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Dans la vie de Juliette, mère isolée, précaire et cible de l’algorithme des CAF

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  • Dans la vie de Juliette, mère isolée, précaire et cible de l’algorithme des CAF

    Enquête

    « Le Monde » raconte comment une bénéficiaire du RSA est devenue un dossier « à risque » pour l’organisme, et les conséquences de ce ciblage sur sa vie.
    « J’étais dans la merde financièrement et psychologiquement. Mon père venait de mourir d’un cancer en moins de six mois, j’étais extrêmement fragile. » C’est peu dire que l’année 2023 commençait déjà mal pour Juliette(les prénoms d’allocataires ont été modifiés à leur demande). Divorcée depuis cinq ans, sans pension alimentaire, elle vit seule avec son fils cadet de 14 ans, en garde alternée.

    Sa séparation l’a poussée dans la spirale de la précarité. Depuis des années, les allocations familiales et les aides au logement lui sont vitales. Juliette n’est jamais restée inactive bien longtemps, mais son CV « atypique », comme elle dit, rebute beaucoup d’employeurs, malgré un bac + 5 en communication. « Les boulots salariés, je les tiens un an et je finis en burn-out », raconte la mère de famille de 50 ans, un peu gênée, assise au milieu de sa petite cuisine en formica remplie de ses trouvailles de brocantes.
    Profilage et discriminations : Article réservé à nos abonnés enquête sur les dérives de l’algorithme des CAF
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    En 2020, elle lance une entreprise de débarras de maison. Elle vit alors de son allocation de retour à l’emploi, en attendant de pouvoir se dégager un salaire. En mai 2022, ses droits au chômage prennent fin et elle se résigne à demander le revenu de solidarité active (RSA). Elle conserve son affaire et fait quelques ménages déclarés en service à la personne. Elle perçoit au total environ 900 euros d’allocations par mois, mais peine chaque début de mois à sortir le loyer de sa maison de Brignoles (Var).

    Suspecte idéale


    Juliette fait partie de ces gens qui ouvrent leur messagerie et leur courrier avec appréhension, de peur qu’une tuile ne leur tombe encore sur la tête. Fin janvier 2023, justement, une lettre lui annonce qu’une contrôleuse de la caisse d’allocations familiales (CAF) du Var va lui rendre visite pour vérifier son dossier. Ce que Juliette ne peut pas savoir, c’est que plusieurs éléments de sa situation personnelle font d’elle une suspecte idéale aux yeux de l’algorithme qui détermine les contrôles de l’organisme.


    Extrait du courrier envoyé à Juliette lui annonçant le passage d’une contrôleuse de la CAF. LéA GIRARDOT POUR LE MONDE

    Depuis une dizaine d’années, les CAF s’appuient sur un programme de data mining (« exploration de données ») pour décider chez qui elles vont envoyer l’un de leurs 700 contrôleurs. Du montant des ressources du foyer à la situation familiale, en passant par le nombre de connexions au site de l’organisme, les données personnelles des allocataires inscrites au fichier de l’organisme sont utilisées pour leur attribuer une note personnalisée.

    Si près de 70 % des contrôles à domicile de la CAF sont déclenchés par un score de risque élevé, la CAF n’en mentionne jamais l’existence dans ses courriers. Quand Le Monde l’a rencontrée, en novembre, Juliette croit encore que « c’était vraiment pas de bol » d’avoir été tirée au sort par l’administration. Mais, pour elle, comme pour les quelque 130 000 familles d’allocataires contrôlées chaque année de la sorte, la visite d’un contrôleur n’est souvent que le début d’une longue série d’ennuis.

    La préparation du rendez-vous est une première épreuve. Il faut rassembler une batterie de documents en vue du contrôle : le livret de famille, le jugement de séparation ou divorce, les documents d’identité de tous les membres du foyer, le dernier avis d’imposition, mais aussi les relevés mensuels de l’ensemble de ses comptes bancaires depuis l’ouverture des droits au RSA.

