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Les dernières annonces de Gérald Darmanin au lendemain de l’attentat d’Arras, visant à compliquer le séjour des étrangers considérés comme « dangereux », inquiètent de nombreuses personnes détentrices d’un titre de séjour, pourtant « sans problème ». Plusieurs d’entre elles racontent ce climat anxiogène.
Nejma Brahim
« Ça va mal se finir pour nous… », souffle Majid*, 26ans. Au bout du fil, l’étudiant tente tant bien que mal de se concentrer sur les examens qu’il s’apprête à passer à l’université d’Artois, dans le nord de la France. Depuis l’attentat ayant touché un lycée situé à Arras, à seulement trente kilomètres de chez lui, le jeune homme a vu son établissement se transformer en bunker.
Quatre agents de sécurité font désormais le guet devant l’entrée de la fac ; l’accès aux logements du Crous est strictement réservé aux locataires en possession de leur carte de résident·e. Depuis, Majid se nourrit de ce qu’il entend çà et là. La violence des mots, prononcés par des membres du gouvernement comme Gérald Darmanin à l’endroit des étrangers et étrangères, l’angoisse.
« Ça m’inquiète pour mon avenir en France. J’ai peur de parler de l’attentat ou du conflit israélo-palestinien à la fac. J’ai peur de parler en arabe dans la rue, peur d’avoir l’air étranger. J’ai vu qu’ils avaient fait venir la police pour une dame qui avait simplement dit “salam aleikoum”. » Sa famille, basée en Algérie, lui a demandé de se faire discret et d’éviter certains sujets de conversation en public.
Agrandir l’image : Illustration 1Des hommes dans un hangar transformé en squat abritant plus de 200 personnes, principalement des Maliens, à Montreuil, le 24 février 2021. © Photo
Christophe Archambault
Pourtant, Majid estime n’avoir rien à se reprocher : il n’est ni fiché S ni radicalisé. « Je suis musulman mais je ne prie pas », précise-t-il. Il ressent un sentiment de haine exacerbé envers les Arabes et les musulmans en France. « Peu importe ce qu’on dit ou fait, on va nous faire passer pour des radicaux. Comme si on était tous susceptibles de poser une bombe quelque part un jour. »
Le dernier exemple qui lui vient en tête est celui du footballeur Karim Benzema, pour lequel la sénatrice Les Républicains Valérie Boyer a demandé la déchéance de nationalité pour ses prétendus liens avec les Frères musulmans, en réaction aux propos tenus par le ministre de l’intérieur sur le plateau de CNews lundi 23 octobre. « C’est de la folie », lâche Majid, en référence au climat actuel.
Durcir le projet de loi à venir
Ce soir-là, Gérald Darmanin en profite pour annoncer de « nouvelles » mesures sur l’immigration, visant notamment à prolonger le délai de placement des personnes fichées S en rétention à dix-huitmois, mais aussi à pouvoir retirer le titre de séjour d’un étranger ou d’une étrangère qui n’aurait pas respecté les principes de la République – une mesure en réalité recyclée du projet de loi « séparatisme » et censurée par le Conseil constitutionnel en 2021.
À l’issue d’un conseil des ministres mercredi18octobre, Olivier Véran a réaffirmé le souhait de pouvoir élargir les critères de retrait d’un titre de séjour pour ce motif, citant l’exemple du port ostensible de signes ou de tenues religieuses en milieu scolaire. Mais le flou entretenu autour de la notion de « principes de la République » inquiète le plus grand nombre. À première vue, Ania* dit ne pas se sentir visée par ces mesures annoncées au lendemain de deux attentats meurtriers, à Arras et à Bruxelles. Elle est auto-entrepreneuse dans la restauration, respecte les lois de la République et ne fait pas de vagues. « Je suis en France depuis onze ans et je suis réglo. Mais j’ai peur qu’ils mettent tout le monde dans le même panier et que les bons finissent par payer pour les mauvais. »
Comment savoir si tel ou tel comportement « non conforme à nos valeurs », comme l’a précisé Véran, est vraiment lié à une pratique religieuse et comment éviter les risques d’abus, comme des signalements erronés ou malintentionnés ? « Moi, par exemple, je préfère consulter une femme gynécologue, par pudeur. On devrait avoir le choix sans avoir peur qu’on nous retire notre titre de séjour », explique Ania.
