Les tentes se sont rapidement dépliées, ouvertes, et posées à même le sol, face au Conseil d’État à Paris. Plusieurs centaines de jeunes exilés, ainsi que des bénévoles associatifs, se sont donné rendez-vous mardi 20 juin à 20 heures pour une énième action visant à obtenir des solutions d’hébergement, faute de réponse de l’État.
Depuis près de trois mois, environ 500 jeunes se déclarant mineurs – mais non reconnus comme tels – occupent une école désaffectée duXVIe arrondissement de Paris, avec l’aide de quatre associations (Utopia 56, Tara, Les Midis du Mie et la Timmy), pour « sortir de la rue » et avoir enfin un lieu où dormir en sécurité.
En vain. « Ça fait 77 jours qu’ils sont dans cette école, on a zéro réponse du gouvernement et de la préfecture malgré nos multiples relances », déplore Flore Judet, coordinatrice d’Utopia 56. Au total, vingt mails ont été adressés à la préfecture de région Île-de-France, seize à différents ministères (l’intérieur, le logement, l’enfance ou la cohésion sociale).

L’extrême droite (notamment des membres et sympathisants de Reconquête) a organisé plusieurs rassemblements devant l’école occupée pour dénoncer leur présence dans le quartier, évoquant un risque de viols et d’insécurité. « On a aussi été harcelés sur les réseaux sociaux. Ce silence de l’État met en danger les jeunes et les bénévoles. »
S’engouffrant dans sa tente sous les yeux ébahis des touristes présents ce jour-là près du Conseil d’État, Ibrahim, originaire de Guinée Conakry, se dit désespéré. « Aidez-nous, aidez-nous ! », hurle son ami et voisin, qui ne laisse que ses yeux apparaître derrière le tissu de la tente qui lui servira d’abri pour la nuit.
« Ça fait trois mois qu’on dort dehors. On a été reconnus mineurs à notre arrivée en Italie et ici, ils ne nous croient pas, déroule le jeune homme, qui dit avoir 16 ans. On souffre, on ne dort pas bien, on n’a pas de prise en charge, on ne peut pas aller à l’école. » Devant lui, sept avocates, vêtues de leur robe noire, se positionnent autour du camp éphémère et se tiennent par la main pour former une chaîne de solidarité.
« Et de justice, aussi », précise l’une d’elles. Toutes sont de l’antenne de mineurs et sont notamment confrontées à des demandes de protection pour des mineurs isolés. « On les accompagne, on formule des arguments juridiques et on les aide avec leurs papiers, parfois contestés par la police aux frontières », détaille Nathalie Aller, qui souligne que ces jeunes sont « présumés mineurs » et que comme le préconise le comité des droits de l’enfant de l’ONU, une mise à l’abri le temps de leur recours devrait leur être proposée. « D’autant que les délais peuvent être longs. Pour l’un des jeunes que j’ai accompagnés, ça a duré 18 mois. Il a finalement été placé en appel. »

« C’est des sauvages !, s’agace une retraitée en passant devant les tentes. Ici, c’est le Conseil d’État, c’est la France. On en a marre, ces gens sont des clandestins qui n’ont pas de papiers. Quand je vais à l’étranger, j’ai des papiers, je respecte les gens. Moi je ne me sens pas respectée ici. » Les remarques racistes ne tardent pas à fuser : « Ben ouais, mais ils avaient qu’à rester chez eux… », lâche un homme. « Les trois quarts d’entre eux viennent de la Villette, qu’est-ce que tu vas leur proposer ? », ose un autre.
Yann Manzi, le président d’Utopia 56, tente de trouver les mots. « Ils ne sont pas clandestins, explique-t-il à la retraitée. Ils ont le droit d’être ici, ils ont déposé un recours en justice. » Rien n’y fait.