    « Anxiogène et intrusif »


    Le 14 février, à 9 h 30, la contrôleuse se présente, souriante, et s’installe dans la cuisine, devant la pile de papiers préparés par Juliette. « Je lui ai proposé un café, mais elle a refusé et s’est vite mise au travail », se remémore la quinquagénaire. Les minutes passent. L’agente de la CAF épluche les documents, pose des questions, passe les relevés bancaires au peigne fin. Face à elle, l’allocataire, qui pensait n’avoir rien à se reprocher, voit ses certitudes s’effondrer. « Plus elle note des choses, plus je me dis que quelque chose cloche, se souvient-elle. Ça devient vite anxiogène et intrusif. »
    Actualités du Monde

    Il y a d’abord ces virements de ses frères et sœurs, environ 1 500 euros entre juin et décembre 2022. La mère de famille se justifie, répond que sa fratrie l’a soutenue pour qu’elle puisse rendre visite à leur père, tombé malade au début de l’été. Quatre allers-retours entre le Var et la Bretagne, avec ses deux chiens à déposer au chenil, avant sa mort en fin d’année.

    Il y a aussi ces chèques d’une retraitée de 90 ans, pour qui Juliette a bien voulu faire quatre heures de ménage par semaine. Cette « petite dame » n’aurait jamais accepté de la déclarer, tout en insistant pour ne pas la payer en liquide. Faute de solution, la collaboration tourne court au bout de trois mois, pour environ 400 euros de prestations. Et il y a encore toutes ces questions sur ces petits dépôts d’espèces de 30 ou 40 euros, pour des objets vendus sur Leboncoin, ou un virement de 150 euros reçu pour son anniversaire.

    L’entretien s’arrête là. La contrôleuse lui fait comprendre qu’elle aurait dû déclarer toutes ces sommes, pour qu’elles soient déduites de ses allocations. Elle la prévient qu’elle devra rembourser la CAF, sans pouvoir lui dire combien. Un choc et une humiliation. « J’ai été sincère, j’ai expliqué ma situation, mais je ne l’ai pas convaincue », dit Juliette en soupirant. Elle nous dévisage et insiste : « On est alsaciens dans la famille. Les règles, c’est les règles. Je ne suis pas une voleuse. »

    Des règles « inimaginables »


    Le couperet tombe dans un courrier daté du lendemain. « VOUS NOUS DEVEZ 2 864 euros », intime la CAF du Var en lettres capitales, après avoir réintégré les aides familiales et les « revenus d’origine indéterminée » dans ses ressources. Aucun détail n’est donné sur les sommes prises en compte ou le calcul de l’arriéré. Les mois suivants, elle doit commencer à rembourser sa dette, si bien qu’il lui reste moins de 400 euros par mois d’aides pour vivre.


    Extrait de la notification de dette envoyée à Juliette par la CAF, qui lui réclame près de 3 000 euros d’indus. LéA GIRARDOT POUR LE MONDE

    Avec son système de data mining, la CAF privilégie la recherche a posteriori d’erreurs comme celles de Juliette, au détriment de leur prévention. Ce fonctionnement peut faire plonger les allocataires dans une précarité plus forte encore. Myriam et Alexis, un couple de quadragénaires installés dans le Sud-Ouest, ont eux aussi reçu un important avis de dette au début de l’année, à cause d’aides familiales non déclarées. Leur droit au RSA a en outre été suspendu, au motif qu’ils auraient sciemment fraudé. Selon le rapport d’enquête consécutif à leur contrôle, que Le Monde a pu consulter, la CAF estime qu’ils n’étaient pas censés ignorer la règle, qui était « publique » et « connue ».


    Extrait du rapport d’enquête consécutif au contrôle à domicile de Myriam et Alexis. LE MONDE

    Or, l’information fournie au public sur ce sujet est lacunaire. Le site de la CAF n’explique pas aux bénéficiaires du RSA qu’il existe des règles strictes quant aux aides de proches ou aux rentrées d’argent en tous genres. Myriam et Alexis ont tout de même réussi, en novembre, à faire rétablir leur RSA dans l’urgence, grâce à l’intervention d’un juriste spécialisé.

    Tanya, bénéficiaire de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), s’est vu quant à elle réclamer plus de 20 000 euros, soit deux ans d’allocations, assorti d’une radiation de la CAF, à la suite d’un contrôle au début de l’année. La jeune femme, en fauteuil roulant, est interrogée sur le détail de ses séjours à l’étranger. Elle n’y voit alors pas de risque, croyant qu’il suffit de résider six mois en France, comme pour les impôts. Or, pour bénéficier de l’AAH, la règle est de quitter le territoire au maximum quatre-vingt-dix jours par an.

