TRIBUNE - La Convention de Schengen a été conclue à une époque où les questions d’immigration, de trafic de drogue et de djihadisme ne se posaient pas. Il faut désormais réserver la liberté de circulation aux seuls Européens, argumentent Xavier Driencourt, Noëlle Lenoir et Jean-Éric Schoettl.
Xavier Driencourt est diplomate et ancien ambassadeur de France en Algérie. Noëlle Lenoir est ancienne ministre des Affaires européennes et membre du Conseil constitutionnel. Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
Un Marocain ayant résidé en Belgique et en Espagne tente de commettre un attentat dans le train Thalys en 2015 ; un Syrien ayant séjourné dans divers pays européens attaque des enfants au couteau, à Annecy, en juin dernier ; ce mois-ci, un Tunisien débarqué à Lampedusa il y a quelques années et ayant voyagé en Suède, en Norvège et en Italie tue des ressortissants suédois en Belgique. Ces drames et tant d’autres révèlent crûment les failles, pour notre sécurité collective, du système mis au point à Schengen dans les années 1980.
La Convention de Schengen a été conçue, pensée et écrite à une époque où la liberté de circulation des hommes, s’ajoutant à celle des marchandises, des services et des capitaux, était vue comme le couronnement, voire le dépassement, du grand marché européen. Pour un Européen, passer sans contrôle les frontières procurait un sentiment de liberté et d’appartenance à l’Union. Pour un touriste américain ou chinois, faire le tour de l’Europe en huit jours sans contrôle aux frontières, avec un seul visa Schengen obtenu dans un des consulats européens de Washington, Chicago ou Pékin, était un progrès extraordinaire. C’était en 1985. L’abolition des frontières entre pays membres de l’Union consacrait à la fois l’existence d’un vaste espace économique coopératif et la réalisation d’un rêve de paix et d’ouverture.
Repenser Schengen
Initialement formé par cinq États, ce qu’on appelle « l’espace Schengen » en comporte aujourd’hui 26, dont deux pays non-membres de l’Union européenne : la Suisse et l’Islande. Intégré au droit de l’Union par les traités d’Amsterdam (1997) et de Lisbonne (2007), l’espace Schengen permet aux Européens de se déplacer librement. Un Français peut voyager sans visa ni passeport pour aller en Espagne ou en Estonie. Les passages douaniers lui sont facilités dans les aéroports européens. Mais Schengen permet aussi aux ressortissants des pays tiers, on l’oublie trop souvent, de circuler librement dans cet espace, une fois qu’ils y sont entrés. Un Égyptien ou un Saoudien n’a plus à obtenir un visa français ou espagnol, pour se rendre en France ou en Espagne. Il lui suffit d’obtenir un visa Schengen dans un consulat français ou espagnol de son pays. C’est un avantage considérable.
La Convention de Schengen a été conclue à une époque où les questions d’immigration, d’asile, de criminalité internationale, de trafic de drogue et de djihadisme ne se posaient pas, du moins pas avec l’intensité qu’elles connaissent aujourd’hui. Depuis 2015 et la première crise migratoire, les vagues de réfugiés déferlent sur l’Europe, au point qu’on peut légitimement se demander si le dispositif imaginé en 1985 n’est pas devenu globalement néfaste aux intérêts et même aux idéaux de l’Union.
Pourquoi ne pas renégocier des règles ayant quarante ans d’âge et limiter la libre circulation aux seuls ressortissants des pays de l’espace Schengen ? Ainsi, pour reprendre notre exemple, un Français continuerait à se rendre librement, sans passeport ni visa, en Espagne ou en Estonie, comme il le fait aujourd’hui. Un Estonien ou un Espagnol pourrait encore, de la même manière, se rendre dans notre pays, en Italie ou en Allemagne. Rien ne serait altéré des acquis de Schengen pour les citoyens de l’Union.
Est-il normal qu'un étranger non ressortissant de l'espace Schengen puisse passer sans contrôle d'un pays européen à l'autre, parce qu'il est entré une fois dans l'espace Schengen?
Un dispositif du monde d’avant
Les Français seraient-ils choqués que l’on restreigne la liberté de circulation des ressortissants des pays tiers ? Les gouvernements des autres pays de l’espace Schengen, en tout cas ceux qui sont confrontés aux problèmes migratoires, seraient-ils fâchés de voir qu’un Pakistanais ou un Nigérien ne puisse circuler librement entre les 26 États qui composent l’espace Schengen ? Les opinions publiques déploreraient-elles qu’on interdise aux demandeurs d’asile de faire un « tour d’Europe » pour déterminer quel pays leur offre les meilleures conditions de résidence ? Approuvent-elles que les personnes débarquées le mois dernier à Lampedusa déambulent sans entrave dans les pays membres de l’Union et que ceux qui arriveront demain ou après-demain en Italie, en Grèce ou aux Canaries se promènent partout en Europe ?
Les tragiques circonstances actuelles sont un révélateur de l'inadaptation du système Schengen, tel que conçu il y a quarante ans
Les pays de la frontière extérieure Sud (Espagne, Grèce, Italie), les pays du nord de l’Europe, les pays d’Europe de l’Est, sans doute aussi l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche, ne seraient pas mécontents de la limitation aux citoyens de l’Union de la liberté de circulation dans l’espace Schengen. Même la rematérialisation des frontières intérieures (qu’implique le système proposé) serait perçue par les Européens, dans l’état présent du monde, comme plus rassurante que gênante. Seuls la Commission, certains groupes politiques du Parlement européen et les ONG dénonceraient un « retour en arrière ».
Alors que de nouvelles vagues migratoires se préparent, provenant de régions dont les usages et les croyances sont si éloignés des nôtres et souvent opposés aux nôtres, alors que nos capacités d’intégration sont saturées, est-il raisonnable de maintenir un dispositif qui n’avait de sens que dans un monde d’avant ? Les tragiques circonstances actuelles sont un révélateur de l’inadaptation du système Schengen, tel que conçu il y a quarante ans. La France, en lien avec d’autres États membres de l’Union, devrait provoquer sa renégociation. Maintenir la liberté de circulation pour les seuls Européens, c’est consolider le droit européen. Schengen vaut bien un nouveau traité.