Depuis les années 1980, ce ne sont pas moins de 28 lois sur l’immigration qui ont été promulguées en France. Pas plus tard que le 14 mai 2024, l’Union européenne s'est dotée d’un pacte sur la migration et l’asile pour durcir encore sa politique migratoire. Les réformes s'enchaînent sur un thème qui occupe un large espace politico-médiatique… tandis qu’il n’est qu’en quatrième place des préoccupations majeures de nos compatriotes, loin derrière le pouvoir d’achat ou l’avenir de notre système social, deux thématiques sur lesquelles la politique macroniste n'a fait qu’aggraver les choses. Et contrairement à ce qui fait les gros titres, la plupart des migrations dans le monde sont régulières, sûres et ordonnées et souvent directement liées au travail. Comme le souligne le dernier rapport sur les migrations de l’ONU, elles concernent actuellement 3,6 % de la population mondiale, soit 280 millions d'individus en 2023. On vous explique tout.
La migration est aussi vieille que l’humanité. Les données sur les flux migratoires sont importantes pour éclairer les politiques des pays, comme les accords bilatéraux sur les exemptions de visas ou sur la migration de la main-d'œuvre. Pour l'ONU, un migrant désigne « toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays ». Avec des raisons variées comme la nécessité de fuir des conflits ou chercher une vie meilleure…
Contrairement aux discours dominants, la plupart des migrations dans le monde sont régulières, sûres et ordonnées
De tout temps, les gens ont migré pour fuir des guerres et rechercher la sécurité, ou simplement dans une perspective économique afin de vivre une vie meilleure. Aujourd'hui, la majorité des individus migrent pour des raisons économiques ou liées à la famille et aux études.
Bien qu’il n’existe pas de définition universelle du migrant international, certaines sont largement acceptées comme celle de l’ONU. Il s'agit de « personnes vivant plus de 12 mois hors de leur pays de naissance ». On parle de « migrants de courte durée » pour les individus qui ont changé de pays de résidence habituel depuis au moins trois mois. Après un an, on parle de « migrants de longue durée ».
Point saillant du rapport de l’ONU sur les migrations, elles sont majoritairement régulières, sûres, ordonnées et souvent directement liées au travail. L’affirmation a de quoi étonner tout citoyen qui s’informe uniquement dans les médias dominants, car ce sont plutôt les aspects négatifs qui y sont mis en avant, probablement en ligne avec la théorie selon laquelle les mauvaises nouvelles font vendre, et ce même si elles ne sont pas le reflet de la réalité.
Les travaux du CNRS ont montré l’impact du temps d’antenne et du traitement journalistique consacrés à l’immigration à la télévision française sur les attitudes des citoyens. Avec un verdict sans appel : lorsque l’immigration est traitée sous l’angle de son coût ou de l’intégration, elle polarise les attitudes. Par exemple, TF1 traite deux fois plus souvent l’immigration sous cet angle qu’Arte :
« Une augmentation de la prévalence de l’immigration dans les émissions télévisées tire une partie des électeurs du centre et de la droite vers l’extrême-droite, tandis que les électeurs du centre-gauche augmentent leur probabilité de voter pour la gauche traditionnelle et les partis écologistes. » (CNRS)
Les migrations concernent 3,6 % de la population mondiale
En 2023, l’ONU dénombre 281 millions de migrants internationaux, soit 3,6 % de la population mondiale. En valeur, c’est une augmentation de +80 % par rapport à 1990, et c'est trois fois plus qu’en 1970. Ces chiffres peuvent sembler élevés, mais ils sont en grande partie liés à l’augmentation de la population mondiale qui est passée de 3,7 milliards d’habitants en 1970 à 5,3 milliards en 1990, avant d'atteindre les 8 milliards à l'été 2023.
En relatif, les migrations ne concernent qu’une très faible partie de la population. Rester dans son pays de naissance reste largement la norme pour l’immense majorité des êtres humains. D’ailleurs, la proportion de migrants internationaux par rapport à la population mondiale totale a peu augmenté, passant de 2,3 % dans les années 1970 à 2,8 % dans les années 2000, et à 3,6 % aujourd’hui.
Et si dans la majorité des cas aucun problème n’est recensé, les morts et les disparitions tragiques existent bien. Depuis octobre 2013, marquées par le décès de 360 personnes dans un naufrage près de l'île italienne de Lampedusa, les informations sur les morts ou disparitions de migrants sont désormais collectées. L’année 2023 est la plus meurtrière depuis l’existence de cette comptabilisation avec 8 500 décès dans un contexte de migration. En cumulé, depuis 2014, ce sont plus de 63 000 migrants qui ont disparu en Méditerranée, en Afrique et en Asie.
Les hommes sont légèrement majoritaires parmi les migrants ; on en dénombre 146 millions contre 135 millions de femmes. Un écart qui se creuse légèrement depuis les années 2000. Par ailleurs, 28 millions des migrants sont des enfants, soit environ 10 % du total.
