The Wall Street Journal
Les jeunes diplômés des écoles les plus prestigieuses n’auront aucun mal à trouver du travail, mais ils n’iront pas forcément chez Facebook ou Google
Dans les universités américaines, l’informatique n’a jamais autant plu. Pourtant, celles et ceux qui finiront leurs études cet été vont découvrir que leur diplôme ne leur garantit plus forcément une carrière fulgurante dans la tech.
Et qu’ils risquent même d’avoir plus de mal qu’ils ne l’imaginaient à trouver du travail.
De fait, les géants de la tech qui recrutaient sans compter il y a encore quelques années sont désormais moins intéressés par les débutants (ils sont parfois même plutôt dans une optique de réduction de leurs effectifs). Ils se tournent aussi de plus en plus vers l’intelligence artificielle (IA), une technologie qui, comme beaucoup le redoutent, pourrait rendre les codeurs moins indispensables. Le nombre d’annonces publiées sur le site d’offres d’emploi Indeed dans le domaine du développement informatique a chuté de 30% par rapport à l’avant-crise sanitaire, alors que, dans le même temps, les jeunes diplômés sont de plus en plus nombreux à toquer à la porte des entreprises.
Aux Etats-Unis, le nombre d’étudiants optant pour l’informatique et les sciences de l’information a en effet bondi de 40% en cinq ans ; en 2023, ils étaient plus de 600 000. D’après le département américain de l’Education, plus de 100 000 diplômes ont été décernés dans ces matières en 2021 : c’est une envolée de 140% en dix ans.
Conséquence : quand, jusque-là, tout le monde avait trouvé son stage de fin d’études et son emploi à la Toussaint, les recherches sont désormais plus longues.
Sur Handshake, une plateforme d’offres d’emploi destinées aux étudiants, le nombre d’annonces pour des postes à plein temps dans la tech a chuté de 30% par rapport à l’an passé
« Quand je dis aux gens que je fais de l’informatique, ils me disent que j’ai trop de chance, que je vais super bien gagner ma vie, que je pourrais faire ce que je veux, raconte Ben Riesett, 22 ans, fraîchement diplômé de l’université catholique d’Amérique. Sauf qu’en vrai, en ce moment, impossible de trouver du boulot. »
Il y a quelques années, on disait au jeune homme que les entreprises avaient besoin de gens comme lui. Aujourd’hui, parmi ses camarades, ceux qui ont du travail l’ont trouvé grâce à leur famille, leurs amis ou leur stage. Depuis Washington, M. Riesett a envoyé des CV dans tout le pays pour des postes débutants et n’a pas reçu beaucoup de réponses.
Les diplômés des grandes écoles d’informatique n’ont pas de mal à trouver du travail et le salaire, autour de 75 000 dollars en début de carrière, se situe dans le haut de la fourchette des rémunérations auxquelles peuvent prétendre les juniors, selon la National Association of Colleges and Employers (NACE). Mais ils n’iront pas forcément chez Facebook ou Google.
« Les demandeurs d’emploi doivent revoir leurs attentes, prévient Tim Herbert, responsable de la recherche chez CompTIA, un organisme à but non lucratif qui délivre des certifications en informatique. Les jeunes diplômés devront peut-être envisager d’aller travailler dans des entreprises auxquelles ils n’avaient pas pensé ou faire des concessions sur les salaires, les avantages ou les primes à l’embauche. »
Si les géants de la tech recrutent toujours dans les domaines liés à l’IA, poursuit-il, ces postes exigent souvent plus d’expérience que n’en ont les nouveaux arrivants sur le marché du travail.
Les salaires de celles et ceux qui seront diplômés cette année en informatique n’ont augmenté que de 2,7% par rapport à l’an passé : c’est la plus faible hausse en huit ans, selon la NACE.
