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Guerre au Proche-Orient : à Casablanca, M., queer, a quitté une Allemagne étouffante pour rentrer au pays

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  • Guerre au Proche-Orient : à Casablanca, M., queer, a quitté une Allemagne étouffante pour rentrer au pays

    À choisir entre sa liberté d’opinion et sa liberté sexuelle, M. a préféré la première. Non-binaire, âgé d’une trentaine d’années, iel a plié bagage, écrasé par la puissance du soutien allemand à Israël. Regagner sa terre natale a été « le bon choix ».

    Camélia Echchihab



    Casablanca (Maroc).– M.* s’excuse pour son retard et commande un jus de banane. De l’autre côté de la vitre du café de la localité où nous le** rencontrons, plusieurs passant·es lui font signe : iel semble avoir ses habitudes dans ce petit quartier. Pourtant, M. n’est revenu vivre au Maroc que depuis quelques semaines.

    Sa ville natale n’a rien à voir avec la bourgade allemande où M. s’était installé pendant quelques années. Iel avait quitté le Maroc pour l’Europe, afin de vivre librement sa sexualité et son identité non binaire. Mais le 7 octobre a tout changé. M. s’est senti marginalisé, à cause de son soutien inconditionnel à la cause palestinienne, et s’est retrouvé face à un dilemme : rester en Allemagne, et taire sa position sur la guerre qui déchire Gaza… ou rentrer au pays, où l’homosexualité est passible de six mois à trois ans de prison.

    M. habite en colocation, dans une petite ville allemande, lorsqu’iel apprend, comme le reste du monde, les attaques du Hamas contre Israël, suivies des bombardements de la bande de Gaza. M. scrolle, en continu, les images tournées par les journalistes palestinien·nes sous les bombes. Ces images d’horreur, iel les côtoie depuis tout petit : à la maison, la télé était souvent allumée sur Al Jazeera.

    « Je me rappelle, quand j’avais 5 ans, je me demandais, mais pourquoi personne n’organise de coup, pour prendre les armes des Israéliens ? », raconte M. Depuis le 7 octobre, ses stories Instagram sont quasiment dédiées à Gaza. « Il y a trop de gens qui vivent dans le déni. Pour moi, c’est un devoir de voir les choses en face, quitte à passer mes nuits à pleurer. » Sa colocataire, elle, passe ses nuits à jouer à des jeux vidéo de guerre. Le son des mitraillettes virtuelles passe à travers le mur qui sépare leurs chambres. M. est sidéré par une telle « déconnexion » de l’actualité.

    Agrandir l’image : Illustration 1© Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart

    Dans son entourage, personne ne semble aussi touché qu’iel, pour qui Israël n’est rien d’autre qu’un « colonisateur » qui écrase les Palestinien·nes depuis des décennies. Au travail, une collègue lui conseille de « pondérer son discours ». « Petit à petit, les gens se sont rendu compte qu’Israël était en train de commettre un massacre, mais certains me disaient quand même : oui, c’est triste ce qu’il se passe, mais on ne peut rien y faire… »

    M. s’interrompt, et réplique avec force : « Ben si, tu peux boycotter, par exemple ! » Pour iel, adopter une posture « neutre », ce n’est tout simplement pas possible. Iel se désole de voir son entourage allemand botter en touche. « C’est peut-être la “german guilt” qui prend le dessus », pense-t-iel. Le psychanalyste Carl Jung est à l’origine de ce concept de « culpabilité collective » dans la population allemande, venant de sa responsabilité dans les atrocités du régime nazi.

    « Ce qui m’a vraiment choqué, c’est quand j’ai vu deux amis réfugiés condamner le Hamas. Pourquoi vous, personnes politisées, conscientes, défendant des valeurs queer, sautez sur le train en marche ? J’ai zéro tolérance pour ce genre de discours. Qu’on comprenne que la résistance palestinienne est légitime, nécessaire, c’est une base pour moi. » Iel poursuit : « Le pire, c’est quand on me sort l’argument de : “Mais toi, en tant que personne queer, tu sais que le Hamas te tuerait ?” Qu’est-ce que c’est que ce pink washing ? C’est lunaire ! »

    En Allemagne, un climat « toxique »


    Dans la petite ville allemande où habitait M., des drapeaux israéliens ont été affichés dès les premiers jours qui ont suivi les attaques menées par le Hamas. Sur des panneaux d’affichage numériques, on pouvait aussi lire des messages officiels de soutien, à l’image du discours du chancelier, Olaf Scholz, qui s’est rendu en Israël très rapidement. Au Bundestag, la ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock, déclarait que « la sécurité d’Israël est la raison d’État allemande ».

