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« Tâsîn de la préexistence et de l'ambiguïté » « Moi et toi, trahison ou amour ? »

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  • « Tâsîn de la préexistence et de l'ambiguïté » « Moi et toi, trahison ou amour ? »

    C’est grâce à Pierre Lory que j’ai découvert l’œuvre de Hallâj intitulée Le Tâwasîn. Il contient quatre chapitres. C’est un admirable traité philosophique et d’amour mystique. Le chapitre intitulé « Tâsîn de la préexistence et de l’ambiguïté » m’a posé des questions pertinentes qui viennent du texte même, de la position de désobéissance d’Ibliss par rapport à Dieu quand il refuse de se prosterner devant Adam. C’est paradoxal : Hallâj qui adore Dieu refuse un ordre venant de lui. L’amour qui l’anime est-il féminin, masculin ou d’un Autre type ? L’ambiguïté qui s’est installée entre lui et Dieu peut annoncer une autre séparation pour un plus. Il a trouvé la nécessité de s’identifier avec Ibliss afin de prouver son esprit paradoxal et de montrer qu’il est sacrifié par son amour.

    2Le titre « Moi et toi » indique dans la forme qu’ils sont deux, or l’unité avec Dieu était le centre de son amour. Henry Corbin nous éclaire sur la signification de ces concepts : dans la conception mystique, le « toi » signifie le « moi » à la seconde personne, qui signifie la copie de la figure divine. « Cherche en toi-même toute chose que tu désires. […] Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur. […] Je suis la vérité. » Toi et moi nous sommes donc un.

    3Mais avant d’entrer dans le vif du sujet je voudrais vous parler d’al-Hallâj. Al-Hallâj est un mystique rebelle du xiie siècle. Son amour pour Dieu est unique et exclusif. Il ne supporte aucun intermédiaire ; c’est une relation duelle sans troisième. L’objet de sa recherche est l’union avec Dieu. C’est la pure identification au point de dire : « Je suis le Dieu vrai » (ana l-haqq), ou encore : « Entre toi et moi se tient Un, c’est moi, alors ôte-toi par toi-même, c’est moi qui m’interpose. »

    4Le philosophe Haydar Amoli commente ainsi : « Le point final de tout cela, le voici : lorsque la personne singulière contemple le réel par la lumière du réel, il ne lui reste plus à franchir qu’un degré, le degré de sa disparition en Lui, ce que l’on nomme la disparition de celui qui connaît dans le connu, ou du témoin en ce dont il témoigne en contemplation, du serviteur dans le Seigneur, etc. Cela n’a lieu qu’en vertu de ce que toute dualité de perspective est ôtée, et parce que s’évanouit la multiplicité “créaturelle”, que s’efface le moi qui interdit l’atteinte effective, comme l’a dit Hallâj. »
    Hallâj est l’un des grands philosophes arabes et un grand topographe symbolique des dix figures, dont l’une est représentée sur la couverture du programme de ce colloque et signifie : « La porte qui mène à la vérité. » Il a aussi révolutionné la théologie musulmane en osant bouleverser la charia, en rendant la loi à sa vraie source, Dieu, ce qui lui a valu neuf ans de prison et la condamnation à mort par crucifixion. Par sa mort il a témoigné de son amour pour Dieu. « Dès le début, mon affaire a commencé de façon violente. Ceux qui veulent un livre, et bien voici mon message. Lisez-le et apprenez que je suis un martyr. » Les raisons directes de sa condamnation étaient :

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    1. Sa prétention à la divinisation (« je suis le Dieu vrai »). Il cherche la vérité pour s’unir à la divinité ;
    2. Son affirmation selon laquelle le rituel du pèlerinage peut être effectué en esprit et que cela dispense du hajj à La Mecque.?Il a donc préconisé le pèlerinage spirituel en Dieu : seul Dieu est absolu, le croyant mystique doit voir au-delà de la loi. Il demeura fidèle jusqu’au bout à ses convictions en creusant dans « la terre du cœur », ce miroir de la conscience mystique.
    Dans les biographies de certains mystiques, j’ai noté qu’on donne peu d’éléments concrets sur la vie du personnage (naissance, parents, famille…), éléments qui exercent pourtant une grande influence sur leurs parcours. Ainsi, pourquoi, dans l’itinéraire d’al-Hallâj, la mort, l’union, l’amour et la révolte ont-ils été au centre de sa vie et de ses écrits ? Massignon, dans son introduction au Diwan d’al-Hallâj, a écrit quel­ques lignes sur sa naissance : « Quand sa mère devint enceinte de lui, elle fit vœu de l’offrir comme serviteur à des foqara (religieux pauvres volontaires) et elle le nomma Hussein en souvenir du fils martyrisé de Fatima, la fille bénie du Prophète. […] Le père du Hallâj, probablement cardeur, s’en alla travailler dans le milieu textile en voyageant entre les différentes villes. […] Il avait appris le Coran par cœur à l’âge de 12 ans, il est devenu hafez mais très vite il chercha le sens symbolique qui élève la prière de l’âme vers Dieu. »


