Enquête
Chaque année, 100 000 étrangers deviennent citoyens français. Le parcours de naturalisation, exigeant, ne s’improvise pas et ne s’ouvre qu’aux plus motivés. Entre attachement à la France, besoin de sécurité et contribution à leur société d’accueil, des Français par choix racontent le jour où ils ont obtenu leur nouvelle nationalité et comment elle les a fait changer.
Au moment où le sous-préfet lui a serré la main, Mona Mohamed a craqué. Elle s’est mise à pleurer. Sous les ors de la République, dans la clinquante salle de réception de la préfecture de Bretagne, la voilà qui essuie ses larmes, repositionne doucement son foulard rouge autour de son visage en ne lâchant pas de la main un dossier bleu blanc rouge. Les couleurs de la France qui, en cet après-midi de décembre, vient d’accueillir officiellement l’ancienne réfugiée érythréenne comme nouvelle citoyenne. Elle hoquette, le menton tremblotant : « Je suis tellement soulagée. » Autour d’elle, ce jour-là, ils sont soixante-dix nouveaux Français, venus du Brésil et de Tunisie, de Mauritanie et d’Ukraine, d’Iran et du Tibet, à être célébrés par la République. Et plus de 100 000 en France chaque année.
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Pour Mona Mohamed, cette naturalisation est l’aboutissement d’un parcours de quatre ans. Depuis qu’elle a déposé, en 2019, son dossier pour obtenir la nationalité. Cela fait treize ans qu’elle vit en France, après avoir quitté l’Érythrée. « Je suis partie parce que j’avais… des problèmes. » Elle n’en dira pas plus sur les atteintes aux droits de l’homme perpétrées par le régime. Pas plus sur son parcours migratoire, effectué seule, en passant notamment par le Soudan. Elle dit qu’elle a déjà tout raconté, plusieurs fois, pour obtenir son statut de réfugiée.
Pourquoi nous l’avons fait ?
Pour avoir la nationalité française, je me suis juste « donné la peine de naître », comme on dit. Dans ma famille, on est français de naissance depuis plusieurs générations et ceci à ma grande déception, lorsque j’étais jeune, moi qui me rêvais nantie d’une grand-mère italienne, d’un grand-père irlandais voire d’un arrière-grand-père russe, bref, d’aïeux aux origines tellement plus exotiques que le Morbihan familial. Les témoins dont vous allez partager les histoires dans ce dossier ont, eux, lancé une démarche volontaire pour adopter le passeport de leur pays d’accueil, avec ce que cela implique de changements et de renoncements, de nouveaux repères identitaires et culturels.
Alors que le monde est devenu pluriel et que la diversité est naturelle, pourquoi certains choisissent-ils de prendre la nationalité française ? Par intérêt ? Reconnaissance ? Souhait d’assimilation ? Amour de notre pays ? Alors que le Conseil constitutionnel devrait se prononcer le 25 janvier sur la régularité de la loi immigration qui a créé une profonde crise politique et durci les conditions d’entrée et de séjour en France pour les étrangers, ce sont les visages de ces nouveaux citoyens métissés que La Croix L’Hebdo a voulu vous présenter.
Ce que l’histoire de Mona exprime, en revanche, c’est la persévérance qu’il faut pour devenir français. Décrocher la nationalité ? « C’était kafkaïen », décrit Omar Youssef Souleimane, Syrien naturalisé en 2022, à sa… quatrième tentative. Loin de Damas, l’ancien journaliste est assis dans un café du 11e arrondissement de Paris. Petite barbe, foulard autour du cou. Un look très « bobo parisien », qu’il assume complètement, en riant. Sa première demande a eu lieu en 2017, cinq ans après son arrivée en France. Pièce d’identité, acte de naissance, bulletins de salaire, quittances de loyer, avis d’imposition… le dossier avait été constitué. Mais refusé. Pour cause de déménagement, il n’y avait pas la même adresse sur tous les papiers du dossier. « Vous rectifiez le tir pour le document fautif, mais dans l’intervalle, la validité de trois mois des autres documents que vous avez fournis arrive à péremption, donc ceux qui étaient à jour ne le sont plus. » Raté.
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La deuxième fois, le problème fut logistique. Après le dépôt du dossier, au moment de prendre un deuxième rendez-vous en ligne. « Le site de la préfecture était en rade » et ne proposait donc… aucun créneau. Paperasse : 1. Omar : 0. La troisième fois, les timbres fiscaux n’étaient pas les bons. « Je pense que l’administration fait exprès pour tester votre motivation. » Omar Youssef Souleimane en parle avec humour, aujourd’hui, mais sur le coup, il a vécu « l’enfer ». Chaque refus était « une catastrophe ».