Sur les dix-huit derniers mois, d’après le département du Travail, l’emploi chez les éditeurs de logiciels — qui recrutent notamment des développeurs — n’a pas progressé. Sur Handshake, une plateforme d’offres d’emploi destinées aux étudiants, le nombre d’annonces pour des postes à plein temps dans la tech a chuté de 30% par rapport à l’an passé.
Elargir les horizons
Jarin Rahman est étudiante en informatique. Elle vient de terminer sa troisième année d’études à l’université Cornell et s’est toujours dit qu’une fois diplômée, elle trouverait du travail chez un grand nom du secteur technologique. Pour la jeune femme dont les parents ne sont pas allés à la fac, c’était forcément la voie royale.
Sauf que, l’été dernier, elle a vu un certain nombre d’étudiants de dernière année terminer leur stage sans qu’on leur propose de les embaucher. Le secteur technologique semblant moins stable qu’elle ne le pensait, elle commence à regarder ailleurs.
« Cette situation me stresse vraiment parce que je sais que je dois trouver un moyen de soutenir ma famille », explique-t-elle.
Cet été, c’est finalement chez un gestionnaire d’investissement immobilier qu’elle ira en stage.
Stephanie Johnson est responsable de l’évolution professionnelle du département d’informatique de l’université de Caroline du Nord. Elle raconte qu’en moyenne, ses étudiants postulent à plus de 150 postes, et que beaucoup n’ont encore rien trouvé.
Il y a quelques années, ils envoyaient une vingtaine ou une quarantaine de CV et recevaient une proposition d’embauche à l’automne.
Elle constate aussi que de plus en plus d’étudiants visent des entreprises dans lesquelles la technologie est un service, et pas le produit, citant l’exemple de deux d’entre eux, à qui des géants de la tech avaient proposé un poste. Ils ont décliné : l’un pour aller dans une banque, l’autre pour travailler dans la grande distribution.
Entre 2018 et 2023, le nombre d’étudiants obtenant un diplôme en informatique et sciences de l’information est passé d’environ 444 000 à 628 000
L’université de Virginie organise tous les ans la Tech Night Takeover, une soirée pendant laquelle ses étudiants peuvent réseauter avec de grandes entreprises. Cette année, elle a invité des employeurs du secteur de la santé, de l’énergie et des services financiers.
Candidatures à l’ancienne
Sur le marché du travail, les diplômés en informatique poussent comme des champignons, et ce n’est pas près de s’arrêter : selon la National Student Clearinghouse Research Center, c’est le domaine qui connaît la plus forte croissance des vingt matières les plus prisées des étudiants américains, et la quatrième spécialité la plus appréciée. Entre 2018 et 2023, le nombre d’étudiants obtenant un diplôme en informatique et sciences de l’information est passé d’environ 444 000 à 628 000.
Pierce Avner vient de boucler sa troisième année à l’université du Colorado à Boulder. L’an passé, il a postulé pour plusieurs centaines de stages. La majorité des entreprises n’ont pas répondu et les rares à l’avoir fait lui ont, pour la plupart, envoyé un e-mail de refus. Temps de réponse : entre quinze secondes et une minute.
Cette année, il a changé de méthode : il a cessé de postuler en ligne et est allé déposer son CV en personne dans les entreprises des environs de Denver et Boulder. Il a également écrit aux anciens de Theta Tau, la fraternité des étudiants ingénieurs. Cet été, il devrait faire son stage chez un spécialiste de l’aéronautique grâce au réseau de la fraternité.
Alex Giang termine sa troisième année en informatique à Cornell et va bientôt débuter un stage en ingénierie logicielle dans une agence de publicité numérique. Il avait postulé chez Uber, Airbnb, Tesla, Facebook, Apple et Amazon, sans succès.
Ses amis changent aussi d’état d’esprit. Désormais, tous se disent que s’ils trouvent du boulot, il faut dire oui, « même si le job ne nous plaît pas trop, parce qu’on ne sait pas si on trouvera autre chose », résume-t-il.
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)