C’est grâce à Pierre Lory que j’ai découvert l’œuvre de Hallâj intitulée Le Tâwasîn. Il contient quatre chapitres. C’est un admirable traité philosophique et d’amour mystique. Le chapitre intitulé « Tâsîn de la préexistence et de l’ambiguïté » m’a posé des questions pertinentes qui viennent du texte même, de la position de désobéissance d’Ibliss par rapport à Dieu quand il refuse de se prosterner devant Adam. C’est paradoxal : Hallâj qui adore Dieu refuse un ordre venant de lui. L’amour qui l’anime est-il féminin, masculin ou d’un Autre type ? L’ambiguïté qui s’est installée entre lui et Dieu peut annoncer une autre séparation pour un plus. Il a trouvé la nécessité de s’identifier avec Ibliss afin de prouver son esprit paradoxal et de montrer qu’il est sacrifié par son amour.
2Le titre « Moi et toi » indique dans la forme qu’ils sont deux, or l’unité avec Dieu était le centre de son amour. Henry Corbin nous éclaire sur la signification de ces concepts : dans la conception mystique, le « toi » signifie le « moi » à la seconde personne, qui signifie la copie de la figure divine. « Cherche en toi-même toute chose que tu désires. […] Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur. […] Je suis la vérité. » Toi et moi nous sommes donc un.
3Mais avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais vous parler d’al-Hallâj. Al-Hallâj est un mystique rebelle du xiie siècle. Son amour pour Dieu est unique et exclusif. Il ne supporte aucun intermédiaire ; c’est une relation duelle sans troisième. L’objet de sa recherche est l’union avec Dieu. C’est la pure identification au point de dire : « Je suis le Dieu vrai » (ana l-haqq), ou encore : « Entre toi et moi se tient Un, c’est moi, alors ôte-toi par toi-même, c’est moi qui m’interpose. »
4Le philosophe Haydar Amoli commente ainsi : « Le point final de tout cela, le voici : lorsque la personne singulière contemple le réel par la lumière du réel, il ne lui reste plus à franchir qu’un degré, le degré de sa disparition en Lui, ce que l’on nomme la disparition de celui qui connaît dans le connu, ou du témoin en ce dont il témoigne en contemplation, du serviteur dans le Seigneur, etc. Cela n’a lieu qu’en vertu de ce que toute dualité de perspective est ôtée, et parce que s’évanouit la multiplicité “créaturelle”, que s’efface le moi qui interdit l’atteinte effective, comme l’a dit Hallâj. »
Hallâj est l’un des grands philosophes arabes et un grand topographe symbolique des dix figures, dont l’une est représentée sur la couverture du programme de ce colloque et signifie : « La porte qui mène à la vérité. » Il a aussi révolutionné la théologie musulmane en osant bouleverser la charia, en rendant la loi à sa vraie source, Dieu, ce qui lui a valu neuf ans de prison et la condamnation à mort par crucifixion. Par sa mort il a témoigné de son amour pour Dieu. « Dès le début, mon affaire a commencé de façon violente. Ceux qui veulent un livre, et bien voici mon message. Lisez-le et apprenez que je suis un martyr. » Les raisons directes de sa condamnation étaient :
5
Le destin des noms
6Il s’appelait : al-Mughith Hussein Mansour Hallâj. Hussein signifie en arabe « le beau », c’est un diminutif de Hassan, le prénom de son frère aîné. Ce fils de l’imam Ali est mort martyr. Mansour est le prénom du père qui signifie « le victorieux ». Hallâj est la profession de son père, cardeur de fibres textiles ; lui sera le cardeur du plus intime secret de Dieu : l’unicité (Hallâj al-asrar). Al-Mughith est celui qui sauve de la détresse.
7Qui était donc al-Hallâj dans l’inconscient de ses parents ? Le prénom Hussein l’a conduit à la mort comme martyr, ce qui était inscrit dans le désir inconscient de la mère. Mansour renvoie à sa mort comme victoire de l’amour. Il a écrit : « Tuez-moi, ô mes fidèles car c’est dans mon meurtre qu’est ma vie. » Hallâj al-asrar fait écho à son expérience avec Dieu. Al-Mughith reflète le fait que par l’union avec Dieu il a pu être sauvé de toute sa perplexité et de sa détresse. Tous ces noms font partie des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu selon la tradition musulmane.
