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Les enfants ont-ils trop le choix ? Le pédopsychiatre Daniel Marcelli donne l'alerte

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  • Les enfants ont-ils trop le choix ? Le pédopsychiatre Daniel Marcelli donne l'alerte

    « Tu veux des frites ? », « Que fait-on demain ? », « Tu mets ton manteau ? »… De plus en plus, on les laisse décider de tout ou presque, alerte Daniel Marcelli, pédopsychiatre, dans son dernier livre, paru chez Odile Jacob.

    La phrase préférée de Rose, 4 ans, qu'elle répète à qui veut bien l'entendre ? « Moi qui décide ! » De la marque de céréales à sa tenue pour aller à l'école, en passant par sa place dans le bus ou le nom donné au chien, elle a toujours le dernier mot. Rose a même choisi sa baby-sitter. « Si petite et déjà si affr-mée », souffent ses parents, fatigués par tant d'opposition, mais fiers. « Au moins, elle sait ce qu'elle veut et ne se laissera pas marcher sur les pieds », signifie son père. Des spécialistes de l'éducation les appellent des parents en « points d'interrogation » (« Tu ranges ? », « Tu mets ton manteau ? », « Tu nous laisses parler entre adultes ? ») et on en croiserait tous les jours : dans la rue, au supermarché, au restaurant… Ce sont eux et souvent nous aussi qui, à travers ces questions ouvertes, laissons toujours le choix à nos enfants de dire « non ».

    Des interlocuteurs à part entière

    Or c'est le titre du dernier livre cosigné par le pédopsychiatre Daniel Marcelli, Trop de choix bouleverse l'éducation. « On n'éduque plus un “sujet” (devant obéir aux adultes), mais un “individu” (sollicité sur ses désirs pour développer son potentiel). L'objectif principal n'est plus que l'enfant soit bien élevé, mais qu'il soit pleinement épanoui. » Une intention louable, qui irait parfois un peu trop loin.

    Anne-Lise, 45 ans, a, par exemple, donné carte blanche à son fils de 11 ans pour aller chez le coiffeur. « Après tout, c'est sa tête ! », conclut-elle, dépitée, en découvrant sa coupe à ras zébrée de lignes comme tatouées sur le cuir chevelu, pas non plus du goût des profs du collège… « Si je sollicite autant son avis, c'est que mes parents ne m'ont jamais demandé le mien », explique Anne-Lise. Olivier Revol, auteur de J'ai un ado… mais je me soigne(J'ai lu), pédopsychiatre, l'observe : « La génération X (née entre 1965 et 1980) est la première à douter autant de sa légitimité parentale… Quand on a des bambins qui s'y connaissent mieux que vous dans certains domaines, cela n'aide pas à trancher. » A l'évidence, les enfants ont gagné en écoute. Ils ont le droit de parler à table, partagent plus de temps en famille, consultent des psys, voyagent, surfent sur Internet… Tout concourt à faire d'eux des interlocuteurs à part entière. Et tant mieux !

    Y a-t-il un pilote dans l'avion ?

    « Ces rapports “horizontaux” les valorisent et améliorent le climat familial, estime Héloïse Junier, docteure en psychologie du jeune enfant et formatrice en petite enfance, auteure de Ma vie d'enfant : des clés pour accompagner mon enfant de 3 à 10 ans(Dunod Graphic). Leur donner le choix favorise leur réflexion et leur degré de coopérativité dans l'échange, mais à condition de ne pas chercher à tout négocier. » Avoir tout le temps le choix peut en effet être une source de stress. « On lui signifie indirectement qu'on ne sait pas ce qui est bien pour lui, décrypte Olivier Revol. L'enfant se trouve perdu, sans repères, sans contention physique et psychique. Il s'inquiète : y a-t-il un pilote dans l'avion ? » Et surtout, en cas d'échec, il lui faudra porter une responsabilité trop lourde. Ainsi, au lieu de lui dire : « Tu ne veux pas mettre ton manteau ? Si tu es malade, ce sera ta faute. » Mieux vaut lui intimer : « Mets ce manteau, il fait trop froid. »


    À la puberté, les choses se compliquent

    Céline, 40 ans, mère de Louise, 7 ans, l'admet : « J'ai fait une grave erreur l'an dernier en donnant ce choix à ma fille : rester avec moi ou aller vivre dans le Sud chez son père, dont je me doutais qu'il aurait du mal à assumer sa charge. Par peur du conflit, je préfère souvent jeter l'éponge. Au bout de trois mois, mon ex me l'a “rendue” et cela a été très dur pour elle. »
    Catherine, 50 ans, raconte aussi son dilemme : « Mon fils n'était pas heureux dans le collège où je l'avais inscrit. Alors, je l'ai laissé choisir son lycée. Je pensais bien faire, mais le niveau est bas et ses fréquentations sont douteuses, j'ai peur que cela n'affecte son avenir. » « Si certains enfants tirent des bénéfices de cet excès de choix, d'autres cèdent à la confusion, voire à l'excitation et à l'agressivité.

