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Le calvaire d’un sans-papiers blessé sur un chantier en France

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  • Le calvaire d’un sans-papiers blessé sur un chantier en France

    Birama est tombé du troisième étage sur un chantier de BTP en 2021. Son patron l’a ramené en voiture à son foyer et l’a déposé à même le sol, sans appeler les secours. Après un arrêt de travail de plus d’un an et trois opérations chirurgicales, il a fini par porter plainte.

    Nejma Brahim

    lIl est assis sur une chaise, dans l’une des salles communes du foyer Édouard-Branly à Montreuil-Sous-Bois (Seine-Saint-Denis). C’est ici qu’il se sent le mieux, entouré des siens − la résidence abrite une majorité de Maliens, de tous âges, dont certains sans papiers. « Je suis venu en France pour travailler », dit-il, mêlant le français au soninké, sa langue maternelle.

    Il n’aurait jamais pensé que sa situation de sans-papiers, tout comme ses conditions de travail, pourrait le mener droit vers l’enfer. Plus de deux ans après son accident, Birama commence tout juste à se reconstruire. Mais il ne travaille plus. « Il ne pourra sans doute plus jamais travailler », tranche Martine Doucouré, une militante de la lutte des sans-papiers qui l’accompagne dans ses démarches, venue comme chaque semaine rendre visite aux résidents de ce foyer.

    « Je me souviens du jour où c’est arrivé », commente Toumany, l’un des représentants du foyer. C’est le responsable de la résidence Adoma qui appelle les secours en découvrant, stupéfait, le corps brisé de Birama posé à même le sol, inanimé. « Il l’a jeté comme un déchet devant les grilles du foyer », poursuit-il, marquant sa consternation.

    Agrandir l’image : Illustration 1Birama, au côté de Martine, évoque ses démarches au foyer Branly le 15 décembre 2023. © Nejma Brahim / Mediapart.

    « Il », c’est le patron « voyou », comme le surnomme Martine Doucouré, qui avait ses habitudes aux abords de la résidence. C’est ici qu’il venait piocher parmi la main-d’œuvre de sans-papiers disposés à travailler, pour la modique somme de 50euros par jour, sur des chantiers de construction en région parisienne.

    « Un jour, il en a pris quatre d’entre nous pour les tester. Il a gardé ceux qui travaillaient le mieux, j’en faisais partie », explique Birama, à qui l’employeur donne pour consigne de récupérer la ferraille du chantier d’un immeuble en rénovation à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne).

    Des tiges dans la colonne vertébrale


    Le 22 avril 2021, lui et son collègue grimpent au troisième étage de l’édifice, ramassant tout ce qu’ils peuvent trouver sur leur passage. Les lieux ne sont pas sécurisés, et il ne porte pas de casque, malgré les obligations légales. Tout à coup, il tombe dans un « trou » qu’il n’a pas vu. « Je suis tombé sur trois étages », dit-il.

    L’homme s’évanouit, son ami appelle l’employeur en urgence. « Il a débarqué avec son fils, ils l’ont porté jusqu’à la voiture et ils l’ont ramené au foyer pour le déposer là », complète Toumany. Birama n’a pas repris conscience jusque-là. « C’est une fois devant le portail que j’ai commencé à me réveiller », dit-il.

    L’homme a terriblement mal au dos : c’est dans cette partie du corps que le choc a eu lieu. Sur son portable, il retrouve les photos des cicatrices dues aux trois opérations chirurgicales qu’il a subies, dont une s’étale sur 20 centimètres sur la région dorsale et lombaire.

    « Ils ont dû lui mettre des tiges dans la colonne vertébrale pour reconstruire ce qui a été endommagé », souligne Martine Doucouré. Son dossier médical, que Mediapart a pu consulter, indique un traumatisme du rachis lombaire suite à un accident de travail dans le BTP. « Il était dans un état critique, il aurait clairement pu mourir », complète la militante. Cette dernière l’accompagne dans ses démarches dès l’été 2023, et l’encourage vivement à poursuivre son employeur.