Une stratégie politique…
Lors de son allocution, Olivier Véran a également cité l’exemple de personnes refusant d’être « reçuesou entendues par un agent de sexe opposé pour des motifs religieux » et proposé de sortir du tout-pénal pour pouvoir retirer un titre – la loi permettant déjà de pouvoir retirer un titre en cas de trouble à l’ordre public.
Pour Marie Moncada, postdoctorante au Centre d’études européennes de Sciences Po et spécialiste du traitement médiatique et politique de l’immigration en France, les déclarations de Gérald Darmanin servent avant tout à « faire la danse du ventre » devant le parti Les Républicains pour faire passer son projet de loi sur l’immigration, tout en se lançant dans la campagne présidentielle. « Il y a une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre pour lui pour durcir le ton. Mais les dispositions restent trop floues, son objectif est d’abord d’envoyer un message à la droite. »
La laïcité devient culturelle et non plus politique, analyse-t-elle. Il s’agit d’« assainir » la société française sur le plan culturel. « Ces annonces s’inscrivent dans un contexte de chasse aux musulmans. On leur dit qu’ils ne sont pas les bienvenus en France et que s’ils souhaitent rester, ils doivent se conformer aux pseudo-“valeurs” du pays, qui restent une pure construction subjective. »
Qu’Olivier Véran reprenne ces mesures à l’issue du conseil des ministres démontre, selon elle, qu’il y a un « consensus » au sommet de l’État. « On continue d’ancrer dans l’esprit des Français que les hommes musulmans et étrangers sont dans l’incapacité de s’insérer et on entretient l’amalgame entre immigration et islam, et entre musulmans et terrorisme », poursuit celle qui base ses travaux de recherche sur ces questions.
Et de rappeler que beaucoup de personnes sont aujourd’hui fichées S sans vraiment savoir ce qui leur est reproché. « Il y a une boîte noire sur les critères de fichage, et donc un manque de clarté. Prolonger la rétention à dix-huit mois pour tous les fichés S est dangereux, parce que les intéressés ne seront pas forcément en mesure de défendre leur cas. »
… aux effets dévastateurs
« Je crois que tout le monde a peur en ce moment », confie Lina*, une Tunisienne habitant la région parisienne. Se présentant comme travailleuse qualifiée, elle raconte être venue en France dans l’espoir de s’y établir et c’est ici qu’elle continue de se construire, depuis près de trois ans. « Je pensais partir pour LE pays des droits de l’homme, où la liberté d’expression me serait garantie, peu importe mes origines. En définitive, je suis extrêmement prudente parce que, comme on peut le voir aujourd’hui, ça peut vite dégénérer. »
Lina vit dans la peur qu’on lui retire son titre de séjour et de laisser derrière elle des années de vie, un travail, des amis, de la famille. Depuis plusieurs jours, la jeune femme dit aussi affronter les regards de certains dans la rue parce qu’elle a « les cheveux noirs et le teint mat »… « Je mentirais si je disais qu’on ne m’avait pas regardée de travers. »
Nadia* pointe elle aussi un discours politique « très insécurisant ». Cette Tunisienne est urgentiste à l’hôpital et dit faire plus de 40heures par semaine lorsque l’équipe manque d’effectifs. Son titre de séjour expire fin décembre et elle dit se sentir « sous pression ». « Déjà qu’en temps normal, c’est galère de le renouveler. Alors quand on entend Darmanin menacer de retirer des titres de séjour même à des personnes présentes depuis plusieurs années en France… C’est stressant. »
Depuis l’attentat de Bruxelles, perpétré par un Tunisien sans papiers, la trentenaire se sent obligée de se faire discrète. Elle n’ose plus s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien. « J’ai peur de donner mon opinion dans mon cercle et que quelqu’un transmette ça à la préfecture. C’est peut-être incohérent, mais c’est ce que je ressens. »
Un climat de peur anti-immigrés et anti-musulmans sans doute aussi exacerbé, poursuit Marie Moncada, par les déclarations de plus en plus violentes et les menaces physiques assumées de l’extrême droite. Le discours du ministre de l’intérieur vient ainsi justifier la haine à l’égard des immigrés et des musulmans, et donc, indirectement, de potentiels actes violents contre ces populations.
« Le danger de sa stratégie carriériste, il est là. À quel point peut-on utiliser la haine pour arriver à ses fins législatives ? », interroge la postdoctorante. « Darmanin est un danger pour la société. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins », estime Majid, l’étudiant algérien. Mais cela ne produit « que de la peur et de la haine ». « J’aime la France, ce pays qui m’a accueilli et permis d’obtenir un diplôme. » Mais la séquence politique actuelle le laisse dans l’incompréhension la plus totale.
