Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La loi immigration, une machine à paupériser

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La loi immigration, une machine à paupériser

    Le texte conditionne certaines prestations sociales à une durée de présence sur le territoire. Le collectif Nos services publics estime qu’entre 110 000 et 700 000 personnes vont basculer dans la pauvreté, voire la très grande pauvreté, dont des dizaines de milliers d’enfants.

    Faïza Zerouala


    SitôtSitôt la loi immigration votée, le 19 décembre 2023, les associations de lutte contre la pauvreté se sont alarmées du risque de paupérisation d’une frange de la population étrangère en France. Cette loi signe une rupture morale forte. Elle acte, entre autres, un durcissement de l’accès aux titres de séjour et des dispositions législatives à la philosophie empruntée à la droite et à l’extrême droite.

    L’article 19 met ainsi fin à l’universalité du versement de certaines prestations sociales, si cette disposition passe le filtre du Conseil constitutionnel qui doit se prononcer le 25 janvier. Leur perception sera désormais conditionnée à une durée de présence sur le territoire d’au moins cinq années ou d’une durée d’activité professionnelle minimale.

    Agrandir l’image : Illustration 1Manifestation contre le projet de loi Darmanin sur l'immigration, le 14 janvier 2024. © Photo Fiora Garenzi / Hans Lucas via AFP

    Cette « préférence nationale déguisée », selon les mots de l’économiste Antoine Math, concerne les allocations dites non contributives comme la prestation d’accueil des jeunes enfants, l’allocation de rentrée scolaire, les allocations familiales ou certaines aides au logement.

    Interrogé sur les incidences de la loi immigration sur les prestations sociales, lors d’un point presse le 18 janvier, le directeur général de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), Nicolas Grivel, a indiqué ne pas pouvoir se prononcer sur les conséquences de la loi tant que le Conseil constitutionnel n’a pas rendu sa décision. Il indique que son administration n’a pas réalisé de statistiques sur les personnes qui rempliraient ces conditions et qu’il faudrait de surcroît tenir compte des conventions bilatérales.

    Le collectif Nos services publics l’a fait. Il a choisi de centrer son travail sur ce versant précis de la loi immigration et s’est attelé, dans un dossier complet rendu public vendredi 19 janvier (pdf), à démontrer que la menace d’appauvrissement des étrangers est réelle.

    Cette note précise et implacable est issue du travail d’agents publics, d’économistes et de statisticiens spécialistes du système de protection sociale et sur le volet chiffres d'une contribution adressée au Conseil constitutionnel par les économistes Elvire Guillaud, Antoine Math, Muriel Pucci et Michaël Zemmour. De son côté, le gouvernement n’a fourni aucun chiffrage des conséquences de la loi immigration.

    Le collectif estime que, à cotisations égales, au moins 110 000 personnes, dont 30 000 enfants, seront directement touchées. « Souvent déjà dans des situations précaires, ces personnes et ces familles seront nombreuses à basculer dans la pauvreté, voire la très grande pauvreté », peut-on lire.

    Exemples concrets


    Pour asseoir sa démonstration, le document déplie des exemples types concrets. Il met en évidence les discriminations que la loi instituerait pour des personnes à la trajectoire et à la situation professionnelles identiques, à un détail près : l’une est française, l’autre non. Bien entendu, dans la vie réelle, il est rare que deux situations soient strictement équivalentes, mais cela n’ôte aucune pertinence à ce travail de projection qui évalue les pertes à plusieurs centaines d’euros par mois pour les personnes concernées.

    Les prestations suivantes seront concernées par ces restrictions, liste le collectif : le droit au logement décent et les recours associés ; les prestations familiales relevant de l’accueil et de l’éducation des enfants qui englobent la prime de naissance ou d’adoption ; l’allocation de base, versée jusqu’aux 3 ans de l’enfant ; le complément d’activité, qui vise à compenser la perte de salaire liée à l’accueil de l’enfant ; le complément au libre choix du mode de garde jusqu’à 6 ans, qui permet aux familles de rémunérer les assistantes maternelles ; les allocations familiales ; le complément familial, pour les familles comportant trois enfants ou plus à charge ; l’allocation de soutien familial, pour les parents isolés élevant leurs enfants seuls ; l’allocation journalière de présence parentale, qui sert à accompagner les enfants malades et qui sera désormais conditionnée à une présence de cinq ans en France.

    L’allocation personnalisée d’autonomie, versée par les départements aux personnes âgées de 65 ans et plus en perte d’autonomie, serait aussi concernée, même si plusieurs départements de gauche ont annoncé dans la foulée de l’adoption de la loi qu’ils compenseraient cette perte en créant une aide de nature identique, mais universelle cette fois-ci.

    Les aides personnalisées au logement (APL) seraient, si la loi entrait en vigueur, désormais soumises à un régime de conditionnement spécifique en ce qui concerne les personnes de nationalité étrangère. Elles devront justifier d’un visa étudiant, de trois mois d’activité professionnelle ou de cinq ans de présence sur le territoire. « Ces aides, dont bénéficient 6,6 millions de foyers, représentent jusqu’à 14,6 % des revenus pour les ménages les plus pauvres », souligne le collectif.

