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Algérie : la consommation de l’alcool noyée dans le cocktail juridico-moral

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  • Algérie : la consommation de l’alcool noyée dans le cocktail juridico-moral

    LETTRE D’ALGER. Encore une fois, la consommation d’alcool focalise l’attention, et le bras séculier, des autorités locales.

    Par notre correspondant à Alger, Adlène Meddi



    'homme est réputé, et apprécié par l'opinion publique, par ses sorties médiatiques tonitruantes. Ali Bouguerra, wali (préfet) de Tiaret, à l'ouest d'Alger, multiplie les « sorties de terrain », haranguant, devant les caméras, entrepreneurs privés et fonctionnaires sur les retards de chantiers, les dysfonctionnements des services publics. C'est une « tradition » chez certains responsables ici que de se déchaîner devant les journalistes, souvent à raison, pour montrer que l'État est là, intransigeant, et que le préfet n'est pas prisonnier de son bureau derrière de lourdes portes capitonnées.

    »« Il faut moraliser »


    La dernière sortie du wali de Tiaret, devant des représentants de la « société civile », il y a une semaine, a encore fait le buzz. Sous de nourris applaudissements, l'ombrageux édile s'insurge : « Il y avait un grossiste de boissons alcoolisées devant la résidence du wali » et d'annoncer avec de grands gestes : « C'est fini, il n'y est plus, je l'ai fermé ! Qu'il parte ! » Il déclare aussi que « quatre autres grossistes vont suivre » mais « dans le cadre de la loi ».

    « Il faut moraliser notre ville », assène Ali Bouguerra : « Je respecte les libertés individuelles, mais il y a aussi des lois à respecter. Ouvrir un commerce de gros de boissons alcoolisées devant le siège de la gendarmerie, la résidence du wali ou sur le boulevard principal de la ville, c'est interdit. » Il a demandé aux propriétaires de débits de boissons « d'aller dans des zones plus isolées ». Pis, pourquoi n'iraient-ils pas dans d'autres wilayas ? « Pourquoi venir d'une autre wilaya pour vendre ici ? » tempête le préfet, alors que l'activité n'a légalement aucun lien avec le lieu de résidence ou de naissance du commerçant. Passons !

    Le boom de l'informel


    Cette sortie du responsable local n'est pas aussi banale qu'elle y paraît. Car de fait, certaines wilayas ont encouragé, si ce n'est promulgué, la fermeture des débits de boissons sous des prétextes de moralisation. Mais ces magasins ne sont pas uniquement la cible de certaines autorités : les boîtes de nuit, les bars et les restaurants-bars ont aussi subi une vague de fermeture par différents biais administratifs. Les derniers chiffres remontent à une dizaine d'années : 2 000 débits de boissons fermés – dont 66 à Alger en plus des 74 bars et restaurants servant de l'alcool, d'après l'Association des producteurs algériens de boissons. Alors que, selon la même association, les chiffres de consommation augmentent au moins de 10 % par an.

    Une situation qui a boosté le business du marché parallèle avec les risques sanitaires inhérents… Les autorités reconnaissaient, à l'époque, un taux inquiétant de 70 % des alcools importés écoulés dans le marché clandestin…

    Une lancinante guerre


    L'absence d'endroits sociabilisés pour consommer l'alcool pousse beaucoup de consommateurs à boire dans la discrétion de l'habitacle de leur voiture : conduites dangereuses, incidents graves à la suite de courses-poursuites avec la police…

    La guerre contre les lieux de la nuit, les débits de boissons et autres bars-restaurants a connu une accélération en 2006 lorsque le ministre islamiste de l'époque, Hachemi Djaaboub (du MSP, tendance Frères musulmans), avait imposé aux propriétaires de renouveler chaque année l'inscription au registre de commerce. Une mesure qui, par sa lourdeur bureaucratique, le passif souvent chaotique des titres de propriété et des ayants droit et la pression des autorités ont mené un grand nombre de commerçants de « l'illicite » à abandonner l'activité ou à la changer. D'autant qu'une bizarrerie algérienne permet aux détenteurs de la fameuse « licence de Moudjahid (ancien combattant de la guerre de libération) » d'avoir une certaine exclusivité pour ce genre d'activité. Ce sésame – qui se vend ou se loue en toute illégalité – permet notamment d'importer des véhicules à des tarifs douaniers hyperavantageux ! Donc, il suffit aux autorités de mettre leurs nez dans les arrangements entre propriétaires autour de cette fameuse licence pour invalider les contrats, sceller et fermer les locaux.


    Dans la plupart des villes algériennes, les bars disparurent donc massivement ces deux dernières décennies. Un autre coup de grâce à la filière a été asséné via les récentes augmentations de taxes à l'importation et à la circulation de l'alcool, rendant son import et sa vente exorbitants, alors que la production locale, de vins et de bières principalement, peine à satisfaire l'important marché intérieur. Les quelques importateurs d'alcool se retrouvent aussi, depuis des mois, devant d'énormes difficultés bureaucratiques et le turn-over des conteneurs importés est quasiment réduit à zéro. Beaucoup estiment que, théoriquement, il est positif d'encourager la production nationale, sans pour autant mener des politiques chocs sur la filière en asséchant d'un coup l'importation et augmenter exagérément les taxes.


    Mais, au-delà des contraintes économiques, c'est le discours de certains responsables locaux qui impactent le plus le secteur : une sorte de moralisation, de criminalisation parfois, de la consommation d'alcool, qui impose un climat de prohibition qui dit à peine son nom. Cela découle aussi de la dichotomie du statut même de l'alcool en Algérie : secteur industriel public et privé rapportant d'importantes entrées fiscales à l'État, mais toujours otage d'un flou juridico-moral.

    Ce genre de situation est vécue, par exemple, au Maroc et en Tunisie ou l'alcool est, selon la loi, réservé aux touristes ou aux étrangers en général et interdit à la consommation aux musulmans… sachant que l'écrasante majorité des consommateurs des trois pays sont… musulmans du point de vue du droit.

    Au Maroc, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a, en mai 2022, annoncé vouloir « revoir certaines dispositions liberticides et proposer une réforme intégrale [du Code pénal], comprenant la dépénalisation de la consommation d'alcool par les Marocains ». « Il y a des sanctions aberrantes dans le Code pénal. On dit aux gens : “N'achetez pas d'alcool mais payez quand même la taxe.'' Va-t-on considérer un jour le Marocain comme un individu responsable et libre de mener sa vie privée comme il l'entend ? »

    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر
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