large opposition dans les instances universitaires, souvent au nom d’une « politique inclusive » et n’a donc été que peu appliquée. En 2022, seuls 7,8 % des étudiants internationaux ont payé l’intégralité des frais.
Les étudiants internationaux sont avant tout une chance. Pour notre ouverture au monde, pour la recherche, pour notre marché de travail. Et un enjeu crucial de réciprocité si l’on veut continuer à envoyer nos enfants étudier à l’étranger
Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France
« Cible-t-on les bons étudiants ? » : la question est posée sans détour par un membre de la préfectorale, ancien d’un cabinet ministériel place Beauvau. A l’automne 2023, Elisabeth Borne, alertée par les files d’étudiants étrangers devant les Restos du cœur, demande aux ministères de l’Enseignement supérieur, des Affaires étrangères et de l’Intérieur de creuser la question de cette « mobilité internationale ». Comment mieux s’assurer de la qualité académique des candidats ? Comment diversifier les publics accueillis, attirer des jeunes de la classe moyenne ? Ces questions figuraient au menu de ce brainstorming « discret tant le sujet est tabou, aussi inflammable qu’une allumette », se souvient un participant.
Ce travail interministériel est balayé dès décembre 2023, englouti dans la polémique sur la caution étudiante « retour » que les sénateurs Les Républicains avaient ajoutée au projet de loi Darmanin sur l’immigration. Cette somme, visant à couvrir d’éventuels frais d’éloignement, aurait dû être déposée sur un compte bloqué, un système inspiré de ce qui se fait en Allemagne où depuis 2024, près de 12 000 euros par an sont ainsi gelés. Tollé dans les rangs universitaires, « mauvaise idée » selon Emmanuel Macron, « cavalier législatif » pour le Conseil constitutionnel dans sa large censure du projet de loi.
Pour défendre son amendement au Sénat, le LR Roger Karoutchi avait plaidé que, « beaucoup de présidents d’université affirment que beaucoup [ d’étudiants étrangers ] ne se présentent pas aux examens, ne vont pas en cours. C’est donc devenu un titre de séjour qui permet une immigration détournée de son objectif premier ». Le Sénat avait aussi ajouté la vérification du « caractère réel et sérieux des études » comme condition du renouvellement des titres.
Sélectivité. Exiger une caution introduit une sélection par l’argent. Injuste pour les candidats sans moyens ? « Est-il préférable que le système français favorise de fait la venue des élites africaines, les enfants ayant pu fréquenter les lycées français de Yaoundé ou Dakar ? , interroge un haut fonctionnaire chargé de la politique migratoire. La vraie question est de savoir jusqu’où la France veut aller dans la sélectivité ». « L’enseignement supérieur est un marché mondial. En France, parce que l’enjeu est de faire venir le maximum de candidats, peu de mécanismes de contrôle effectifs sont mis en place ».
« Les étudiants internationaux sont avant tout une chance. Pour notre ouverture au monde, pour la recherche, pour notre marché de travail. Et un enjeu crucial de réciprocité si l’on veut continuer à envoyer nos enfants étudier à l’étranger », pondère Donatienne Hissard, directrice générale de Campus France.
Peu de données sont communiquées sur le devenir ces étudiants et ne tiennent pas compte, par définition, de ceux qui ne sont plus en situation régulière. Selon l’OCDE, 43 % des étudiants quittent la France un an après avoir obtenu leur premier visa. Après sept ans de présence, deux tiers sont repartis chez eux ou dans un pays tiers, près de 20 % ont obtenu un titre de séjour pour motif « économique » et 9 % un titre pour motif « familial ».
Marie-Amélie Lombard-Latune
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