Organisés samedi par la présentatrice de CNews, les « États généraux du journalisme » ont été l’occasion pour la presse conservatrice de méditer autour de la question suivante : comment rendre les médias et les journalistes davantage de droite ?
Yunnes Abzouz
lorsAlors que les États généraux de l’information (EGI), fruit de la volonté élyséenne de restaurer la liberté, l’indépendance et la fiabilité du journalisme, ne suscitent guère d’entrain dans la profession, Christine Kelly lançait le soir du 11 novembre sa propre initiative. La présentatrice de l’émission « Face à l’info » qui servit à Éric Zemmour de marchepied à l’élection présidentielle, a réuni autour d’elle des personnalités des médias, parmi lesquels des visages familiers des spectateurs de CNews. Vaste programme que celui de cette soirée, organisée pour répondre à une question : « Qu’est devenu le journalisme aujourd’hui ? »
En quête de légitimité, ces états généraux du journalisme empruntent leur nom à l’initiative présidentielle, avec laquelle ils entretiennent une volontaire confusion. « C’est dans le cadre des États généraux de l’information que j’organise cette soirée », déclarait la maîtresse de cérémonie, dans un clip promotionnel diffusé sur X (anciennement Twitter). Au point d’obliger Christophe Deloire, délégué général des EGI, à répliquer sur X : « L’événement organisé par Christine Kelly n’a pas de lien direct avec les États généraux de l’information, même si son titre y fait clairement référence », a-t-il rappelé.
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Organisée au cinquième et dernier étage de la salle Gaveau, qui fera remonter chez les nostalgiques de l’UMP le souvenir de la victoire présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, la réunion s’inscrit dans un triptyque composé de deux autres conférences animées par Christine Kelly, sur les thèmes de la « liberté de penser, de croire et d’aimer ».
Sur place, fort peu de diversité des intervenants. La présence de Christophe Barbier sert de caution pluraliste aux débats, et lui-même est surpris d’être raillé par une partie de l’audience comme s’il était un journaliste de gauche. La première table ronde a vu Bernard de La Villardière, présentateur d’« Enquête exclusive » sur M6 et éditorialiste sur CNews, tenter d’esquisser des pistes pour « assurer l’indépendance économique des médias » avec Geoffroy Lejeune.
Curieuse démarche que de s’inquiéter de l’indépendance de l’information et de ceux qui la font en présence de l’un de ses principaux adversaires récents : il y a quelques mois à peine, Geoffrey Lejeune prenait autoritairement la tête du Journal du Dimanche contre l’avis de la quasi-intégralité des journalistes de la rédaction, qui redoutaient l’alignement éditorial de l’hebdomadaire sur les positions très droitières des médias Bolloré. Faute d’avoir obtenu les garanties d’indépendance demandées, l’immense majorité de la rédaction est depuis partie.
Comble de l’ironie, Lejeune a, au cours de la discussion, mis en garde contre « les milliardaires qui soutiennent ou détiennent des médias comme un moyen d’acheter une influence », semblant oublier que c’est bien l’un d’eux qui l’a mené à la tête du JDD. « C’est rare les milliardaires qui investissent dans la presse sans se préoccuper de ce qui va être dit dans leur journal », a-t-il osé.
Lejeune érige Mediapart en modèle d’indépendance
Tout à sa volonté de réécrire l’histoire, l’ancien chef de Valeurs actuelles en a profité pour éclaircir de son point de vue les conditions de sa prise de fonctions au JDD. Il a d’abord expliqué avoir rencontré « la fameuse rédaction pas respectée dans son indépendance », dont une petite dizaine de membres étaient présents, pendant que les autres faisaient grève en bas du journal.
Il a assuré que celles et ceux qui ont accepté de l’entendre « travaillent avec [lui] depuis trois mois et [que] ça se passe très bien ». À l’entendre, son passage en force n’a en rien menacé l’indépendance des journalistes, qui « avaient simplement une orientation politique qui n’était pas à leurs yeux compatible avec la [s]ienne ». Un passage chaleureusement applaudi par les quelques centaines de spectateurs, entièrement acquis à sa cause et celle de ses compères de CNews.
Puisque l’indépendance des rédactions était moins le sujet que celui de l’indépendance économique des médias, présentés comme des sujets distincts, Lejeune a surpris son monde en confiant son admiration pour Edwy Plenel, cofondateur et président de Mediapart depuis sa création, en 2008. « Il a trouvé un moyen de faire financer par son lectorat son média. Il y a un seul média réellement indépendant, c’est Mediapart », a-t-il estimé, ne pouvant s’empêcher de conclure sa prise de parole en précisant qu’il était du reste « en désaccord sur tout » avec notre site.
« Il y en a d’autres », a fait remarquer Christine Kelly : « Il y a aussi Factuel », a-t-elle rappelé, manifestement agacée que Lejeune oublie de citer le site d’information confidentiel dont elle est la marraine, financé par le producteur Stéphane Simon et le banquier Sami Biasoni. On a sans doute vu mieux en matière d’indépendance qu’un média financé par deux hommes d’affaires.