    Ce n’est qu’après avoir reçu l’avis de dette de la CAF que Tanya comprend ce qui lui est reproché. Elle réussit finalement à attester de sa durée de résidence en France, fait annuler sa créance et récupère ses droits à l’AAH après plusieurs recours, non sans difficultés. Là encore, la règle n’était pas claire. Jusqu’à septembre, en effet, la page d’informations sur l’AAH sur le site de la CAF ne mentionnait pas la règle des quatre-vingt-dix jours.

    Les populations vulnérables ont d’autant plus de risques de commettre des « erreurs » qu’elles sont soumises à des obligations déclaratives plus fréquentes et complexes que les autres. « Franchement, les règles des CAF sont inimaginables. Comment demander aux gens de toutes les connaître et de les respecter ? », s’indigne l’avocat strasbourgeois Pierre-Henry Desfarges, qui accompagne de nombreuses familles dans leurs litiges. Les allocataires conscients de ces règles en retiennent, eux, qu’il vaut mieux privilégier le liquide et ne rien faire transiter sur son compte bancaire pour éviter les ennuis.

    « C’est calculé de manière totalement injuste »


    Quand elle apprend qu’elle n’a vraisemblablement pas été contrôlée par la CAF par hasard, Juliette tombe des nues. Le Monde lui propose donc de calculer point par point son score de risque.

    A-t-elle un conjoint ? A-t-elle déménagé récemment ? S’est-elle rendue dans une CAF cette année ? La quadragénaire a souvent écarquillé les yeux au fil des questions. C’est la philosophie d’un système prédictif : l’algorithme ne cherche pas des indices d’erreurs dans votre dossier. Il le décortique pour savoir si vous ressemblez au profil type de celui qui commet des erreurs.

    A l’aide de ses réponses, Le Monde a pu établir clairement que Juliette avait, au début de l’année 2023, un score de risque suffisamment élevé pour se retrouver en haut de la pile des dossiers de sa CAF. Voici certains des critères qui ont attiré l’attention sur son cas :
    • elle est séparée ;
    • elle vit avec un enfant dont l’âge est situé entre 12 et 18 ans ;
    • elle est affiliée à la CAF depuis plus de cinq ans ;
    • elle oscille entre emploi et inactivité ;
    • elle a des ressources inférieures 942 euros par mois (par unité de consommation) ;
    • son loyer représente plus de 35 % de ses ressources.
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  • #2


    A l’issue de l’exercice, l’effarement l’emporte. « Attribuer un score, c’est ignoble, surtout quand on se rend compte que c’est calculé de manière totalement injuste. » Juliette se faisait une fierté de se battre pour s’en sortir, de grappiller quelques revenus ici et là avec des petits boulots. D’avoir pour projet de s’émanciper du RSA à moyen terme. Découvrir que le système informatique soupçonne davantage les personnes précaires dont la situation varie au fil des mois la révolte profondément.

    Elle n’est, en revanche, pas surprise de découvrir qu’être une mère célibataire a nourri les soupçons de l’algorithme sur son dossier. Elle a intégré que la société juge comme « moins crédibles » les femmes dans sa situation. Le sociologue Vincent Dubois, qui a longuement enquêté sur les pratiques des CAF, a découvert en accompagnant des contrôleurs sur le terrain que les litiges concernant le cas de mères isolées sont « massifs ». En industrialisant le ciblage, « on déshumanise les dossiers », analyse-t-il : ce ne sont plus des personnes, mais des variables qui sont contrôlées. Or, une visite de la CAF a souvent des conséquences bien réelles sur des familles entières.

    Neuf mois plus tard, Juliette garde les stigmates de son contrôle. Elle n’est toujours pas sûre de savoir remplir correctement sa déclaration et regarde son compte CAF tous les jours, de crainte qu’une erreur ne finisse par la rattraper. Et son cas est loin d’être isolé. Depuis plusieurs années, le ministère des solidarités réalise une étude sur les raisons du non-recours aux prestations sociales, qui dépasse parfois les 30 %, laissant dans la pauvreté des familles entières. En 2021, 18 % des personnes interrogées citaient comme raison principale à cette situation « la crainte des conséquences négatives », contre seulement 8 % en 2016.

    L’année 2023 restera une période à oublier pour Juliette. L’argent hérité de son père a été englouti dans ses loyers et ses dettes. En juillet, elle a dû quitter sa maison de Brignoles pour s’installer dans une maisonnette de 40 mètres carrés dans un village voisin. « J’espère que c’est le début d’une nouvelle vie. » Ses réclamations, certificat de décès de son père à l’appui, sont restées en attente pendant quatre mois à la CAF, avant d’être rejetées en juillet.