66 personnes interpellées, deux autres placées en rétention
À l’écart, un groupe de cinq jeunes observe la scène de loin. Ils étaient dans la même situation que leurs camarades deux semaines plus tôt. Mais la décision pour leur recours est tombée, ils ont été reconnus mineurs. « Ce n’est pas normal qu’ils soient obligés de faire une action pour obtenir un hébergement », estime Mamadou, 16 ans. Lui dort enfin à l’abri, dans une chambre d’hôtel à Saint-Denis. C’est « mille fois mieux » que la rue et l’école désaffectée. « Là-bas, dix nouveaux jeunes arrivaient chaque jour, la tension commençait à monter. Trois mois sans réponse [des autorités], c’est trop. »
La mobilisation de l’extrême droite pour contester leur présence dans l’école vient encore accentuer les tensions et les peurs. Les bénévoles associatifs s’organisent pour assurer une présence 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Les jeunes en ont marre, ils ne tiennent plus, souligne Yann Manzi.
« Et nous non plus. C’est dramatique d’en arriver là, mais on le fait pour qu’ils nous parlent, qu’ils nous répondent. Que l’État fasse son boulot. » En décembre 2022, déjà, une action de « visibilisation » avait été organisée à cet endroit par Utopia 56 pour obtenir la mise à l’abri de jeunes étrangers isolés qui vivaient sous les ponts d’Ivry-sur-Seine.
En milieu de soirée, les forces de l’ordre ont délogé plusieurs jeunes, les contraignant à sortir de leur tente, comme le montrent des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Selon les associations présentes sur place, deux jeunes auraient fait un malaise et une trentaine de personnes – jeunes et bénévoles – auraient été interpellées. « La répression continue, de manière toujours plus violente », a tweeté Utopia 56 peu avant minuit, indiquant que la police faisait usage de gaz lacrymogène sur les occupants de la place du Palais-Royal.
Contactée par Mediapart, la préfecture de police de Paris indique que la place du Palais Royal a été évacuée parce qu’un groupe de plusieurs centaines de personnes avaient « illégalement occupé » les lieux et avaient installé quelque 200 tentes sur place. « Cette évacuation s’est effectuée avec un usage proportionné de la force. Le préfet de police y a personnellement veillé, malgré les jets de projectiles essuyés par des policiers. » Selon la préfecture, 66 personnes ont été interpellées, dont 52 mineurs et 14 majeurs. Sept d’entre eux ont été placés en garde à vue et deux autres en centre de rétention administrative.
Et de conclure : « Ceux qui ont conduit sur la place du Palais Royal ces personnes, qui occupaient précédemment l’école Erlanger (occupation pour laquelle le jugé judiciaire était saisi d’une demande d’expulsion par la Ville de Paris), portent une lourde de part de responsabilité. Le préfet de police avec le préfet de région travaillaient en effet à la mise à l’abri des personnes dans le cadre de l’évacuation du squat de la rue Erlanger. »
Nous republions ci-dessous un reportage vidéo diffusé par Mediapart le 20 mai 2023, qui donnait la parole à plusieurs jeunes occupants de l’école du XVIe arrondissement de Paris.
*
Depuis le 4 avril, les associations d’aide aux exilés Utopia 56, la Timmy, les Midis du MIE et Tara occupent une école désaffectée dans le XVIe arrondissement de Paris, pour héberger 450 jeunes qui tentent d’obtenir en justice le statut de « mineurs non accompagnés » et pour les « sortir de la rue ». Tout en imposant un rapport de forces avec les autorités qui, à leurs yeux, ne remplissent pas leur rôle.
Dès les premiers jours, explique Yann Manzi, président d’Utopia 56, l’extrême droite a pris le lieu pour cible, déchirant les banderoles des associations, collant des posters d’Éric Zemmour et envoyant des menaces par message privé sur les réseaux sociaux et par courrier. Mardi 16 mai, le groupuscule d’extrême droite Les Natifs (des anciens de Génération identitaire) ont organisé un rassemblement devant l’école, scandant « Rentrez chez vous ! » ou « Clandestins expulsion ». Reportage en vidéo au lendemain de cette manifestation.
Nejma Brahim
Commentaire