    Le destin des noms


    6Il s’appelait : al-Mughith Hussein Mansour Hallâj. Hussein signifie en arabe « le beau », c’est un diminutif de Hassan, le prénom de son frère aîné. Ce fils de l’imam Ali est mort martyr. Mansour est le prénom du père qui signifie « le victorieux ». Hallâj est la profession de son père, cardeur de fibres textiles ; lui sera le cardeur du plus intime secret de Dieu : l’unicité (Hallâj al-asrar). Al-Mughith est celui qui sauve de la détresse.

    7Qui était donc al-Hallâj dans l’inconscient de ses parents ? Le prénom Hussein l’a conduit à la mort comme martyr, ce qui était inscrit dans le désir inconscient de la mère. Mansour renvoie à sa mort comme victoire de l’amour. Il a écrit : « Tuez-moi, ô mes fidèles car c’est dans mon meurtre qu’est ma vie. » Hallâj al-asrar fait écho à son expérience avec Dieu. Al-Mughith reflète le fait que par l’union avec Dieu il a pu être sauvé de toute sa perplexité et de sa détresse. Tous ces noms font partie des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu selon la tradition musulmane.

    8L’enfance de Hallâj n’est pas une affaire liquidée. Il y a eu un retournement qui s’est manifesté à travers la face hostile du grand Autre représenté par l’autorité spirituelle et politique. Sa détresse aussi demeure avec la nostalgie du père qui, comme Dieu, est présent-absent. Cette frustration l’a amené à deux positions : tantôt l’opposition, tantôt l’abandon à l’amour ardent de Dieu.

    9Hussein al-Hallâj était marié. Il avait trois fils et une fille, Fatima, qui ont joué un rôle très important lors de son emprisonnement et de sa mort. À l’inverse des mystiques chrétiens, il a connu la jouissance phallique, mais il l’a quittée pour une autre jouissance avec l’Un : amour, vie, mort. Il a quitté sa famille pour voyager comme son père, mais sa quête était autre.


    Était-il à la recherche de son père absent ? Est-ce un détour pour s’identifier à lui ? Comme son père à la recherche de l’essence de la fibre textile, en cardant il rechercha les secrets de Dieu, le secret de l’unicité de Dieu. Cela l’a conduit à unchemin unique dans l’histoire de la mystique qui nous amène à ouvrir les portes l’une après l’autre ; chaque porte ouvre sur un secret, cela presque à l’infini, ce qui nous donne un extraordinaire sentiment d’ambiguïté, car l’existence pour Hallâj est construite sur un paradoxe qui va s’exprimer dans son histoire avec Ibliss, le démon. Il a bien perçu cette ambiguïté, d’où le titre : « Tâwasîn de la préexistence et de l’ambiguïté ». C’est l’histoire de la relation d’Ibliss avec Dieu, Adam et Moïse. Est-ce une histoire de trahison entre l’adorateur et l’adoré ou une histoire de pur amour ?

    Quelle est la signification de Tâwasîn ? L’extinction complète des sources des secrets divins devant la suprématie de la lumière éternelle. Tout ce qui ramène cependant au nom du Dieu, dont l’essence est indiquée par l’alef, la première lettre de l’alphabet arabe, marque la transcendance et pointe vers l’unicité pure dans la doctrine du tawhîd.
    désigne la quête et la pureté (tahâra) requise pour progresser vers la vérité. Ha vient de la haqîqa et al-haqq le vrai. Sîn renvoie au secret de l’union. Ma’na al-haqîqa signifie la signification mystique de la vérité.


    ...

  • #2
    ...