8L’enfance de Hallâj n’est pas une affaire liquidée. Il y a eu un retournement qui s’est manifesté à travers la face hostile du grand Autre représenté par l’autorité spirituelle et politique. Sa détresse aussi demeure avec la nostalgie du père qui, comme Dieu, est présent-absent. Cette frustration l’a amené à deux positions : tantôt l’opposition, tantôt l’abandon à l’amour ardent de Dieu.
9Hussein al-Hallâj était marié. Il avait trois fils et une fille, Fatima, qui ont joué un rôle très important lors de son emprisonnement et de sa mort. À l’inverse des mystiques chrétiens, il a connu la jouissance phallique, mais il l’a quittée pour une autre jouissance avec l’Un : amour, vie, mort. Il a quitté sa famille pour voyager comme son père, mais sa quête était autre.
Était-il à la recherche de son père absent ? Est-ce un détour pour s’identifier à lui ? Comme son père à la recherche de l’essence de la fibre textile, en cardant il rechercha les secrets de Dieu, le secret de l’unicité de Dieu. Cela l’a conduit à unchemin unique dans l’histoire de la mystique qui nous amène à ouvrir les portes l’une après l’autre ; chaque porte ouvre sur un secret, cela presque à l’infini, ce qui nous donne un extraordinaire sentiment d’ambiguïté, car l’existence pour Hallâj est construite sur un paradoxe qui va s’exprimer dans son histoire avec Ibliss, le démon. Il a bien perçu cette ambiguïté, d’où le titre : « Tâwasîn de la préexistence et de l’ambiguïté ». C’est l’histoire de la relation d’Ibliss avec Dieu, Adam et Moïse. Est-ce une histoire de trahison entre l’adorateur et l’adoré ou une histoire de pur amour ?
Quelle est la signification de Tâwasîn ? L’extinction complète des sources des secrets divins devant la suprématie de la lumière éternelle. Tout ce qui ramène cependant au nom du Dieu, dont l’essence est indiquée par l’alef, la première lettre de l’alphabet arabe, marque la transcendance et pointe vers l’unicité pure dans la doctrine du tawhîd.
Tâ désigne la quête et la pureté (tahâra) requise pour progresser vers la vérité. Ha vient de la haqîqa et al-haqq le vrai. Sîn renvoie au secret de l’union. Ma’na al-haqîqa signifie la signification mystique de la vérité.
...
2Le titre « Moi et toi » indique dans la forme qu’ils sont deux, or l’unité avec Dieu était le centre de son amour. Henry Corbin nous éclaire sur la signification de ces concepts : dans la conception mystique, le « toi » signifie le « moi » à la seconde personne, qui signifie la copie de la figure divine. « Cherche en toi-même toute chose que tu désires. […] Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur. […] Je suis la vérité. » Toi et moi nous sommes donc un.
3Mais avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais vous parler d’al-Hallâj. Al-Hallâj est un mystique rebelle du xiie siècle. Son amour pour Dieu est unique et exclusif. Il ne supporte aucun intermédiaire ; c’est une relation duelle sans troisième. L’objet de sa recherche est l’union avec Dieu. C’est la pure identification au point de dire : « Je suis le Dieu vrai » (ana l-haqq), ou encore : « Entre toi et moi se tient Un, c’est moi, alors ôte-toi par toi-même, c’est moi qui m’interpose. »
4Le philosophe Haydar Amoli commente ainsi : « Le point final de tout cela, le voici : lorsque la personne singulière contemple le réel par la lumière du réel, il ne lui reste plus à franchir qu’un degré, le degré de sa disparition en Lui, ce que l’on nomme la disparition de celui qui connaît dans le connu, ou du témoin en ce dont il témoigne en contemplation, du serviteur dans le Seigneur, etc. Cela n’a lieu qu’en vertu de ce que toute dualité de perspective est ôtée, et parce que s’évanouit la multiplicité “créaturelle”, que s’efface le moi qui interdit l’atteinte effective, comme l’a dit Hallâj. »
Hallâj est l’un des grands philosophes arabes et un grand topographe symbolique des dix figures, dont l’une est représentée sur la couverture du programme de ce colloque et signifie : « La porte qui mène à la vérité. » Il a aussi révolutionné la théologie musulmane en osant bouleverser la charia, en rendant la loi à sa vraie source, Dieu, ce qui lui a valu neuf ans de prison et la condamnation à mort par crucifixion. Par sa mort il a témoigné de son amour pour Dieu. « Dès le début, mon affaire a commencé de façon violente. Ceux qui veulent un livre, et bien voici mon message. Lisez-le et apprenez que je suis un martyr. » Les raisons directes de sa condamnation étaient :
5
- Sa prétention à la divinisation (« je suis le Dieu vrai »). Il cherche la vérité pour s’unir à la divinité ;
- Son affirmation selon laquelle le rituel du pèlerinage peut être effectué en esprit et que cela dispense du hajj à La Mecque.?Il a donc préconisé le pèlerinage spirituel en Dieu : seul Dieu est absolu, le croyant mystique doit voir au-delà de la loi. Il demeura fidèle jusqu’au bout à ses convictions en creusant dans « la terre du cœur », ce miroir de la conscience mystique.