    « Vu tout ce qu’on a entendu sur les sans-papiers, il me paraît essentiel de parler d’eux autrement, argue-t-elle. Ce sont souvent des travailleurs qui se font exploiter. Son cas illustre très bien les abus dont ils peuvent faire l’objet. » Jusqu’à leur rencontre, il apparaissait inconcevable pour Birama de se retourner contre ce « patron voyou » et de saisir la justice.

    Pour beaucoup de sans-papiers, aller au commissariat n’est pas envisageable : le lieu est trop connoté, cristallisant toutes les craintes de contrôle d’identité et d’expulsion potentielle du territoire français. Lorsqu’elle parvient à le convaincre de s’y rendre pour porter plainte, beaucoup ici pensaient qu’il finirait au centre de rétention administrative, souligne Toumany.

    « Jamais ! réplique Martine. Je connais la loi, je suis qualifiée auprès de la préfecture pour accompagner les personnes étrangères dans leurs démarches, je n’avais donc aucun doute là-dessus. » La retraitée fait également en sorte qu’un traducteur de soninké soit présent pour faciliter le recueil de son histoire.

    Trois opérations chirurgicales et des séquelles


    Les agents de police qui enregistrent la plainte, déposée contre « X » le 22 août dernier, auraient dit connaître l’employeur selon Martine Doucouré. Contacté par Mediapart, le parquet de Bobigny affirme pourtant que l’enquête ouverte dans la foulée a été classée sans suite « faute d’avoir pu identifier l’employeur mis en cause dans la responsabilité de cet accident du travail ». « Je ne le lâcherai pas », réagit celle qui lutte pour faire reconnaître les droits des sans-papiers en région parisienne. « Il doit être retrouvé et condamné pour ce qu’il a fait. »

    « Aviez-vous été formé à la sécurité sur votre poste ? Portiez-vous un équipement de sécurité ? », interroge l’officier de police judiciaire lors de l’audition de Birama, selon le procès-verbal de la plainte.

    « Non, aucune formation. Aucun équipement », répond l’homme, précisant avoir travaillé pour cet employeur durant plusieurs mois. Son fils venait le chercher en voiture devant le foyer avant chaque journée de labeur. Selon plusieurs habitants du foyer, le patron habiterait tout près du foyer Branly.

    Pis, Birama a été déplacé sans aucune précaution (ce qui peut parfois aggraver la situation après un tel choc, voire provoquer une paralysie), « ramassé » et mis dans un véhicule. « Ils m’ont jeté devant le foyer et ils sont partis », confirme-t-il auprès de la police. Sans appeler les secours après l’accident. À l’issue de son audition, Bimara est envoyé à l’unité médico-judiciaire de Bondy pour une expertise, avec l’autorisation du procureur de la République de Bobigny.

    Les conclusions du certificat médical sont sans appel, deux ans après les faits : « Les lésions constatées, les douleurs contusionnelles et musculaires post-traumatiques immédiates entraînent une gêne à l’aisance des manœuvres de la vie courante », notamment pour se déplacer, bouger le buste ou se courber en avant. Les « retentissements fonctionnels et psychiques » entraînent une incapacité totale de travail (ITT) au sens pénal supérieure à un an. À ce jour, la liste de médicaments figurant sur ses ordonnances ne diminue pas.

    Au foyer, vendredi 15 décembre, Birama s’agite régulièrement sur sa chaise. La position assise le fait « atrocement » souffrir. Pour poursuivre son récit, il préfère se lever et faire quelques pas afin de soulager la douleur un instant. Il sera sans doute, à terme, reconnu invalide, estime le groupe d’amis.