    La figure d’Ibliss


    12Selon Massignon, elle inspire à Hallâj une féconde réflexion sur la nature du culte pur qu’il convient de rendre à Dieu. Il en tire une exégèse gnostique de la quête de l’unité primordiale dont il explore les voies d’accès. « Les voies qui mènent vers Dieu sont aussi nombreuses que les souffles des créatures. […] J’ai vu mon bien-aimé avec l’œil de mon cœur. Le cœur ne ment pas sur ce qu’il a vu. » Pour Hallâj, Ibliss exprime les angoisses de l’âme en proie aux tourments de l’amour et qui souffre d’être maintenue éloignée de son créateur. Il joue le rôle du voile interposé entre Dieu et Adam. Ibliss est l’ange qui désobéit à l’injonction divine de se prosterner devant Adam. « Dieu dit à Ibliss : Prosterne-toi devant Adam. Ibliss répondit : Pas devant un autre que toi. Dieu lui répondit : Ma malédiction est sur toi jusqu’au jour du jugement. Ibliss répondit : Mon opposition à Toi est une sanctification. Mon intelligence en Toi vacille. Qu’est-ce qu’Adam si ce n’est Toi ? Et celui qui se tient dans l’intervalle c’est Ibliss. Dieu lui dit : Tu t’enorgueillis. Ibliss répondit : J’ai traversé avec Toi les éternités (adhâr). Qui donc est plus noble et plus insigne que moi ? Je t’ai connu dans la préexistence. Je suis meilleur que lui. Tu m’as créé du feu et le feu retourne au feu. Alors la décision et le choix t’appartiennent. […] Je ne puis maintenant être éloigné de Toi après avoir constaté que proximité et éloignement ne font qu’un. […] Si je dois être exilé, l’exil sera mon compagnon. […] Je suis solitaire, je suis martyr. Ma désobéissance est un sacrifice. »

    13On peut dire que pour Hallâj l’obéissance et le sacrifice sont présents comme une épreuve d’amour. C’est une soumission totale à l’amour et la désobéissance est une ambiguïté. Dans son dialogue avec Moïse, il dit : « Mon amour est plus loin que mon obéissance. Je suis devenu par mon amour un amoureux méprisé. » Il accepte toute l’épreuve de la souffrance et du blâme pour montrer la sincérité qui est une preuve d’amour et c’est cet amour en tant que pur qui prend la coloration de la jalousie en sus de l’attachement exclusif à l’un. Cette relation unique est dangereuse, elle peut amener au masochisme. Dans sa réponse à Moïse, Hallâj dit : « Fidèle à l’affection, comment pourrais-je l’oublier un instant ? Plus sa colère est grande, plus son amour redouble d’intensité en mon cœur. »

    14En Ibliss nous avons tout autant la préfiguration du pur amour hallâjien, du fait suivant : « Ibliss n’a pas su discerner la théophanie, la projection de Dieu sous la forme d’Adam en préférant réserver son culte à la pure essence », selon Ruspoli. Celui-ci ajoute : « Hallâj qui se compare (s’identifie plutôt) à l’ange Ibliss voit en lui un martyr, un apôtre de l’amour, qui continue d’invoquer Dieu, malgré la sanction de l’exil. » Il décèle une logique de la rébellion chez Ibliss et lui-même. Nous sommes en face de trois personnages?: Ibliss, Adam et Dieu. Hallâj procède à son autocritique qui passe par le mythe d’Ibliss, l’ange maudit. Adam est créé à l’image de Dieu. On trouve trois natures différentes dans le Tâwasîn : nature terrestre pour Adam et Hallâj, angélique pour Ibliss et divine pour Dieu. Tous apparaissent solidaires d’un même secret : la détention de la connaissance avec les pleins pouvoirs ; ils représentent une même entité métaphysique. Adam est créé à l’image de Dieu, Ibliss est l’ange maudit par Dieu, tous deux sont exilés du paradis.?Pour Adam, l’exil signifie la perte de Dieu et de son image ; pour Ibliss, l’exil est la fin de l’union à Dieu, de la proximité avec lui.

    15Qu’est-ce que le pur amour pour les mystiques musulmans ? Est-ce le détachement du moi de tout son intérêt propre afin de se suffire de la seule recherche de la vérité ? Lacan dans son séminaire sur le transfert demande : « Est-il possible d’avoir un amour pur et totalement désintéressé ? » S’il y a un doute, cela nous amène à poser la question de l’opposition entre l’utilité et le jouir. Les poèmes des mystiques prouvent qu’il y a une lutte intérieure pour renoncer à l’avoir. Pour renoncer il faut sacrifier. Lacan reprend la question dans son séminaire sur l’éthique en signalant que le renoncement au sacrifice est un sacrifice mais qui amène à la frustration.