Nejma Brahim
« Ça va mal se finir pour nous… », souffle Majid*, 26ans. Au bout du fil, l’étudiant tente tant bien que mal de se concentrer sur les examens qu’il s’apprête à passer à l’université d’Artois, dans le nord de la France. Depuis l’attentat ayant touché un lycée situé à Arras, à seulement trente kilomètres de chez lui, le jeune homme a vu son établissement se transformer en bunker.
Quatre agents de sécurité font désormais le guet devant l’entrée de la fac ; l’accès aux logements du Crous est strictement réservé aux locataires en possession de leur carte de résident·e. Depuis, Majid se nourrit de ce qu’il entend çà et là. La violence des mots, prononcés par des membres du gouvernement comme Gérald Darmanin à l’endroit des étrangers et étrangères, l’angoisse.
« Ça m’inquiète pour mon avenir en France. J’ai peur de parler de l’attentat ou du conflit israélo-palestinien à la fac. J’ai peur de parler en arabe dans la rue, peur d’avoir l’air étranger. J’ai vu qu’ils avaient fait venir la police pour une dame qui avait simplement dit “salam aleikoum”. » Sa famille, basée en Algérie, lui a demandé de se faire discret et d’éviter certains sujets de conversation en public.
Agrandir l’image : Illustration 1Des hommes dans un hangar transformé en squat abritant plus de 200 personnes, principalement des Maliens, à Montreuil, le 24 février 2021. © PhotoChristophe Archambault
Pourtant, Majid estime n’avoir rien à se reprocher : il n’est ni fiché S ni radicalisé. « Je suis musulman mais je ne prie pas », précise-t-il. Il ressent un sentiment de haine exacerbé envers les Arabes et les musulmans en France. « Peu importe ce qu’on dit ou fait, on va nous faire passer pour des radicaux. Comme si on était tous susceptibles de poser une bombe quelque part un jour. »
Le dernier exemple qui lui vient en tête est celui du footballeur Karim Benzema, pour lequel la sénatrice Les Républicains Valérie Boyer a demandé la déchéance de nationalité pour ses prétendus liens avec les Frères musulmans, en réaction aux propos tenus par le ministre de l’intérieur sur le plateau de CNews lundi 23 octobre. « C’est de la folie », lâche Majid, en référence au climat actuel.
Durcir le projet de loi à venir
Ce soir-là, Gérald Darmanin en profite pour annoncer de « nouvelles » mesures sur l’immigration, visant notamment à prolonger le délai de placement des personnes fichées S en rétention à dix-huitmois, mais aussi à pouvoir retirer le titre de séjour d’un étranger ou d’une étrangère qui n’aurait pas respecté les principes de la République – une mesure en réalité recyclée du projet de loi « séparatisme » et censurée par le Conseil constitutionnel en 2021.
À l’issue d’un conseil des ministres mercredi18octobre, Olivier Véran a réaffirmé le souhait de pouvoir élargir les critères de retrait d’un titre de séjour pour ce motif, citant l’exemple du port ostensible de signes ou de tenues religieuses en milieu scolaire. Mais le flou entretenu autour de la notion de « principes de la République » inquiète le plus grand nombre. À première vue, Ania* dit ne pas se sentir visée par ces mesures annoncées au lendemain de deux attentats meurtriers, à Arras et à Bruxelles. Elle est auto-entrepreneuse dans la restauration, respecte les lois de la République et ne fait pas de vagues. « Je suis en France depuis onze ans et je suis réglo. Mais j’ai peur qu’ils mettent tout le monde dans le même panier et que les bons finissent par payer pour les mauvais. »
Comment savoir si tel ou tel comportement « non conforme à nos valeurs », comme l’a précisé Véran, est vraiment lié à une pratique religieuse et comment éviter les risques d’abus, comme des signalements erronés ou malintentionnés ? « Moi, par exemple, je préfère consulter une femme gynécologue, par pudeur. On devrait avoir le choix sans avoir peur qu’on nous retire notre titre de séjour », explique Ania.
Une stratégie politique…
Lors de son allocution, Olivier Véran a également cité l’exemple de personnes refusant d’être « reçuesou entendues par un agent de sexe opposé pour des motifs religieux » et proposé de sortir du tout-pénal pour pouvoir retirer un titre – la loi permettant déjà de pouvoir retirer un titre en cas de trouble à l’ordre public.
