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De l’Afrique de l’Ouest aux Canaries, de plus en plus d’embarcations disparaissent en mer

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  • De l’Afrique de l’Ouest aux Canaries, de plus en plus d’embarcations disparaissent en mer


    Les alertes concernant des exilés partis depuis les côtes sénégalaises ou mauritaniennes sont de plus en plus nombreuses. Les ONG insistent sur la dangerosité de cette route migratoire, à nouveau très empruntée ces dernières années.

    Nejma Brahim

    LeLe bateau a pris la mer depuis les côtes mauritaniennes, à environ 100 kilomètres de la commune de Nouakchott, dans la nuit du 7 au 8 janvier. 107 à 108 personnes se trouvaient à son bord et espéraient rejoindre, en quelques jours de navigation à travers l’océan Atlantique, les îles Canaries, où les arrivées de migrant·es rythment le quotidien de l’archipel depuis près de quatre ans.

    « Au moins quatre personnes de mon village, mais aussi mon frère, étaient parmi les passagers », confie Kemoko, un Malien basé en région parisienne, près de vingt jours après leur départ, meurtri par l’inquiétude. Le trentenaire ignorait tout du projet de son frère jusqu’à ce qu’il apprenne qu’il se trouvait en Mauritanie, prêt à partir. « Quand j’ai tenté de le joindre, j’ai appris qu’il avait déjà pris la mer… »

    Les raisons de leur départ ? « Ils étaient à la recherche d’une vie meilleure, comme tout le monde », répond-il avec pragmatisme. Ni Kemoko ni les proches des autres passagers n’ont eu de nouvelles depuis : ils se sont donc organisés, avec ces proches mais aussi avec le maire du village, pour tenter de retrouver leur trace.

    Agrandir l’image : Illustration 1Arrivée d'une embarcation de fortune sur l'île d'El Hierro (Canaries, Espagne), le dimanche 4 février 2024. © Photo AP via SIPA
    « Il a fallu lister toutes les personnes qui pouvaient se trouver à bord, avec leur identité complète et leur village d’origine », explique Moussa Sissoko, président de la Fédération des associations de développement de la commune de Dialafara en France (FADCDF), également alerté de la situation dès la mi-janvier.

    Ce dernier a aussi contacté deux ONG, Caminando Fronteras (qui tente d’identifier les personnes disparues sur cette route migratoire) et la plateforme Alarmphone, qui est parfois en lien direct avec des exilé·es en détresse en mer ou leurs proches resté·es à terre, et qui reçoit de nombreux signalements, soit en cas de difficultés rencontrées en mer, soit en cas de disparitions.
    Une route migratoire réactivée


    « Nous pensons avoir identifié le bateau en question, car nous avions été informés par les familles », rapporte Helena Maleno, de l’ONG Caminando Fronteras, qui dit avoir immédiatement prévenu les autorités de recherche et de sauvetage. Elle souligne la dangerosité toute particulière de cette route migratoire, où il est possible de « disparaître » sans laisser de trace dans les entrailles de l’océan.

    Comme l’avait documenté Mediapart, la route s’est réactivée en 2019-2020 après être restée en sommeil durant près de deux décennies, notamment du fait de la surveillance accrue des frontières et de l’émergence de la route libyenne via la Méditerranée centrale. « Cette route se réactive tout simplement parce que d’autres ont été fermées », avait alors expliqué Eva Ottavy, responsable des Solidarités internationales à la Cimade, peu après le naufrage d’une embarcation partie depuis les côtes sénégalaises et transportant 200 personnes.
    On garde un infime espoir, qui s’amenuise tous les jours.
    Cybèle, une proche de disparus



    Depuis, cette route n’a cessé de prendre de l’ampleur dans le nombre d’arrivées en Europe. En 2023, les chiffres ont atteint des records : plus de 39 000 exilé·es ont débarqué sur l’archipel des Canaries en 2023, et près de 7 000 personnes sont arrivées par la mer pour le seul mois de janvier 2024 (soit plus que pour le premier semestre 2023 dans sa totalité).

    Lorsque les personnes disparaissent sans laisser de trace, « malheureusement, pour l’équipe de surveillance, la seule chose [à faire] est de contacter la Croix-Rouge pour vérifier si les personnes ont atteint la terre ferme », détaille Lucia Lopez, de l’ONG Alarmphone.