Christophe Barbier a, à son tour, tenté de tirer la couverture à lui, et en particulier à Franc-Tireur, média qu’il a cofondé avec Caroline Fourest notamment. Estimant que « la grande majorité des actionnaires en France respectent l’indépendance des rédactions », il a ensuite expliqué qu’il a bénéficié des ressources du milliardaire tchèque Daniel Křetínský pour lancer son hebdomadaire, sans apparemment savoir qui il est : « Je ne l’ai jamais eu au téléphone, je ne l’ai jamais vu ni rencontré, on ne peut pas faire plus indépendant que cet actionnaire-là. »
Il a conclu le débat par un tacle à Mediapart, dont l’indépendance aurait un prix, celui de frauder le fisc : « Une partie de cette bataille économique, Edwy Plenel l’a gagnée dans les premières années en refusant de payer la TVA, dit-il. Il s’est mis en fraude. Puis, vient l’affaire Cahuzac, il a ensuite réussi à faire passer à l’Assemblée un amendement qui lui a permis de ne plus payer la TVA, parce que tout le monde avait peur que Mediapart se mêle des affaires des politiques. » [Pour rétablir les faits sur le dossier du paiement de la TVA par Mediapart , lire ce billet d’Edwy Plenel qui résume notre combat — ndlr]
Le service public responsable des maux du journalisme
Les deux débats qui ont suivi portaient sur les reproches adressés au journalisme et sur « le journalisme de demain ». On en retiendra surtout les interventions, courtes mais remarquées, de Mathieu Bock-Côté, le polémiste québécois remplaçant d’Eric Zemmour sur CNews, grand pourvoyeur de paniques morales pour la droite dure.
Il a électrisé le public avec ses saillies contre les médias publics, tempêtant contre leur récit médiatique jugé trop à gauche. « “En toute subjectivité” : c’est le deuxième nom du service public », a-t-il lancé devant une audience à la fois hilare et admirative, ou encore : « Quand je lis les grands journaux et m’intéresse au service public, j’ai l’impression de lire les journaux comme un citoyen soviétique lisait la Pravda en 1985. »
En guise de conclusion, Christophe Barbier a offert au public une lueur d’espoir : « C’est un moment historique que nous vivons. Cette pensée dite de gauche et validée par le système est à son moment crépusculaire. Après une domination née de Mai-68, il y a eu une réaction de la société qu’on voit aujourd’hui se développer. Le tout, mettait-il en garde, c’est que ça ne tourne pas à l’affrontement, et je crois qu’on en a donné un exemple ce soir. »
Samedi soir, il a surtout été question de fournir la démonstration d’un entre-soi réactionnaire en ordre de bataille, convaincu d’être minoritaire mais d’avoir raison.
Yunnes Abzouz
lorsAlors que les États généraux de l’information (EGI), fruit de la volonté élyséenne de restaurer la liberté, l’indépendance et la fiabilité du journalisme, ne suscitent guère d’entrain dans la profession, Christine Kelly lançait le soir du 11 novembre sa propre initiative. La présentatrice de l’émission « Face à l’info » qui servit à Éric Zemmour de marchepied à l’élection présidentielle, a réuni autour d’elle des personnalités des médias, parmi lesquels des visages familiers des spectateurs de CNews. Vaste programme que celui de cette soirée, organisée pour répondre à une question : « Qu’est devenu le journalisme aujourd’hui ? »
En quête de légitimité, ces états généraux du journalisme empruntent leur nom à l’initiative présidentielle, avec laquelle ils entretiennent une volontaire confusion. « C’est dans le cadre des États généraux de l’information que j’organise cette soirée », déclarait la maîtresse de cérémonie, dans un clip promotionnel diffusé sur X (anciennement Twitter). Au point d’obliger Christophe Deloire, délégué général des EGI, à répliquer sur X : « L’événement organisé par Christine Kelly n’a pas de lien direct avec les États généraux de l’information, même si son titre y fait clairement référence », a-t-il rappelé.

Organisée au cinquième et dernier étage de la salle Gaveau, qui fera remonter chez les nostalgiques de l’UMP le souvenir de la victoire présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, la réunion s’inscrit dans un triptyque composé de deux autres conférences animées par Christine Kelly, sur les thèmes de la « liberté de penser, de croire et d’aimer ».
Sur place, fort peu de diversité des intervenants. La présence de Christophe Barbier sert de caution pluraliste aux débats, et lui-même est surpris d’être raillé par une partie de l’audience comme s’il était un journaliste de gauche. La première table ronde a vu Bernard de La Villardière, présentateur d’« Enquête exclusive » sur M6 et éditorialiste sur CNews, tenter d’esquisser des pistes pour « assurer l’indépendance économique des médias » avec Geoffroy Lejeune.
Curieuse démarche que de s’inquiéter de l’indépendance de l’information et de ceux qui la font en présence de l’un de ses principaux adversaires récents : il y a quelques mois à peine, Geoffrey Lejeune prenait autoritairement la tête du Journal du Dimanche contre l’avis de la quasi-intégralité des journalistes de la rédaction, qui redoutaient l’alignement éditorial de l’hebdomadaire sur les positions très droitières des médias Bolloré. Faute d’avoir obtenu les garanties d’indépendance demandées, l’immense majorité de la rédaction est depuis partie.