Les pays de destination varient aussi selon le genre avec plus de femmes dans les pays d’Europe et du Nord, les États-Unis, le Canada, la France, l'Espagne et l'Italie. Ces destinations reflètent la forte prévalence des femmes migrantes dans le secteur des services, notamment dans le travail domestique et la santé.
Au contraire, davantage d’hommes migrent vers les pays asiatiques, en particulier les pays du Conseil de coopération du Golfe, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït. Des différences liées à l’importance des secteurs de la construction et de l’industrie qui recrutent de façon croissante des ouvriers du bâtiment depuis le choc pétrolier de 1973.
Les grands corridors migratoires sont définis par les conflits ainsi que les conditions économiques et climatiques
Les modes de migrations évoluent avec le temps. Des facteurs économiques, géographiques et démographiques façonnent des « corridors » migratoires au fil des ans. Un corridor migratoire relie le pays d’origine du migrant au pays de destination. Sa taille varie et dépend du nombre de personnes qui l'utilisent.
Les plus grands corridors partent généralement des pays en développement vers les États-Unis, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite ou encore l'Allemagne. Ils traduisent la principale raison (mais pas l'unique) qui pousse les migrants au départ, à savoir la recherche de meilleures perspectives économiques et de travail pour 170 millions d’entre eux en 2019. Le corridor Mexique–États-Unis est le plus important, avec près de 11 millions de personnes qui l’ont emprunté en 2023.
Les grands corridors reflètent aussi des conflits prolongés qui sont source de déplacement. Le deuxième plus grand corridor s'étend de la Syrie à la Turquie et concerne près de 4 millions de réfugiés déplacés depuis le début de la guerre civile en Syrie. Le corridor entre la Russie et l'Ukraine est en troisième place ; il totalise plus de 3,5 millions de migrants depuis l’Ukraine en 2024 suite aux invasions russes de 2014 et 2022.
Depuis 2021, les grands mouvements migratoires sont modelés en partie par les conflits en Ukraine et à Gaza. Mais ce ne sont pas les seuls, ce sont des millions de personnes qui ont été déplacées à l'intérieur ou à partir de la Syrie, du Yémen, de la République démocratique du Congo, du Soudan, de l’Éthiopie ou encore du Myanmar.
En plus des conflits, les catastrophes naturelles, et de plus en plus climatiques, jouent un rôle croissant dans les déplacements à grande échelle. Ce fut le cas dans de nombreuses régions du monde en 2022 et 2023, notamment au Pakistan, aux Philippines, en Chine, en Inde, au Bangladesh, au Brésil et en Colombie. Le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie ont connu de puissants tremblements de terre, provoquant plus de 50 000 morts et 2,7 millions de personnes déplacées en Turquie, et de nombreuses personnes laissées sans abri en Syrie.
Des bénéfices pour les pays de départ et de destination des migrants
Pour les pays d’origine, à défaut d'un soutien international au développement suffisant, les migrations peuvent être source de revenus. Les pays à revenus faible et intermédiaire reçoivent ainsi d’importantes sommes issues de l’envoi de fonds de la part de leurs ressortissants qui travaillent à l’étranger. Des montants élevés et en croissance qui participent au développement des pays.
La Banque mondiale, qui compile ces données, rapporte une tendance à la hausse des envois de fonds internationaux ces dernières années, bien plus forte que l’augmentation du nombre de migrants. Alors que le nombre de migrants a augmenté de moitié entre 2000 et 2022, les montants transférés sont passés de 128 milliards de dollars à plus de 800 milliards de dollars, une multiplication par six.
À tel point que ces transferts de la diaspora vers le pays d’origine représentent, pour les pays pauvres ou en développement, largement plus que les montants des aides publiques au développement des pays riches, et autant que les investissements directs étrangers.
Les pays en voie de développement ne sont pas les seuls à être concernés par ces transferts d'argent. Depuis 2010, la France est cinquième au classement des pays recevant le plus de fonds en provenance de l’étranger via ses travailleurs frontaliers (Suisse et Luxembourg). Le montant est coquet et s’élève à 30 milliards de dollars en 2022, en hausse de +50 % par rapport à 2010.
L’hexagone se place aussi dans le top 10 des envois des fonds vers l’étranger, avec un montant de 15 milliards de dollars en 2022, en légère hausse depuis 2010 (12 milliards de dollars), mais loin derrière l’Allemagne et ses 25 milliards de dollars transférés en 2022.
Si la migration peut être d’une importance cruciale pour l’économie des pays en voie de développement, elle l’est aussi pour les pays de destination qui sont en déclin démographique, à l’image des pays à hauts revenus. Les pays de l’OCDE, par exemple, où le nombre d’enfants par femme (1,6) est largement en dessous du seuil de renouvellement des générations, ont vu un afflux record de plus de 6 millions de migrants en 2022 (+26 % en un an), hors réfugiés ukrainiens, selon les données de l’OCDE. Un phénomène appelé à se répéter en 2023 selon les données préliminaires, et qui « s’explique par l’augmentation des admissions pour des raisons humanitaires et de l’immigration régulée de travailleurs étrangers, accompagnés des membres de leur famille ».
Commentaire