    « Après quelques jours, si aucun membre du bateau n’a pris contact, le pronostic est plutôt décourageant. » Les démarches auprès de la Croix-Rouge peuvent aussi permettre d’obtenir des indications dans le cas où le bateau aurait coulé, et où des corps s’échoueraient sur le rivage…

    Des familles rongées par l’incertitude


    Autour du 22 janvier, deux frères maliens, l’un âgé de 32 ans et père de famille, l’autre de 22 ans, sont partis à bord d’un cayuco (une longue pirogue) depuis les côtes mauritaniennes – Nouakchott également. « Le passeur a dit dans un premier temps qu’ils étaient arrivés, puis que c’était une rumeur. Et plus rien depuis », témoigne Cybèle le 9 février, avant de tenter elle aussi d’alerter les ONG déjà citées. « C’est leur frère, qui vit en France, qui s’en est préoccupé et qui les a recherchés. »

    Les proches ont tenté de remonter leur trace jusqu’à Dakhla, au Sahara occidental, sans succès. Mais, le 15 février, les nouvelles sont « mauvaises » : une embarcation partie le 24 janvier, et identifiée par l’ONG Caminando Fronteras, correspond fortement à la description de la leur. « Les frères qu’on recherchait étaient sans doute sur ce bateau porté disparu. Ils étaient 66 à bord. Nous sommes effondrés », confie Cybèle, qui précise qu’ils venaient pour une « vie meilleure », dans l’objectif d’aider leur famille restée au Mali.

    Dans le cas d’une embarcation ayant disparu dans sa totalité, retracer le récit est quasiment impossible.
    Laetitia Marthe, membre d’un collectif de Lanzarote



    À moins d’un mois de leur disparition, elle ajoute garder « un infime espoir, qui s’amenuise tous les jours ». Le frère des deux disparus a déclaré leur disparition auprès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui, comme nous le racontions pour une autre route migratoire reliant la Tunisie à l’Italie, aide à la recherche et à l’identification de victimes de naufrage et au rétablissement des liens familiaux.

    Le plus frappant, conclut-elle, est qu’il n’imaginait pas une seconde qu’ils rejoindraient l’Espagne en passant par l’océan Atlantique – lui-même avait migré pour l’Europe, mais en passant par la Méditerranée.

    Pour Mia*, dont l’amie a perdu la trace de son frère, lui aussi parti depuis la Mauritanie pour rejoindre les Canaries, l’issue est relativement plus positive. Après des semaines de recherches infructueuses, le frère a été retrouvé sur une liste dressée par la police pour un groupe de personnes renvoyées à la frontière malienne et a priori placées en détention au Mali. Le jeune homme aurait été intercepté peu après la traversée et tous les passagers auraient survécu. À ce jour, la jeune femme n’a toujours pas pu entrer en contact avec son frère, et de nombreuses questions restent donc sans réponse.

    Après une année record en termes d’arrivées par voie maritime, leur nombre « ne baisse pas depuis janvier alors que la mer est moins bonne », constate Raphaële, une habitante des Canaries impliquée auprès du réseau Migreurop, qui suit depuis plusieurs années l’évolution des migrations sur l’archipel. « Ce qu’il se passe au Sénégal depuis quelque temps n’est pas anodin dans l’équation », ajoute-t-elle.

    Deuil impossible


    La gestion des disparitions fait de plus en plus partie du travail du collectif Solidaridad con las personas migrantes de Lanzarote, explique Laetitia Marthe, habitante de Lanzarote et membre du groupe. Les embarcations parties depuis le Sénégal ou la Mauritanie arrivent le plus souvent sur l’île d’El Hierro (10 000 habitant·es).

    Mais, malgré les alertes que peut recevoir le collectif, il reste très difficile pour ses membres, « en tant qu’activistes ou militants », d’accéder aux procédures et protocoles officiels. Le CICR peut lancer des démarches mais doit être saisi directement par les familles.

    Elle précise que la plupart du temps, la recherche est infructueuse. « Dans le cas d’une embarcation ayant disparu dans sa totalité [ce qu’on appelle les naufrages invisibles – ndlr], retracer le récit est quasiment impossible. Et même dans le cas d’un bateau qui arrive avec des survivants ou des corps, ça reste extrêmement compliqué. »

    En 2022, une embarcation est arrivée avec un seul survivant et quatre corps, enterrés sans être identifiés alors qu’un militant était parvenu à faire le lien avec de probables proches, mais n’avait pas pu les faire venir pour réaliser des tests ADN qui auraient permis de le confirmer.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    « Aucune famille, ni immigrée en Europe et en situation irrégulière ni depuis l’Afrique ne peut engager les frais et les risques de déplacement pour venir apporter son ADN. » La membre du collectif évoque une situation très complexe, où se mêlent un deuil constamment inachevé et l’espérance que les personnes soient toujours vivantes.

    Une autre problématique concerne les démarches impossibles post-mortem, comme la pension de veuvage ou l’héritage que de nombreuses personnes ne parviennent pas à toucher car les corps de disparus n’ont jamais été retrouvés ou identifiés, faute de déclaration formelle de décès. Laetitia Marthe souligne « la masse de familles, voire de villages » que cela peut concerner.

    « Nous, on est en faveur de la liberté de circulation. On est contre ce dispositif d’accueil, qui n’existerait pas si les personnes pouvaient voyager comme n’importe qui avec des visas et dans un avion. Elles n’auraient pas à transiter par les Canaries si elles pouvaient arriver autrement dans leur pays de destination », déroule Laetitia Marthe, précisant être scandalisée par le traitement infligé aux personnes exilées.

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