    En attendant, il s’est lancé dans une procédure de régularisation, toujours avec l’aide de Martine, auprès de la préfecture de Versailles. « Je suis arrivé en France en 2010 », se souvient-il, quittant le Mali à l’âge de 37 ans. Sur le point de fêter son cinquantième anniversaire, il n’a pas revu depuis sa compagne et sa fille, étant dans l’incapacité de voyager faute de papiers. « On se parle en vidéo avec le téléphone, murmure-t-il. Heureusement qu’il y a ça. »

    Des travailleurs essentiels


    Durant quatre années après son arrivée en région parisienne, où il est d’abord logé chez sa sœur à Trappes, il nettoie les transports parisiens à l’aube, entre 6 heures et 9 heures du matin, pour le compte de l’entreprise Samsic.

    Son temps de trajet pour se rendre sur son lieu de travail est presque équivalent au temps de travail effectué sur place. Il exerce alors sous alias – en empruntant le titre de séjour d’un tiers –, jusqu’à ce que la société finisse par se séparer de lui. « Ensuite, j’ai enchaîné les boulots à droite à gauche. »

    Nettoyage, déménagement, BTP ou plonge dans les restaurants… La liste est longue, et montre combien ces travailleurs sont nécessaires à l’économie, tout en étant méprisés par des responsables politiques prompts à diaboliser les « irréguliers » ou les « clandestins ».


    Agrandir l’image : Illustration 2Souvent diabolisés, les travailleurs sans papiers sont présents dans de nombreux secteurs d’activité en France. © Nejma Brahim / Mediapart.

    Les discussions autour du projet de loi sur l’immigration, porté par Gérald Darmanin, ont montré combien la question des travailleurs sans papiers pouvait cliver au sein de la classe politique française, conduisant la droite et l’extrême droite à refuser en bloc toute campagne de régularisation dite « massive », quand il s’agissait en réalité de régulariser quelques milliers de personnes, sous des critères restrictifs qui plus est.

    Le ministre de l’intérieur a lui-même pointé une forme d’« hypocrisie » à laquelle il convenait de « mettre fin », sans toutefois se battre pour conserver la mesure dans le texte.



    C’est un travailleur qu’on prend à la journée parce qu’on a besoin de lui et dont on se débarrasse dès qu’il y a un problème

    Martine Doucouré, militante de la lutte des sans-papiers
    Toutes les demandes de régularisation pour toutes les personnes sans papiers, sans distinction, portées par de nombreux collectifs au cours des dernières années, ont été ignorées par le pouvoir ; comme en 2020, lorsque les participants à la marche nationale des sans-papiers avaient demandé à rencontrer Emmanuel Macron, qui n’avait pas pris la peine de répondre.

    La question de leur régularisation – dans les métiers en tension – sera de nouveau sur la table lors de la commission mixte paritaire organisée lundi 18 décembre. La réalité des sans-papiers, conclut Martine, « c’est ça ». « C’est un travailleur qu’on prend à la journée parce qu’on a besoin de lui et dont on se débarrasse dès qu’il y a un problème, sans même appeler les pompiers. »

    Birama est conscient d’avoir été « exploité ». Quelle autre option se présente à lui ? Il aurait pu prétendre, après plus de dix années de présence en France, à une admission exceptionnelle au séjour, comme le veut la circulaire Valls de 2012. Mais celle-ci impose d’avoir des fiches de paie ainsi qu’un document Cerfa rempli par l’employeur et attestant de l’activité salariée de l’employé ; créant, de fait, une relation de dépendance parfois malsaine.

    C’est en cela, ont indiqué de nombreux députés ou sénateurs en faveur de cette nouvelle mesure, que la possibilité de régulariser les sans-papiers travaillant dans les métiers en tension était intéressante : elle mettrait fin au pouvoir discrétionnaire du préfet en inscrivant cette question dans la loi et non plus dans une circulaire, créant un droit à la régularisation « opposable », et réduisant l’influence de l’employeur dans le processus.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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