Pour Marie Moncada, postdoctorante au Centre d’études européennes de Sciences Po et spécialiste du traitement médiatique et politique de l’immigration en France, les déclarations de Gérald Darmanin servent avant tout à « faire la danse du ventre » devant le parti Les Républicains pour faire passer son projet de loi sur l’immigration, tout en se lançant dans la campagne présidentielle. « Il y a une fenêtre d’opportunité qui s’ouvre pour lui pour durcir le ton. Mais les dispositions restent trop floues, son objectif est d’abord d’envoyer un message à la droite. »
La laïcité devient culturelle et non plus politique, analyse-t-elle. Il s’agit d’« assainir » la société française sur le plan culturel. « Ces annonces s’inscrivent dans un contexte de chasse aux musulmans. On leur dit qu’ils ne sont pas les bienvenus en France et que s’ils souhaitent rester, ils doivent se conformer aux pseudo-“valeurs” du pays, qui restent une pure construction subjective. »
Qu’Olivier Véran reprenne ces mesures à l’issue du conseil des ministres démontre, selon elle, qu’il y a un « consensus » au sommet de l’État. « On continue d’ancrer dans l’esprit des Français que les hommes musulmans et étrangers sont dans l’incapacité de s’insérer et on entretient l’amalgame entre immigration et islam, et entre musulmans et terrorisme », poursuit celle qui base ses travaux de recherche sur ces questions.
Et de rappeler que beaucoup de personnes sont aujourd’hui fichées S sans vraiment savoir ce qui leur est reproché. « Il y a une boîte noire sur les critères de fichage, et donc un manque de clarté. Prolonger la rétention à dix-huit mois pour tous les fichés S est dangereux, parce que les intéressés ne seront pas forcément en mesure de défendre leur cas. »
… aux effets dévastateurs
« Je crois que tout le monde a peur en ce moment », confie Lina*, une Tunisienne habitant la région parisienne. Se présentant comme travailleuse qualifiée, elle raconte être venue en France dans l’espoir de s’y établir et c’est ici qu’elle continue de se construire, depuis près de trois ans. « Je pensais partir pour LE pays des droits de l’homme, où la liberté d’expression me serait garantie, peu importe mes origines. En définitive, je suis extrêmement prudente parce que, comme on peut le voir aujourd’hui, ça peut vite dégénérer. »
Lina vit dans la peur qu’on lui retire son titre de séjour et de laisser derrière elle des années de vie, un travail, des amis, de la famille. Depuis plusieurs jours, la jeune femme dit aussi affronter les regards de certains dans la rue parce qu’elle a « les cheveux noirs et le teint mat »… « Je mentirais si je disais qu’on ne m’avait pas regardée de travers. »
Nadia* pointe elle aussi un discours politique « très insécurisant ». Cette Tunisienne est urgentiste à l’hôpital et dit faire plus de 40heures par semaine lorsque l’équipe manque d’effectifs. Son titre de séjour expire fin décembre et elle dit se sentir « sous pression ». « Déjà qu’en temps normal, c’est galère de le renouveler. Alors quand on entend Darmanin menacer de retirer des titres de séjour même à des personnes présentes depuis plusieurs années en France… C’est stressant. »
Depuis l’attentat de Bruxelles, perpétré par un Tunisien sans papiers, la trentenaire se sent obligée de se faire discrète. Elle n’ose plus s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien. « J’ai peur de donner mon opinion dans mon cercle et que quelqu’un transmette ça à la préfecture. C’est peut-être incohérent, mais c’est ce que je ressens. »
Un climat de peur anti-immigrés et anti-musulmans sans doute aussi exacerbé, poursuit Marie Moncada, par les déclarations de plus en plus violentes et les menaces physiques assumées de l’extrême droite. Le discours du ministre de l’intérieur vient ainsi justifier la haine à l’égard des immigrés et des musulmans, et donc, indirectement, de potentiels actes violents contre ces populations.
« Le danger de sa stratégie carriériste, il est là. À quel point peut-on utiliser la haine pour arriver à ses fins législatives ? », interroge la postdoctorante. « Darmanin est un danger pour la société. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins », estime Majid, l’étudiant algérien. Mais cela ne produit « que de la peur et de la haine ». « J’aime la France, ce pays qui m’a accueilli et permis d’obtenir un diplôme. » Mais la séquence politique actuelle le laisse dans l’incompréhension la plus totale.
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