Le destin des noms
6Il s’appelait : al-Mughith Hussein Mansour Hallâj. Hussein signifie en arabe « le beau », c’est un diminutif de Hassan, le prénom de son frère aîné. Ce fils de l’imam Ali est mort martyr. Mansour est le prénom du père qui signifie « le victorieux ». Hallâj est la profession de son père, cardeur de fibres textiles ; lui sera le cardeur du plus intime secret de Dieu : l’unicité (Hallâj al-asrar). Al-Mughith est celui qui sauve de la détresse.
7Qui était donc al-Hallâj dans l’inconscient de ses parents ? Le prénom Hussein l’a conduit à la mort comme martyr, ce qui était inscrit dans le désir inconscient de la mère. Mansour renvoie à sa mort comme victoire de l’amour. Il a écrit : « Tuez-moi, ô mes fidèles car c’est dans mon meurtre qu’est ma vie. » Hallâj al-asrar fait écho à son expérience avec Dieu. Al-Mughith reflète le fait que par l’union avec Dieu il a pu être sauvé de toute sa perplexité et de sa détresse. Tous ces noms font partie des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu selon la tradition musulmane.
8L’enfance de Hallâj n’est pas une affaire liquidée. Il y a eu un retournement qui s’est manifesté à travers la face hostile du grand Autre représenté par l’autorité spirituelle et politique. Sa détresse aussi demeure avec la nostalgie du père qui, comme Dieu, est présent-absent. Cette frustration l’a amené à deux positions : tantôt l’opposition, tantôt l’abandon à l’amour ardent de Dieu.
9Hussein al-Hallâj était marié. Il avait trois fils et une fille, Fatima, qui ont joué un rôle très important lors de son emprisonnement et de sa mort. À l’inverse des mystiques chrétiens, il a connu la jouissance phallique, mais il l’a quittée pour une autre jouissance avec l’Un : amour, vie, mort. Il a quitté sa famille pour voyager comme son père, mais sa quête était autre.
Était-il à la recherche de son père absent ? Est-ce un détour pour s’identifier à lui ? Comme son père à la recherche de l’essence de la fibre textile, en cardant il rechercha les secrets de Dieu, le secret de l’unicité de Dieu. Cela l’a conduit à unchemin unique dans l’histoire de la mystique qui nous amène à ouvrir les portes l’une après l’autre ; chaque porte ouvre sur un secret, cela presque à l’infini, ce qui nous donne un extraordinaire sentiment d’ambiguïté, car l’existence pour Hallâj est construite sur un paradoxe qui va s’exprimer dans son histoire avec Ibliss, le démon. Il a bien perçu cette ambiguïté, d’où le titre : « Tâwasîn de la préexistence et de l’ambiguïté ». C’est l’histoire de la relation d’Ibliss avec Dieu, Adam et Moïse. Est-ce une histoire de trahison entre l’adorateur et l’adoré ou une histoire de pur amour ?
Quelle est la signification de Tâwasîn ? L’extinction complète des sources des secrets divins devant la suprématie de la lumière éternelle. Tout ce qui ramène cependant au nom du Dieu, dont l’essence est indiquée par l’alef, la première lettre de l’alphabet arabe, marque la transcendance et pointe vers l’unicité pure dans la doctrine du tawhîd.
Tâ désigne la quête et la pureté (tahâra) requise pour progresser vers la vérité. Ha vient de la haqîqa et al-haqq le vrai. Sîn renvoie au secret de l’union. Ma’na al-haqîqa signifie la signification mystique de la vérité.
...
Commentaire