    16Quand Dieu lui a demandé de se prosterner devant Adam, Ibliss a été obligé de refuser, car s’il acceptait cela l’obligeait à se séparer de Dieu. Il y a donc une perte, un sacrifice. L’obéissance à Dieu provoque la séparation d’avec lui et exige donc un sacrifice, une perte. Ibliss était donc coincé entre l’obéissance qui allait contre son amour exclusif pour Dieu et la désobéissance qui l’en séparait tout autant. Ibliss répond à Moïse en lui expliquant selon les mots de Hallâj : « C’est ma revendication d’un unique adoré. […] Maintenant mon service est plus pur, mon temps est plus heureux. Maintenant mon rappel est plus noble parce que je l’ai servi dans l’éternité pour ma satisfaction alors que maintenant je le sers pour sa satisfaction. J’ai surmonté l’envie, j’ai franchi le cap de l’interdiction, du rejet, du dommage et du profit. Il m’a isolé afin que je ne me mêle point aux autres, il m’a interdit la fréquentation des autres à cause de ma jalousie. Il m’a rendu jaloux à cause de ma perplexité. Il m’a rendu perplexe à cause de mon exil. Il m’a exilé à cause de mon service. Il m’a proscrit à cause de mon compagnonnage. Il m’a avili à cause de ma louange. Il m’a banni à cause de mon départ. Il m’a fait partir à cause de ma clairvoyance. Il m’a rendu clairvoyant à cause de ma jonction. Il m’a joint à cause de mon retranchement. Il m’a retranché pour m’empêcher d’exaucer mon désir. […] Si je m’étais prosterné devant Adam, j’aurais perdu le nom de l’honneur. […] Et moi (Hallâj) je déclare : si vous ne le reconnaissez pas, reconnaissez donc son vestige. Je suis ce vestige et je suis Dieu car j’ai obtenu Dieu par Dieu. »

    17Quel renoncement, quel sacrifice a été demandé à Hallâj ? Il doit renoncer à être le premier à côté de Dieu et obéir à Dieu. Il doit laisser son orgueil en se prosternant devant Adam (l’Autre désigné par le grand Autre, Dieu). Cela signifie que Dieu l’a sacrifié pour un autre, Adam, qui est quelqu’un comme lui. Hallâj a interprété cela comme si Dieu l’appelait à la négation, même en le sacrifiant. Ce qui est demandé, c’est d’assumer l’injustice même qui lui fait horreur comme une jouissance. Donc il ne trouve plus en Dieu un garant. Selon Lacan, cela peut l’amener à une position radicale qui fait renaître le désir. Il est en face d’une défaillance des symboles. Il connaît à la fois la souffrance de la séparation et la joie (de même racine que la jouissance) par la perte même. Nous pouvons distinguer la jouissance du bonheur, la jouissance ultime possession, objet non d’un manque mais d’un besoin au sens de la récompense finale qui s’acquiert par le sacrifice et par le refus du bonheur et qui comble l’homme en ce qu’il ne peut absolument donner son âme qu’il ne possède pas. La joie ne commence pas et n’a aucune fin.

    18Quitter Dieu pour Hallâj est une perte essentielle au-delà de toute possession d’un moi. Hallâj ne veut pas être seul dans la grande aventure vers la lumière. Il veut inviter les croyants, les amoureux de Dieu à découvrir l’essentiel, d’où son refus de garder secrète sa relation avec Dieu. Hallâj sait-il ce qui lui est demandé dans l’amour ? C’est justement ce qu’il n’a pas. L’amour implique comme réponse le domaine du non-avoir. Un autre sacrifice de Hallâj dans sa mort, c’est la cause de Dieu, c’est le Dieu vrai, c’est la divinité de l’homme, mais à quel prix ? Dieu est absolu. Hallâj invite les croyants à être mystiques pour voir au-delà de la loi. Pour Hallâj, l’amour, c’est chercher Dieu pour lui-même et le préférer à tout.
    Peut-on croire ou dire que la désobéissance de Hallâj réside dans cette part de jouissance qui a échappé à la symbolisation ? Lacan définit le réel comme impossible. Chez les mystiques, le réel impossible est Dieu, qu’ils appellent al-haqiqa. Donc comment cette impossible union à Dieu est-elle possible ? Cette union est-elle illusoire, fantasmatique, ou est-elle une vérité vers la réalisation de laquelle ils orientent toute leur vie ? Chez Hallâj, c’est une quête continue. Il part de la séparation pour revenir à l’union et Dieu accueille cela par une castration dans l’ordre qu’il lui donne de se séparer de lui comme si cette union était de l’ordre de l’insupportable. Car il n’y a pas, comme le dit Lacan, d’autre entrée dans le réel que par le fantasme.
    Dans son refus, Hallâj fantasme que Dieu a préféré Adam à lui et il réussit à renverser les données : c’est Dieu qui l’a trahi. En désobéissant à Dieu il renverse les rôles : il met Dieu en position de demande, donc de besoin ; et si Dieu a besoin, c’est qu’il manque de quelque chose. Il fait un reproche à Dieu en lui disant : « Je suis avec toi depuis l’éternité, je te connais comme personne. » Il y a ici quelque chose de paradoxal : qui est Dieu ? Mais d’où vient cette revendication chez lui ? Lui aussi a donc un pouvoir. Ce renversement de rôle d’une part, le refus qui instaure la séparation d’autre part le renvoient à la reconnaissance qu’il est avec Dieu depuis l’éternité et le mettent dans une relation ambiguë avec cet Autre. On ne sait plus qui est l’Autre : Dieu ou lui ? Hallâj n’est-il pas dans le mouvement de sortie de soi au point de perdre son être et l’être qu’il a en Dieu ? S’abandonner à l’amour infini signifie qu’on est dans l’expérience mystique au-delà du symptôme. On jouit de la renonciation à la jouissance, c’est-à-dire de la privation au point de trouver sa vie dans sa mort : « Ma mort est dans ma vie et ma vie est dans ma mort. »