« Je pense que l’administration fait exprès pour tester votre motivation. »
Omar Youssef
Omar Youssef
Un test qui mesure « l’attachement à la France »
Pour voir le précieux dossier avancer, mieux vaut donc s’armer de patience et d’un moral solide, potasser le jargon administratif et avoir gardé des contacts au pays. « J’étais parti sans documents, j’ai dû charger un ami de récupérer mon livret de famille et un extrait de casier judiciaire auprès de ma mère – à qui je n’ai jamais rien dit de ma démarche –, pour me l’envoyer », détaille Fabrice, 23 ans, arrivé du Cameroun en 2015, après avoir traversé le Niger, l’Algérie, le Maroc, et atteint l’Espagne via l’enclave de Ceuta. Les galères administratives sont évoquées avec calme, sans acrimonie. « Je comprends. Ce n’est pas anodin de changer de nationalité. C’est normal que ce ne soit pas une formalité. » Lui a eu de la chance d’être très aidé : par le patron du restaurant dans lequel il est chef de rang, qui a toujours fourni « toutes les attestations demandées » ; par la fondation Apprentis d’Auteuil, qui l’a pris en charge dès son arrivée. Le jour de sa cérémonie d’accueil dans la citoyenneté – « le 9 mars 2023, à 16 heures, il y a des dates qui ne s’oublient pas » –, il a demandé à sa travailleuse sociale, Céline, de l’accompagner.
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Contrôler le niveau de langue et l’envie d’apprendre, vérifier le degré d’intégration, la connaissance de l’histoire du pays et des éléments jugés constitutifs de la culture nationale, juger de l’attachement de l’aspirant compatriote à la France… être français se mérite. La préfecture de police de Paris elle-même confirme : le parcours est « fastidieux, enfin, je dirais plutôt exigeant », affirme Jean-Daniel Montet-Jourdran, sous-directeur du séjour et de l’accès à la nationalité. Une fois le dossier constitué et déposé, une enquête est effectuée auprès des services de police et des impôts. Il s’agit de contrôler le profil de l’aspirant citoyen. Les motifs les plus courants de refus (rejets qui représentaient 25 % des demandes à Paris en 2021) concernent des problèmes d’insertion professionnelle, des antécédents « d’atteintes à la moralité ou à la probité » (dettes ou contentieux judiciaires), l’existence de séjour irrégulier dans le passé… Et, depuis quelques années, le niveau du test mesurant l’« attachement à la France » a été rehaussé.
Tout aspirant Français est alors convoqué pour un entretien obligatoire. Plus que les noms des rois de France, la date de la Première Guerre mondiale ou les paroles de La Marseillaise, c’est l’adéquation avec les valeurs de la République, dont la laïcité, qui est passée au tamis. « J’ai été interrogée sur le fait que je portais le voile », décrit Mona. Le jour de l’entretien, elle l’avait retiré en entrant dans la salle, ce qui avait intrigué « la dame de la préfecture », raconte-t-elle. « En vrai, j’avais juste chaud. Elle m’a posé des questions. J’ai répondu. » Même constat pour Shirin Aghabeiki, 34 ans, venue de Téhéran pour ses études en 2013, et naturalisée en septembre 2023. « J’ai d’abord eu un premier rendez-vous, au commissariat. Des policiers m’ont, très courtoisement, questionnée sur la politique iranienne, mes liens avec le pays, m’ont demandé si j’étais musulmane et pratiquante. » Une religion vécue de manière trop ostentatoire, des enfants scolarisés à domicile, des liens d’intérêt avec une puissance étrangère… demanderont une analyse complémentaire. Qu’est-ce qui serait « le plus grave ? Naturaliser une personne qui ne serait pas loyale envers la France ou naturaliser une personne ne sachant pas qui a gagné la bataille de Rocroi ? » résume-t-on à la préfecture.
« Pourquoi souhaitez-vous devenir français ? »
Résultat : l’entretien est une grande source de « trac », même pour ceux habitant l’Hexagone depuis plusieurs années. Pas évident de rester totalement serein quand votre avenir peut se jouer en quelques instants.
« Le jour du rendez-vous, j’avais l’impression d’aller demander une femme en mariage »
Omar Youssef Souleimane
Omar Youssef Souleimane
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