    Comment nous avons enquêté sur l’algorithme des CAF

    Chaque mois, 13,8 millions de foyers d’allocataires sont notés par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour prioriser les contrôles de l’organisme. Mais la recette de cet algorithme, qui a des effets concrets sur des centaines de milliers de familles, est tenue secrète. Voici comment Le Monde et le collectif de journalistes Lighthouse Reports ont enquêté pour ouvrir la « boîte noire » du score de risque de la CNAF :
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    • #3
      Plus on est pauvre, plus on est contrôlé : la révélation des méthodes de la Cnaf interroge




      Après des mois de lutte, l’association La Quadrature du Net a réussi à obtenir le code source de l’algorithme utilisé par la Cnaf pour le contrôle des allocataires. Elle révèle que sont ciblés les plus fragiles. Pour le sociologue Vincent Dubois, ces révélations viennent confirmer le surcontrôle des populations précaires.

      Faïza Zerouala

      La Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf) ne s’en est jamais cachée. Elle utilise depuis 2011, un outil statistique, le data miningou exploration de données, censé identifier, parmi les 13,5 millions d’allocataires, les plus susceptibles de commettre des erreurs dans leur déclaration. Mais le contenu précis de l’algorithme mobilisé n’avait jamais été révélé. C’est chose faite cette semaine grâce à La Quadrature du Net, qui l’a obtenu après des mois de bataille via une saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

      Agrandir l’image : Illustration 1Un formulaire de demande de RSA. © Crédit Magali Cohen / Hans Lucas via AFP
      L’étude du code source par l’association de défense et de promotion des droits et libertés sur Internet met en évidence l’existence d’un « score de suspicion », plus élevé pour les personnes aux faibles revenus, les chômeurs et chômeuses, les allocataires des minima sociaux et les habitant·es de quartiers dits défavorisés. En clair, l’algorithme serait programmé pour cibler, de manière « discriminatoire »,ses allocataires les plus précaires.

      La Quadrature du Net dénonce une « surveillance prédictive aux accents dystopiques » et juge cette pratique comme davantage « politique » et « policière » que sociale. En 2017 déjà, le Défenseur des droits s’inquiétait des risques discriminatoires de ce ciblage dans un rapport.

      La Cnaf n’a pas communiqué à l’association le code source de l’algorithme actuellement à l’œuvre, mais celui utilisé entre 2010 et 2014 et entre 2014 et 2018. La version la plus récente n’a pas été dévoilée, pour éviter de donner des astuces de contournement auxdits fraudeurs « à enjeux », ceux qui fomentent des arnaques sophistiquées.

      Contactée par Mediapart, la Cnaf n’a pas souhaité répondre à nos questions et renvoie vers les prises de parole publiques de son directeur général, Nicolas Grivel, à l’Agence France-Presse (AFP) ou sur X (ex-Twitter). Il a fermement démenti auprès de l’AFP le caractère discriminatoire du paramétrage de l’algorithme et a précisé qu’il ne cible « pas forcément les personnes les plus pauvres mais celles dont les revenus varient », comme les bénéficiaires de certains minima sociaux qui doivent par exemple remplir des déclarations de revenus trimestrielles.

      L’outil permettrait au contraire d’identifier des erreurs déclaratives ou de traitement interne. « Les modèles data mining sont des outils au service du versement de tous les droits, et rien que les droits », écrit la Cnaf dans son guide.

      Officiellement, donc, cet algorithme n’est pas pensé pour débusquer des fraudes. La Cnaf réfute toute existence d’un score « de suspicion ». L’organisme préfère, pour sa part, parler de « score de risque ».

      Alex, qui ne souhaite pas communiquer son nom de famille, membre de La Quadrature du Net et chargé de campagne algorithme, a participé à l’analyse de l’algorithme et reste convaincu du contraire.

      L’association a décidé de rendre public cet algorithme car, selon elle, « la Cnaf tire parti de l’opacité » autour de ses outils. L’intérêt de cette révélation est, poursuit-il, de mettre en évidence « la matérialité très crue de ces pratiques-là » et aussi de braquer les projecteurs sur sa politique de lutte contre la fraude et ce « qu’elle signifie ». Il poursuit : « La Cnaf explique qu’il ne s’agit pas de surveillance, alors, au bout d’un moment, il faut qu’on nous explique ce qu’est la surveillance. »

      Il rappelle que cet algorithme est apparu dans le cadre de politiques institutionnelles de lutte contre la fraude « érigées en objectifs institutionnels poussés par la droite et l’extrême droite dans le débat public ».

