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Derrière les grands crus bordelais, la misère des saisonniers étrangers

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  • Derrière les grands crus bordelais, la misère des saisonniers étrangers




    Venus d’Europe de l’Est et du Maghreb, des milliers de saisonniers tombent malades en récoltant les grands crus de Bordeaux. Ils vivent dans des bidonvilles ou des maisons suroccupées. Médecins du monde sonne l’alerte.

    Pauillac (Gironde), reportage

    Le thermomètre du camion affiche 37 °C. Avec la chaleur, le travail de la vigne commence tôt, et à 17 heures, les parcelles sont vides. Comme tous les mardis, une équipe de Médecins du monde sillonne les rues de Pauillac, à 50 kilomètres au nord de Bordeaux, à la rencontre des travailleurs qui ont fini leur journée.

    Lors de maraudes ou de permanences, ils soignent, orientent les patients vers le système de santé, et tentent de remonter aux origines des pathologies : « On observe de nombreux troubles musculo-squelettiques liés à la combinaison des conditions de vie et de travail », dit Martin Toraille, médiateur en santé à Médecins du monde. Chaque semaine, il voit défiler des hommes et des femmes jeunes, entre 20 et 50 ans, qui se plaignent de douleurs au dos, aux mains ou aux genoux.

    Martin Toraille, médiateur en santé à Médecins du monde, effectue des maraudes chaque semaine à la rencontre des travailleurs. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    C’est le cas de Doru, qui travaille dans les vignes depuis neuf ans, comme toute sa famille. À 31 ans, il a des douleurs aux bras et au dos à force de travailler à même le sol. Il voudrait bien se faire soigner, mais Doru est persuadé qu’en tant que saisonnier, il n’a pas droit à l’assurance maladie et ne peut pas prétendre à un arrêt de travail. « J’ai peur de perdre des jours de travail et qu’on ne me reprenne plus après », dit-il.
    « La vigne, c’est le travail le plus difficile »

    En tant que citoyen européen et travailleur en France, Doru a pourtant droit à la complémentaire santé solidaire (ex-CMU). Mais comme d’autres travailleurs, il ne connaît pas ses droits et n’a aucune couverture, son contrat étant renouvelé tous les deux ou trois jours.

    Dans le bidonville où il vit, Doru boit le thé avec Boroni et Maria, 45 et 42 ans. Eux aussi travaillent à la vigne, et souffrent de problèmes de dos. Ils ont travaillé dans d’autres secteurs auparavant, mais pour Boroni, pas de doute : « La vigne, c’est le travail le plus difficile. »

    Les travailleurs roumains et bulgares vivent pour la plupart dans un bidonville de Bordeaux. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    Dans le Médoc, entre 7 000 et 15 000 saisonniers travaillent pour les châteaux. Ils n’ont en réalité de saisonniers que le nom : la plupart travaillent dans les vignes pendant huit ou neuf mois, et certains vivent à l’année en France. Près des exploitations, le bidonville de Perganson accueille des travailleurs espagnols, portugais ou marocains.

    Les Roumains et Bulgares vivent quant à eux dans d’autres bidonvilles, plus au sud, dans la métropole bordelaise. C’est à leur contact que l’ONG a décidé de mener une mission dédiée aux précaires de la vigne, après avoir fait le lien entre conditions de travail et problèmes de santé.

    Paceria (au centre) a décidé de moins travailler dans les vignes : « Après plusieurs années, j’ai commencé à perdre mes cheveux », raconte-t-elle. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    En plus de gestes répétitifs, les travailleurs sont soumis à des cadences infernales. « La plupart n’ont pas ou peu de pauses, et certains n’ont pas accès aux sanitaires, détaille Jean-Luc Taris, infirmier libéral et bénévole à Médecins du monde. Ils tolèrent l’intolérable. »

    Des bidons pour avoir de l’eau potable


    Dans le bidonville de Perganson, les habitants n’ont pas accès à l’eau courante. Pour se laver ou boire, ils utilisent des bidons qu’ils remplissent en ville, et lavent leur linge dans un étang près de la déchetterie. À Bordeaux, les habitants du bidonville ont eux accès à l’eau ; mais sur leur lieu de travail, certains n’ont ni robinet ni toilettes : « On prend des bouteilles qu’on laisse dans la voiture. Et pour les toilettes, c’est dehors », raconte Magi, 45 ans.

    Dans le bidonville de Perganson, près des vignes, les travailleurs n’ont pas accès à l’eau courante. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    Médecins du monde recense également de nombreux cas de problèmes respiratoires, gastriques et dermatologiques, qu’ils soupçonnent d’être liés à l’usage de pesticides. « Irritations oculaires, démangeaisons de la peau, difficulté à respirer… Ce sont des symptômes qu’on nous décrit de façon récurrente », rapporte Jean-Luc Taris.

