Après six ans de bataille, l’art de vivre dans les cafés entre au patrimoine culturel de la France, avant peut-être de trouver sa place au niveau mondial.
L'art de vivre dans les cafés de France et de Navarre est désormais reconnu comme faisant pleinement partie du patrimoine de notre pays. C'est par un courriel du ministère de la Culture annonçant « l'inclusion des pratiques sociales et culturelles dans les bistrots et cafés en France à l'inventaire national du patrimoine culturel immatériel » que la nouvelle est tombée le 27 septembre dans la messagerie d'Alain Fontaine, patron du bistrot parisien Le Mesturet, qui a décidé d'accorder à La Tribune Dimanche la primeur de cette information.
Président de l'Association pour la reconnaissance de l'art de vivre dans les bistrots et cafés de France en tant que patrimoine culturel immatériel, ce sexagénaire - qui depuis six ans remue ciel et terre jusqu'à l'Élysée pour faire aboutir un dossier retoqué par deux fois Rue de Valois - se dit aujourd'hui « soulagé, très heureux et surtout très fier de cette reconnaissance du travail de toutes les femmes et les hommes qui chaque jour, ouvrent tôt et ferment tard leur troquet ». Il complète : « Beaucoup sacrifient leur vie privée à ce métier que vous ne pouvez pas exercer si vous n'avez pas le goût des autres. »
Prochaine étape : l'Unesco
Intarissable sur l'art de vivre dans les 35 000 cafés de France, Alain Fontaine, également président de l'Association française des maîtres restaurateurs, explique : « Un bistrot, c'est d'abord un comptoir où chacun peut s'accouder. C'est surtout un catalyseur de sociabilité, un espace ouvert où les gens de toutes classes sociales se rencontrent, une façon d'être ensemble de manière informelle qui est l'un des attraits de notre pays. Source d'inspiration pour les artistes, c'est aussi un lieu de débat où la parole est libre. » Balzac ne qualifiait-il pas les estaminets de « Parlement du peuple » ?
C'est une pratique sociale séculaire typiquement hexagonale.
Laurent Bihl, professeur d'histoire à la Sorbonne
Laurent Bihl, professeur d'histoire à la Sorbonne
« Cette inscription au patrimoine culturel estampille une pratique sociale séculaire typiquement hexagonale, car la France est le pays d'Europe qui a le mieux conservé ses cafés dans leur jus, estime Laurent Bihl, professeur d'histoire à la Sorbonne et auteur du livre Une histoire populaire des bistrots*. Et l'activité bistrotière a gardé une authenticité qui commence à faire bon ménage avec la vague touristique. »
Délégué général du syndicat professionnel GHR (Groupement des hôtelleries & restaurations de France, qui revendique 15 000 adhérents), Franck Trouet salue « une excellente nouvelle pour [leurs] établissements, où se côtoient cols blancs et cols bleus ». « Au bistrot, on refait le monde, on fête un événement, on parle de politique... mais toujours dans la convivialité », développe-t-il, sans cacher pour autant l'envers du décor : « Le problème, c'est que, pour conserver sa clientèle, le patron de bistrot qui fait face aux sandwicheries doit maintenir des prix attractifs. Or servir un plat du jour à 15 euros à Paris et à 11 ou 12 euros en province est de plus en plus difficile, compte tenu de l'augmentation des charges d'exploitation (loyer, chauffage, énergie...) et de la hausse des minima salariaux, de l'ordre de 25 % dans notre profession, depuis le Covid. Aujourd'hui, 40 % du chiffre d'affaires est utilisé pour payer le personnel. »
Au-delà de l'inflation, « les cafés affrontent la concurrence de la restauration rapide, des cantines devenues restaurants d'entreprise et de la livraison à domicile », observe Alain Fontaine, qui poursuit : « Sans parler du télétravail et de l'uniformisation du goût... Globalement, les bistrots résistent mieux dans les grandes villes qu'en zone rurale, où la disparition des cafés, concomitante à celle des services publics, participe à la dépression du monde agricole, à la désertification des territoires et à la désocialisation des habitants. On en voit d'ailleurs le résultat dans les urnes. »
La reconnaissance officielle de l'art de vivre dans les bistrots suffira-t-elle à enrayer la baisse inexorable du nombre des cafés en France, passé de 200 000 en 1960 à 35 000 aujourd'hui - dont un peu plus de 1 000 à Paris ? « Cette inscription au patrimoine culturel remet nos établissements au centre du jeu », répond le gérant du Mesturet, qui n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. « La prochaine étape, c'est l'inscription de cet art de vivre au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. Je veux remettre notre dossier entre les mains du ministère de la Culture dès 2025 », annonce Alain Fontaine. Mais comme chaque pays ne peut présenter qu'une candidature tous les deux ans, il faudra sans doute attendre encore quelques années avant que les « pratiques sociales et culturelles » dans les cafés de France ne rejoignent la baguette de pain, inscrite le 30 novembre 2022, ou le repas gastronomique (2010) au patrimoine culturel immatériel mondial...
* Nouveau Monde Éditions, octobre 2023, 28,90 euros.
Les restaurateurs en lutte contre les titres « caddie »
Il ne devrait bientôt plus être possible d'acheter des produits alimentaires en supermarché à l'aide de titre-restaurant. Délivrée en 2022, cette autorisation temporaire doit prendre fin le 31 décembre. Mais les restaurateurs craignent que le gouvernement ne la prolonge, comme il l'a fait l'an dernier. Aussi se mobilisent-ils dès à présent pour faire entendre leur voix.
Et pour cause : aujourd'hui, à peine 40 % des titres-restaurant sont dépensés dans leurs établissements. Selon le principal syndicat du secteur, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), le manque à gagner s'élève à 576 millions d'euros sur un an. Aussi la profession a-t-elle rebaptisé vulgairement ces titres-restaurants les tickets « caddie » !
Dans un contexte où l'inflation s'est tassée, l'Umih demande donc dès le 1ᵉʳ janvier un retour à la destination originelle de cet avantage social, financé à 50/50 par l'employeur et le salarié : soutenir les actifs lors de leur pause déjeuner.
Le choix promet cependant d'être cornélien pour le gouvernement. Se mettre à dos les restaurateurs ou répondre à l'attente des salariés, dont LA priorité reste le pouvoir d'achat ? Plus de 96 % des actifs veulent, en effet, continuer à faire leurs courses alimentaires avec leurs titres restau.
Philippe D’Indevillers et Fanny Guinochet
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