Comble de l’ironie, Lejeune a, au cours de la discussion, mis en garde contre « les milliardaires qui soutiennent ou détiennent des médias comme un moyen d’acheter une influence », semblant oublier que c’est bien l’un d’eux qui l’a mené à la tête du JDD. « C’est rare les milliardaires qui investissent dans la presse sans se préoccuper de ce qui va être dit dans leur journal », a-t-il osé.
Lejeune érige Mediapart en modèle d’indépendance
Tout à sa volonté de réécrire l’histoire, l’ancien chef de Valeurs actuelles en a profité pour éclaircir de son point de vue les conditions de sa prise de fonctions au JDD. Il a d’abord expliqué avoir rencontré « la fameuse rédaction pas respectée dans son indépendance », dont une petite dizaine de membres étaient présents, pendant que les autres faisaient grève en bas du journal.
Il a assuré que celles et ceux qui ont accepté de l’entendre « travaillent avec [lui] depuis trois mois et [que] ça se passe très bien ». À l’entendre, son passage en force n’a en rien menacé l’indépendance des journalistes, qui « avaient simplement une orientation politique qui n’était pas à leurs yeux compatible avec la [s]ienne ». Un passage chaleureusement applaudi par les quelques centaines de spectateurs, entièrement acquis à sa cause et celle de ses compères de CNews.
Puisque l’indépendance des rédactions était moins le sujet que celui de l’indépendance économique des médias, présentés comme des sujets distincts, Lejeune a surpris son monde en confiant son admiration pour Edwy Plenel, cofondateur et président de Mediapart depuis sa création, en 2008. « Il a trouvé un moyen de faire financer par son lectorat son média. Il y a un seul média réellement indépendant, c’est Mediapart », a-t-il estimé, ne pouvant s’empêcher de conclure sa prise de parole en précisant qu’il était du reste « en désaccord sur tout » avec notre site.
« Il y en a d’autres », a fait remarquer Christine Kelly : « Il y a aussi Factuel », a-t-elle rappelé, manifestement agacée que Lejeune oublie de citer le site d’information confidentiel dont elle est la marraine, financé par le producteur Stéphane Simon et le banquier Sami Biasoni. On a sans doute vu mieux en matière d’indépendance qu’un média financé par deux hommes d’affaires.
Christophe Barbier a, à son tour, tenté de tirer la couverture à lui, et en particulier à Franc-Tireur, média qu’il a cofondé avec Caroline Fourest notamment. Estimant que « la grande majorité des actionnaires en France respectent l’indépendance des rédactions », il a ensuite expliqué qu’il a bénéficié des ressources du milliardaire tchèque Daniel Křetínský pour lancer son hebdomadaire, sans apparemment savoir qui il est : « Je ne l’ai jamais eu au téléphone, je ne l’ai jamais vu ni rencontré, on ne peut pas faire plus indépendant que cet actionnaire-là. »
Il a conclu le débat par un tacle à Mediapart, dont l’indépendance aurait un prix, celui de frauder le fisc : « Une partie de cette bataille économique, Edwy Plenel l’a gagnée dans les premières années en refusant de payer la TVA, dit-il. Il s’est mis en fraude. Puis, vient l’affaire Cahuzac, il a ensuite réussi à faire passer à l’Assemblée un amendement qui lui a permis de ne plus payer la TVA, parce que tout le monde avait peur que Mediapart se mêle des affaires des politiques. » [Pour rétablir les faits sur le dossier du paiement de la TVA par Mediapart , lire ce billet d’Edwy Plenel qui résume notre combat — ndlr]
Le service public responsable des maux du journalisme
Les deux débats qui ont suivi portaient sur les reproches adressés au journalisme et sur « le journalisme de demain ». On en retiendra surtout les interventions, courtes mais remarquées, de Mathieu Bock-Côté, le polémiste québécois remplaçant d’Eric Zemmour sur CNews, grand pourvoyeur de paniques morales pour la droite dure.
Il a électrisé le public avec ses saillies contre les médias publics, tempêtant contre leur récit médiatique jugé trop à gauche. « “En toute subjectivité” : c’est le deuxième nom du service public », a-t-il lancé devant une audience à la fois hilare et admirative, ou encore : « Quand je lis les grands journaux et m’intéresse au service public, j’ai l’impression de lire les journaux comme un citoyen soviétique lisait la Pravda en 1985. »
En guise de conclusion, Christophe Barbier a offert au public une lueur d’espoir : « C’est un moment historique que nous vivons. Cette pensée dite de gauche et validée par le système est à son moment crépusculaire. Après une domination née de Mai-68, il y a eu une réaction de la société qu’on voit aujourd’hui se développer. Le tout, mettait-il en garde, c’est que ça ne tourne pas à l’affrontement, et je crois qu’on en a donné un exemple ce soir. »
Samedi soir, il a surtout été question de fournir la démonstration d’un entre-soi réactionnaire en ordre de bataille, convaincu d’être minoritaire mais d’avoir raison.