      Vincent Dubois, sociologue et professeur à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et auteur du livre Contrôler les assistés. Genèse et usage d’un mot d’ordre (éditions Raisons d’agir), paru en 2021, n’est pas surpris par les données obtenues par La Quadrature du Net.

      Interrogé par Mediapart, il considère que la révélation du code source utilisé par la Cnaf confirme son « surcontrôle des populations précaires ». Celui qui a étudié le contrôle des allocataires de prestations sociales dans un travail au long cours depuis le début des années 2000, puis en pointillé jusqu’à 2017, rappelle : « J’avais constaté ce qu’on peut appeler une discrimination à l’égard des populations qui ont des faibles revenus, qui sont dans des situations sociales et familiales instables, et qui sont allocataires du RSA. »

      Le sociologue avait pu objectiver ces faits grâce aux statistiques de la Cnaf sur les catégories de population qui étaient les plus contrôlées et celles qui ne l’étaient pas.

      Aujourd’hui, Vincent Dubois explique que l’organisation même du contrôle et du paramétrage de l’algorithme de la Cnaf va « construire un facteur de risque qui tient moins au comportement effectif des allocataires qu’à la nature de leurs prestations, ou qu’aux incidences de leur situation sur le traitement de leur dossier ».
      Les populations ciblées sont les plus stigmatisées dans le débat public


      En clair, plus les situations sont complexes et instables, plus il y a d’éléments à déclarer, donc mécaniquement une potentialité d’erreurs plus fortes. « Mais ce n’est pas dû à la propension de ces personnes à frauder qui serait supérieure à celles des autres mais parce que leurs situations et les critères des prestations qu’elles perçoivent sont plus complexes, et génèrent ce qui est statistiquement identifié comme des risques. »

      Ainsi, les personnes qui perçoivent uniquement les allocations familiales ou logement sont-elles moins contrôlées, ce qui ne signifie pas qu’elles ne se trompent pas.

      Si la Cnaf explique peu ou prou que son algorithme est neutre, l’explication ne convainc ni La Quadrature du Net ni le sociologue Vincent Dubois. « La technologie a cette grande vertu pour l’institution. Elle lui permet de se cacher derrière les résultats des calculs statistiques, en considérant qu’ils sont neutres. Et donc, c’est pour cette raison-là et pas pour un objectif politique posé a priori que certaines franges d’allocataires seraient davantage contrôlées. »

      Ce dernier rappelle aussi que cet algorithme est « la concrétisation technique du principe managérial de la maîtrise des risques, qui s’est imposé comme pierre angulaire de la gestion des caisses depuis le début des années 2010 ».

      Le recours à des techniques prédictives comme le data mining permet à l’institution d’anticiper et d’ajuster ses pratiques pour parer à tout ce qui pourrait enrayer son bon fonctionnement, poursuit le sociologue.

      De fait, la « cohérence » entre la technique et la politique est patente. Les populations ciblées sont celles qui sont les plus stigmatisées dans le débat public, comme les bénéficiaires du RSA par exemple, pointe encore le chercheur.


      La Quadrature du Net dénonce, pour sa part, d’autres organismes comme Pôle emploi, l’Urssaf, l’assurance-vieillesse, les Mutualités sociales agricoles ou, dans une moindre mesure, l’assurance-maladie, qui ont en développement le même type d’algorithmes « qui répondent aux mêmes objectifs et qui vont globalement aller cibler les mêmes publics ».

      L’association prépare une réponse à la direction de la Cnaf et entend continuer son interpellation. Elle aimerait aussi que s’engage un débat public sur l’utilisation de ces logiciels et que ceux-ci soient corrigés et simplifiés pour éviter les indus et les injonctions à rembourser ces sommes perçues par erreur. « C’est un échec, juge encoreAlex, et cela participe à la maltraitance de toute une part de la population. »

      Alex explique aussi que cette technologie pourrait être mise au service d’un autre objectif : limiter le non-recours aux prestations sociales, avant que n’intervienne le versement des aides à la source, un chantier complexe promis pour 2024 ou 2025 par l’exécutif.
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