    Dans Psychanalyse 2011/2 (n° 21), pages 53 à 59

    Mis en ligne sur Cairn.info le 27/05/2011

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    • #3
      De l’âme en islam

      Comment parler de l’âme, dans une perspective de foi en Dieu, si nous ne faisons pas le lien entre le Créateur et Sa créature ? C’est pourquoi je commencerai par évoquer cette relation à partir des paroles d’un maître spirituel musulman anonyme qui instruit son disciple comme suit : « S’Il [Dieu] te propose un règne qui comprend les biens des Cieux et de la terre, dis-Lui : je ne veux que Toi » « Que Ses dons ne Te détournent pas de Lui ! Que Sa beauté ne te détourne pas de Lui !

      C’est Lui qu’il te faut désirer, Lui le bien-aimé, Lui le médecin des cœurs » Ces paroles inspirées du message coranique viennent rappeler que Dieu est, pour l’âme humaine, Amour-Amant-Bien-aimé. Amour quand Il se déclare le premier en S’avançant vers son futur adorateur avec une offrande bouleversante, annonce que c’est Lui le Bienfaiteur et laisse le destinataire perplexe et émerveillé si bien que ce dernier ne peut que s’éprendre de Lui.

      Cet amour oblatif s’offre à l’âme humaine comme un attachement réciproque entre le Créateur et la créature mais aussi avec Sa création entière. Le Coran nous le rappelle : « Les humains ne forment qu’une seule communauté » 2, 2131 . Et de même : « C’est Lui qui vous a fait naître d’une âme unique » 6, 98. Ainsi l’âme individuelle, fidèle à ses origines, ne peut qu’épouser spirituellement les autres âmes issues de l’Esprit d’un unique Seigneur. Ce désir d’amour universel est, par conséquent, le propre de l’âme humaine sans lequel elle ne peut pas trouver la paix. Et cette attirance est une empreinte indélébile laissée sur les âmes dans une atemporalité précédant leur venue au monde. Dans la préexistence, toute la progéniture d’Adam (nom générique de l’espèce humaine) a été prise à témoin sur elle-même afin de répondre à la question adressée par le Créateur : « Ne suis-je pas votre Seigneur ? » Seigneur veut dire, d’après l’étymologie et le contexte, le Maître qui subvient aux besoins de Ses serviteurs, prend en charge leur éducation et les fait croître selon Ses vœux et en ce qu’ils aiment. Les humains ne peuvent répondre à cette question interro-négative que par l’affirmative, c'est à-dire « Si, Tu L’es » 7, 172.

      La vocation de l’âme humaine est de vivre cette communion universelle sans laquelle elle ne peut pas prétendre à une certaine félicité. Comme le chemin vers Dieu est marqué d’épreuves destinées à affiner et à authentifier cette vocation, l’âme connaît des états divers selon qu’elle soit sur la voie droite ou soumise à des injonctions étrangères à sa nature. Fruit des fines et mystérieuses épousailles entre l’Esprit de Dieu et la glaise, l’âme passe par les stations spirituelles suivantes :

      1 Toutes les références qui suivent sont coraniques : sourate – verset.

      - L’âme constamment incitatrice (au bien ou au mal) 12, 53

      - L’âme qui se blâme sans cesse, 75, 2 - L’âme inspirée,

      - L’âme rassérénée, 89, 27

      - L’âme agréante (de son destin), 89, 27

      - L’âme agréée (de Son Seigneur), 89, 27

      - L’âme intercesseuse.