    Dans la foulée, une série de mesures a été prise par les autorités : toute activité liée au Hamas a été interdite, y compris le réseau Samidoun. Au lendemain de l’opération Al-Aqsa, ses militant·es avaient organisé une célébration dans le quartier de Neukölln, dans le sud-est de Berlin. En réaction, la police a interdit toute manifestation propalestinienne dans la capitale… Ce que M. a très mal pris. Iel se souvient : « Même quand on essayait de faire des petits mémoriaux, les autorités venaient écraser les bougies. »

    Toujours à Neukölln, quartier où se concentre beaucoup d’émigration originaire du Moyen-Orient, le centre artistique et culturel Oyoun, qui se réclame décolonial, queer et féministe, a subi des pressions pour annuler un événement pro-Palestine en collaboration avec l’association juive antisioniste Jewish Voice for Peace. Depuis, le centre est fermé, privé de financement de la part du Sénat berlinois. Pour M., le climat en Allemagne est devenu « toxique ».

    Pourtant, le pays compte la plus grosse communauté palestinienne d’Europe. Des manifestations de soutien à Gaza ont finalement pu avoir lieu, sous haute surveillance. Les slogans qui nient le droit à l’existence d’Israël sont, par exemple, passibles de poursuites. Certaines marches ont été émaillées de violences, comme celle du 19 octobre : une soixantaine de policiers ont été blessés lors d’une manifestation. La police, M. en a la « phobie ». « J’ai un ami marocain dont on a contrôlé les papiers, à Berlin, simplement par délit de faciès, explique-t-iel. Peut-être que j’étais devenu parano, mais j’avais vraiment l’impression que les regards sur moi s’intensifiaient. »


    Au moins [le Maroc], c’est mon pays. Qu’on veuille de moi ou pas, j’en fais partie, et il fait partie de moi.
    M.



    M. s’est donc retrouvé face à un dilemme : vivre dans un pays « complice d’un génocide », ou rentrer dans un pays qui punit l’existence même de sa communauté sexuelle. « J’ai eu de longues négociations avec moi-même. Qu’est-ce que je suis prêt à sacrifier, où est-ce que je trace une ligne rouge ? Est-ce que je veux rester dans un pays de plus en plus ouvertement islamophobe et raciste, anti-palestinien ? Tout ça me bouffait de l’intérieur », raconte-t-iel. Alors, le 20 octobre, M. prend la décision de partir. Une histoire de dignité, aussi. « Je n’avais pas envie d’être obligé de me taire. Le jeu n’en valait pas la chandelle. »

    Alors que nous sortons du café, M. rencontre une amie de ses parents. Celle-ci n’arrive pas à y croire : « Ça y est, tu es vraiment rentré pour de vrai ? », s’exclame-t-elle. M., qui approche de la trentaine, décrit « un rapport compliqué » avec le pays, « plein de traumas ». Depuis tout petit, iel souffre des cases dans lesquelles on voulait le faire entrer, des vêtements qu’on voulait lui faire porter, des comportements qu’on lui interdisait…

    « Il fallait avoir une tenue modeste, se faire tout petit, ne pas attirer l’attention, parce que j’étais assigné fille… j’avais l’impression d’être toujours dans la restriction, dans le contrôle. Et moi, j’aime ma liberté », raconte M., les yeux brillants.

    Vers l’âge de 16 ans, iel fait son coming-out queer : impossible à dire à ses parents. « Ils sont ouverts d’esprit, mais ça, ils ne comprendraient pas. » M. fréquente des forums de Marocain·es LGBTQ en ligne, mais les rencontres dans la vraie vie restent très limitées. Ce qui lui pèse le plus, c’est le sentiment de toujours jouer différents rôles en fonction de qui l’entoure. « Ça crée une dissonance. Dans tel contexte, je peux être moi-même, dans d’autres, non… » La plupart des gens genrent M. au féminin, l’appellent par son prénom de naissance, alors qu’iel en a choisi un autre. « Je mets parfois quelques secondes à me dire : ah oui, on m’appelle. C’est peut-être difficile à comprendre, mais ça a vraiment un impact psychologique. »

    L’Europe semblait promettre de meilleures opportunités professionnelles… mais il s’agissait surtout de vivre libre. Pourtant, depuis que M. est rentré, tout lui paraît plus fluide qu’en Allemagne. « C’était la bonne décision. Alors, je prends beaucoup sur moi, et c’est vrai que parfois, je me dis, mais qu’est-ce que je fous là ? », sourit-iel. « Au moins, c’est mon pays. Qu’on veuille de moi ou pas, j’en fais partie, et il fait partie de moi. »
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    On se demande comment l'Allemagne pourra bien faire sans iel !

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    • #3
      Je suis pour le francais classique, fermement opposé donc a l'utilisation de l'ecriture inclusive et du pronom iel.
      ثروة الشعب في سكانه ’المحبين للعمل’المتقنين له و المبدعين فيه. ابن خلدون

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