    Certains ont à peine obtenu ce qu'ils demandaient qu'ils s'en désintéressent. Des parents se plaignent (“Je ne comprends pas, il n'est jamais content”) et les cliniciens font ce constat : les troubles dits névrotiques, où dominent souvent l'inhibition et le refoulement – propres aux enfants contraints par une éducation trop autoritaire –, ont baissé au profit des troubles oppositionnels avec provocation (TOP) », constate Daniel Marcelli. A la puberté, souvent, les choses se compliquent. « La problématique de l'excès de choix se retourne contre l'adolescent, qui subit les métamorphoses de son corps, jusqu'au vertige identitaire », analyse le psychiatre.

    Choisir, cela s'apprend

    Les premières années sont capitales. « Si je l'écoutais, Léana ne mangerait que du sucré et regarderait tout le temps les mêmes dessins animés », sourit sa mère. « Choisir est un exercice cognitif complexe, qui sollicite le système cérébral d'inhibition de la pensée automatique, remarque Héloïse Junier. C'est un peu le signal “stop” du cerveau. Cette faculté met du temps à maturer. Les tout-petits sont naturellement attirés par le familier et guidés par le principe du plaisir immédiat. Aux parents d'imposer en douceur ce qu'ils estiment être le meilleur pour eux, de les aider à prioriser leurs besoins (sommeil, alimentation, activités…) sur leurs envies. »
    Daniel Marcelli renchérit : « Le choix est une compétence qui s'acquiert, elle n'est pas innée. » Si l'on a soi-même du mal avec l'autorité, on peut prémâcher le choix, présenter à l'enfant deux alternatives raisonnables, pas davantage : « Tu préfères mettre le manteau vert ou le bleu ? » (sous-entendu : tu mets un manteau) ; « Tu veux jouer au ballon ou faire du toboggan ? » (sous-entendu : on va prendre l'air)… « Dès 18-20 mois, il peut même être très structurant de l'habituer de temps à autre à un non ferme et définitif (“Tu es trop petit pour faire tout ce que tu veux”), afin de l'aider à intégrer le rapport à l'autre et à contrer la toute-puissance de son désir », insiste le psychiatre.
    Plus l'enfant grandit, plus on lui donnera alors de latitude sur les petites décisions du quotidien qui le concernent. La préadolescence et l'adolescence marquent ainsi un tournant où « mieux vaut convaincre que contraindre, prévient Olivier Revol. C'est le moment d'ouvrir un espace de dialogue, de l'aider à se projeter et à réfléchir aux possibilités qui s'offrent à lui ». Avec trois fils de 13 à 17 ans qu'elle élève seule, Nathalie jongle : « A chaque fois que j'impose une contrainte, j'accorde une part de liberté, et vice-versa. » Tout le monde s'y retrouve.


    La parentalité démocratique

    « En éducation, il n'y a pas de recettes toutes faites, mais un équilibre à trouver au quotidien entre les besoins et les envies des parents et des enfants, note Héloïse Junier. Or l'exercice est complexe : je remarque que de nombreux parents ont du mal à poser un cadre et à fixer des limites sans tomber dans des violences ordinaires (cris, isolement, claques…) », poursuit-elle, en louant les bienfaits de la parentalité démocratique, « ni coercitive, ni désengagée, ni laxiste, puisqu'elle permet de s'ajuster au quotidien à son enfant, en tenant compte de son âge, de sa maturité et de ses besoins – et non pas de ses seules envies ».
    Pour Isabelle, 51 ans, c'est une évidence : « Ma fille de 13 ans est archiraisonnable, s'amuse-t-elle. Elle a un tel surmoi que je respecte totalement ses choix. Je ne peux pas en dire autant de son frère, qui part dans tous les sens et que je dois canaliser. » Il faut dire que, face à l'hyperchoix favorisé par la société de consommation, on a intérêt à guider ses enfants, « avec, en ligne de mire, leur santé, leur sécurité, mais aussi le respect de nos valeurs », souligne Olivier Revol. Parfois, le « c'est comme ça chez nous, plus tard tu feras ce que tu voudras » ne mérite aucune discussion. Pas le choix !



    le 13/01/2024


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