      Evidemment, Dieu sait mieux que nous les dangers auxquels Il expose l’âme lors de son passage dans le monde. C’est pourquoi Il vient nous rassurer dans une sorte de « constitution » divine qui prévient notre errance, erreurs et misère consécutive : « Votre Seigneur a prescrit sur Lui-même de vous dispenser la rahma ». Le mot rahma dérive d’une racine sémitique (commune à l’arabe, l’hébreu et l’araméen) qui est un amour matrice de toutes les amours et référant au symbole des entrailles maternelles qui nourrissent le fœtus sans discontinu, le protègent contre les chocs extérieurs et lui permettent de croître, 6, 54.

      L’âme rassérénée, agréante et agréée, atteint son but ultime, celui de figurer parmi les bienheureux après avoir accompli sur terre la tâche (amana) que Dieu lui avait confiée depuis la prééternité, charge que les cieux, la terre et les montagnes avaient refusé de porter et en avaient éprouvé de la crainte,33, 72. C’est dire la pesante responsabilité qui repose sur les épaules de l’être humain qui est placé, par son créateur, dans un rang qui dépasse celui des anges. Le profil spirituel de toute âme est un et unique et s’identifie ainsi à ce pour quoi elle avait été créée. Seul Dieu en connaît la finalité et dévoile progressivement son projet sur chaque âme tout en se portant à son secours : « C’est un droit sur nous de sauver les êtres humains qui mettent leur foi en nous » 30, 47. Ce sur quoi les âmes avaient été pris comme des témoins dans la prééternité, les humains le verront sur terre aux horizons (de leurs perceptions) et en leurs âmes jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent de sa véracité.

      Le voyage de l’âme entre trois réalités (la préexistence, la vie immédiate sur terre, la vie ultime au sein de Dieu) ne peut heureusement s’effectuer que dans un constant rapport au Créateur qui connaît la finalité de chaque existence puisque les êtres humains n’ont pas été pris à témoin sur la création des cieux et de leurs âmes, 18, 51. Négliger ce lien intime et direct est lourd de conséquences : « Ils (les humains) ont oublié Dieu qui leur a fait oublier, par conséquent, leurs âmes (eux-mêmes) » 59, 19. L’âme humaine ne vit que de Dieu. C’est pourquoi elle est comparée à l’ombre de son Créateur ou à Son miroir. Rien n’interfère entre l’ombre et ce qui la projette de même que rien ne doit s’interposer entre le miroir et ce qu’il est censé refléter. C’est là ou le mot islam prend tout son sens : s’en remettre consciemment et volontairement à Dieu pour sauvegarder toutes ses amours purifiées, unifiées et augmentées selon le bon vouloir du Rétributeur.

      Khaled Roumo

      montpellier-musulman.pdf
      Dernière modification par aristochat, 24 mai 2024, 21h43.

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      • #4
        El Hallaj avait été martyrisé et exécuté parce-qu’il avait dit quelque chose qu'il ne devait pas dire, c'est une explication donnée par Ibn Arabi. El Hallaj avait dit : " Ana el haq " ( Je suis La vérité )

        Or , le mot Vérité ( El haq ) est exclusivement réservé à Allah qui est l'un des attributs de Dieu et figure dans la liste des 99 Noms d'Allah .

        D'autres exégèses disent que el Hallaj avait été exécuté parce-qu’il s’était opposé aux sultans corrompus de son époque. Peut être que les deux raisons sont valables . Mais comment peut on prétendre être el Haq vu par des personnes ayant connaissance du Coran ?
        Le Coran nous enseigne que Allah est unique et qu'il n'y a rien d'autre que Lui dans l'univers tout entier , que tout est Lui et rien d'autre que Lui . La shahada prononcée par les Musulmans attestent de l'unicité de Dieu . Cependant , des mystiques affirment, toujours selon le Coran, que Allah seul atteste de son unicité . Tout un discours peut être entrepris sur ce sujet , serions nous des menteurs en prononçant la shahada alors que Allah seul peut témoigner de Son unicité ? Imbroglio ou manque de spiritualité à nos époques modernes ?

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