    À ces maux viennent s’ajouter des stigmates visibles : Mihai a 56 ans, travaille dans les vignes depuis six ans, et a vu apparaître sur ses mains des brûlures blanchâtres qui le grattent depuis quelques mois. À côté de lui, Magi montre des dizaines de petites plaies sur ses bras, apparues il y a moins d’un mois. Mihai comme Magi disent ne jamais avoir eu de gants ou autre protection pour travailler.

    Depuis quelques semaines, Magi a des dizaines de petites plaies sur les bras. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    Si la plupart des travailleurs de la vigne sont des hommes, les femmes sont de plus en plus nombreuses à les rejoindre. Mais dans le bidonville de Bordeaux, plusieurs ont arrêté de travailler dans les vignes, craignant pour leur santé : « Après plusieurs années, j’ai commencé à perdre mes cheveux. C’est le cas de beaucoup de femmes ici », dit Paceria, 26 ans, qui travaille sur les exploitations depuis 2015.
    « Le tracteur passe alors que nous sommes dans la parcelle d’à côté »

    La loi française interdit la présence de travailleurs dans la parcelle entre 12 heures et 48 heures après l’épandage de pesticides, en fonction de la dangerosité du produit. Magi affirme pourtant que sur son exploitation, les épandages se font pendant le travail des saisonniers : « Le tracteur passe alors que nous sommes dans la parcelle d’à côté. » Un cas loin d’être isolé, selon l’ONG, qui affirme avoir reçu de nombreux témoignages en ce sens.

    Médecins du monde a entamé une mission dédiée aux précaires de la vigne après après avoir constaté le lien entre leurs conditions de travail et leurs problèmes de santé. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    Le lien entre pesticides et cancer est difficile à documenter, en raison de la diversité des produits et du délai entre l’exposition aux produits et la déclaration d’une maladie. Pourtant, un rapport de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) publié en 2021 et rassemblant plusieurs travaux d’experts confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies, telles que le cancer des voies lymphatiques, le cancer de la prostate ou la maladie de Parkinson.

    « Le rapport de l’Inserm est très clair : il y a évidemment un risque quand l’épandage a lieu à quelques centaines de mètres des travailleurs. Mais on a aussi des problèmes liés à une exposition aiguë : gêne respiratoire, toux, éruption cutanée, céphalées… Mais pour ça, il est encore difficile d’avoir des données scientifiques concrètes », témoigne Marie-Lys Bibeyran, lanceuse d’alerte sur l’usage des pesticides dans la vigne et ancienne saisonnière.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2


    Pour Boroni, pas de doute : « La vigne, c’est le travail le plus difficile. » © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    Le plus souvent, les travailleurs ignorent la législation imposée aux vignobles concernant les pesticides. « Ils sont employés par des boîtes de prestation, qui eux-mêmes ne connaissent pas la dangerosité du produit et donc les règles de sécurité », poursuit Marie-Lys Bibeyran. Ces entreprises font le lien entre travailleurs et propriétaires des châteaux : ce sont souvent elles qui les emploient et parfois, les logent. Car si certains travailleurs choisissent d’eux-mêmes de vivre en camion sur les bords de Garonne, d’autres doivent vivre à quinze dans des maisons de ville louées par ces mêmes entreprises.
    « L’employeur menaçait de les licencier s’ils se plaignaient »

    En plus du contrat de travail et du logement, les prestataires se chargent aussi des papiers pour les travailleurs hors UE, comme les Marocains. « Ils déboursent 10 000 euros pour venir en France et se retrouvent entassés dans des maisons, sans papiers », résume Jean-Luc Taris. Il y a six mois, Médecins du monde a reçu le témoignage de deux Marocains décrivant des conditions de vie et de travail indécentes. « L’employeur ne les payait plus, il les logeait dans une maison suroccupée, et menaçait de les licencier s’ils se plaignaient », relate Martin Toraille.

    La plupart des travailleurs ne sont pas logés dans les châteaux mais dans des bidonvilles ou des maisons suroccupées. © Amandine Sanial / Hans Lucas pour Reporterre

    En Gironde, il existerait plus de 400 prestataires, qui changent régulièrement de siège social et sont donc difficiles à tracer. L’un d’eux a cependant été condamné fin juillet à trente mois de prison dont dix fermes, et 15 000 euros d’amende pour « traite d’êtres humains », rapporte Sud Ouest.

    Pour l’heure, Médecins du monde s’en tient aux témoignages « nombreux et concordants » des travailleurs de la vigne quant aux conditions sur l’exploitation. Mais le médiateur en santé compte aller plus loin : « La prochaine étape va être de toucher les propriétaires de châteaux, qui ne nous ont pas encore ouvert leurs portes. »
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

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