    Pour être le plus concret possible, le collectif expose, entre autres, le cas de Yasmine et Saba, 27 ans, voisines et toutes les deux mères célibataires d’un enfant de 1 an. Toutes les deux aides-soignantes à mi-temps, elles cotisent depuis deux ans aux mêmes contributions (CSG, CRDS, cotisations sociales).

    Mais Saba n’est pas française, elle se verra donc supprimer les allocations de soutien familial (pour parent isolé), l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) ou encore l’allocation de logement social. Au total, alors que Yasmine et son fils peuvent vivre avec un revenu disponible mensuel de 1 621 euros, Saba et son enfant Michael ne disposeraient que de 651 euros par mois et passeraient en dessous du seuil de très grande pauvreté.


    Agrandir l’image : Illustration 2© Collectif Nos services publics

    De telles différences de traitement pour une situation identique se retrouvent dans les cas de Matthieu et Amar, employés de restauration à temps partiel. Matthieu et Amar ont tous les deux 21 ans, sont équipiers dans un fast-food en janvier 2024. Le premier est français, le second est égyptien et présent en France depuis 2023.

    Ils vivent tous les deux seuls, occupent tous les deux un emploi à temps partiel (70 %) et sont rémunérés au Smic horaire. Ils touchent tous les deux un salaire net de 912 euros par mois. Leurs cotisations et contributions sociales sont également identiques, soit 277 euros chacun par mois. En outre, Matthieu touche 393 euros mensuels de prime d’activité, 112 euros d’aides pour le logement (APL), portant ainsi son revenu mensuel à 1 412 euros.


    Agrandir l’image : Illustration 3© Collectif Nos services publics

    Amar n’a pas droit à cette prime d’activité, il se situe pour sa part en deçà du seuil de pauvreté. Il perçoit cependant les 112 euros d’APL. Si la loi immigration était votée en intégralité, le jeune homme n’aurait même plus le droit de percevoir cette dernière aide. « Avec 912 euros mensuels de revenu disponible, Amar basculerait alors en deçà du seuil de la grande pauvreté. »

    Jusqu’à 700 000 personnes privées de certaines prestations


    Les enfants ne seraient pas épargnés par les effets de cette loi. Le collectif Nos services publics met en exergue les histoires d’Antoine et Brian, camarades de classe de CP, et celles de Sofia et Ismaël, 1 an tous les deux, enfants français et nés en France.

    Antoine et Brian, 6 ans, sont tous les deux issus de fratries de trois. Leurs parents sont secrétaires médicaux ou responsables de rayon et touchent chacun 1 630 euros net par mois (1,25 Smic) et cotisent chacun à hauteur de 1 165 euros par mois (CSG, CRDS, cotisations sociales) sans oublier la TVA.



    Agrandir l’image : Illustration 4© Collectif Nos services publics

    Canadienne, la famille de Brian est arrivée en France depuis un an et demi. Avec la loi immigration, elle perdrait 600 euros par mois aux titres des droits sociaux (allocations familiales, complément familial et allocation de rentrée scolaire) auxquels elle cotise pourtant.

    Même situation pour les parents de Sofia et Ismaël, âgés de 1 an. Les parents de Sofia sont français. Ceux d’Ismaël sont de nationalité libanaise, sa mère est née en France mais a grandi au Liban, leur foyer est arrivé en France en 2022 pour y travailler dans la logistique. Les deux couples ont des revenus identiques. Résultat : le couple étranger perdrait 504 euros par mois.


    Agrandir l’image : Illustration 5© Collectif Nos services publics

    Le chiffre de 110 000 personnes concernéescorrespond à « une hypothèse minimale, car il ne retient que les ménages dont les deux conjoints sont étrangers,avertit encore le collectif. Cette hypothèse prudente n’inclut donc ni les familles monoparentales, ni les couples dont l’un des conjoints est français·e. »

    En incluant ces deux types de ménages, jusqu’à 700 000 personnes pourraient être privées de certaines prestations sociales par la loi immigration avec en leur sein 210 000 enfants touchés par une baisse de niveau de vie, dont 19 000 basculeraient dans la pauvreté, et 55 000 basculeraient de la pauvreté à la très grande pauvreté.

    Pour toutes ces raisons, estime le collectif, ces mesures constituent un « précédent dangereux pour les étrangers » et plus largement pour toutes et tous les bénéficiaires des prestations sociales et des services publics.

    Nos services publics alerte aussi sur le risque de faire « un pas de plus dans la dégradation des droits sociaux » pour l’ensemble de la population qui vit en France. Un glissement encore plus dangereux dans un contexte de réformes de l’assurance-chômage, des retraites ou du RSA qui fragilisent déjà les plus vulnérables.

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
Chargement...
X