Les femmes semblent être de plus en plus nombreuses à porter le voile islamique en Algérie.
Tous ceux qui s'étaient imaginé que les centaines d'Iraniennes sorties sans voile, dans des manifestations anti-régime en automne 2022, allaient faire des émules ailleurs, en ont pris pour leur grade.
En dépit des coups de boutoir successifs qu'a essuyés la mouvance islamiste ces dernières années, le hijab (voile islamique), symbole, si l'en est, d'une société embrigadée, résiste et s'adapte. Dans certains pays comme l'Algérie, on assiste même à un rebond, sans que cela ne semble préoccuper aucunement les décideurs politiques.
En mars 2023, un collectif d'étudiantes d'une cité universitaire à Alger a organisé une cérémonie pour célébrer le passage de 150 filles au voile. L'image choque. On se croirait revenu au début des années 1990, quand la déferlante islamiste imposait des règles de conduite conformes à la charia dans les espaces publics. Comment expliquer ce regain d'engouement pour le voile?
Pour le sociologue et politologue Addi Lahouari, le port du voile ne doit pas être réduit à sa seule dimension religieuse. «C'est aussi, indique-t-il, un élément d'une dynamique socio-historique qui touche les pays musulmans où la tradition (à ne pas confondre avec la religion) n'autorise pas la femme à se montrer dans l'espace public.»
«La femme voilée, poursuitAddi Lahouari, veut être présente dans l'espace public dans le respect de la morale qui réprouve les rapports sexuels en dehors du mariage. En portant le voile, la jeune femme dit: je ne suis pas disponible pour une relation avec un homme si elle n'est pas conforme à la charia. Le voile est un morceau de tissu où se lit l'obsession de la société pour la thématique de la yajouz [interdiction religieuse, ndlr]. Il est aussi la réponse au regard du prédateur sexuel potentiel sur une proie sexuelle potentielle. Lorsque ce regard diminuera d'intensité, lorsque la société, et donc l'État, donneront suffisamment de garanties à la femme dans l'espace public, le voile refluera», avance le chercheur.
Les fashionistas de la mode islamique
Au-delà du motif invoqué, cette cérémonie était aussi une démonstration politique, symptomatique d'une nouvelle vague qui traverse la société algérienne depuis au moins dix ans. Déjà en 2008, un sondage sur la «connaissance des droits des femmes et des enfants», réalisé par le Centre d'information sur les droits de la femme et de l'enfant (CIDDEF), estimait le taux des Algériennes portant le hijab à 80%. Parmi les premières raisons expliquant leur choix: le fait qu'il leur permette de circuler plus librement, puis le mimétisme («tout le monde le porte»), l'obligation familiale, l'influence des médias, les arguments religieux.
Cette banalisation du port du voile a fini par en faire un objet de mode. D'habit conçu pour cacher la beauté de la femme (ou sa misère, c'est selon), le hijab se décline aujourd'hui sous toutes les coutures. Après la burqa et le voile intégral (interdits dans les institutions publiques en Algérie depuis 2018), la mode aujourd'hui est au voile dit «light» (simple foulard, souvent aux couleurs vives), qui permet à celles qui le portent de faire valoir leur féminité et de rester coquettes, tout en conservant, aux yeux de la société, un statut de femmes respectueuses du dogme islamique. D'où la naissance des «hijabistas», ces fashionistas de la mode islamique que l'on retrouve dans tous les pays musulmans.
Malgré ces tentatives de modernisation, le voile devient un obstacle pour un nombre croissant de jeunes filles en quête de travail. En effet, plusieurs secteurs d'activité en Algérie refusent toujours l'accès aux femmes voilées, notamment dans les organismes publics (télévision, police, armée, douanes, Air Algérie…), mais aussi dans certaines entreprises privées, locales ou étrangères, œuvrant dans le tourisme et l'importation. Une situation qui n'est pas du goût des conservateurs –et de certains défenseurs des droits humains– qui crient à la «ségrégation», car aucun texte de loi n'interdit le recrutement de femmes voilées en Algérie.
Comment le voile islamique est-il apparu en Algérie?
L'essor du voile islamique en Algérie remonte au milieu des années 1980. Dans le pays, les féministes reprochent au pouvoir d'avoir anticipé l'avènement du nouvel ordre conservateur, en ratifiant dès 1984 le fameux Code de la famille qui s'inspire de la charia et rétablit la répudiation.
L'apparition du voile militant –car il y avait aussi le voile traditionnel, dit «haïk»– commence dans les lycées et universités, précisément à partir de 1986, année du contre-choc pétrolier, avant de se généraliser dans les établissements scolaires, puis, peu à peu, dans toute la société.
Jusqu'à la fin des années 1980, les femmes en hijab sont loin d'être majoritaires. Une enquête, menée en 1989 par une sociologue, relève que sur 100 femmes, seules 25, soit le quart d'entre elles, se voilent. Interrogées sur les raisons pour lesquelles elles portent le voile, la plupart répondent:«Par habitude, nos ancêtres l'ont porté» (et l'autrice de souligner: «ce qui n'est pas entièrement vrai») ou«pour la décence». Plus de trente ans plus tard, on y est toujours.
1990. Le Front islamique du salut (FIS) décrète, après sa victoire aux élections municipales, l'obligation du port du voile conformément aux préceptes de l'islam et lance des campagnes d'inquisition contre les femmes non voilées. La même année, 10.000 femmes avaient manifesté à Alger pour réclamer le port du voile, en se référant au Coran.
Que dit le Coran sur le voile?
Il y a plusieurs versets plus ou moins explicites sur la question du port du voile, mais son caractère obligatoire divise toujours dans le milieu des exégètes musulmans. Le verset 59 de la sourate 33 dit: «Ô Prophète! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de serrer sur elles leurs voiles! Cela sera le plus simple moyen qu'elles soient reconnues et qu'elles ne soient point offensées. […]»
Un autre verset, celui portant le numéro 31 de la sourate 34, redit la chose d'une autre manière: «Dis aux croyantes […] de rabattre leurs voiles sur leurs gorges! […]» ou, plus littéralement, «de frapper le khimar [grand voile de tête qui couvre les yeux] sur l'échancrure pectorale».Tout cela est bien détaillé, mais il n'est jamais dit dans aucun passage du texte sacré que ces recommandations s'appliquent à toutes les femmes et pour tous les temps. Ce qui n'a pas empêché les tenants du rigorisme d'avoir le dessus sur la question.
Le nombre de femmes voilées va certainement encore augmenter sous l'effet de la terreur instaurée par les groupes islamistes armés, notamment dans les quartiers populaires. Des milliers de femmes ont été enlevées par les hommes de ces groupes de 1993 à 1997; 5.000 d'entre elles ont été violées. Il y a eu aussi des femmes sauvagement assassinées pour avoir refusé de porter le voile. Le cas de Katia Bengana, lycéenne de 17 ans, tuée en 1994 près d'Alger, demeure emblématique de cette barbarie.
Une région, la Kabylie, était relativement épargnée par cette islamisation forcenée de la société pendant des décennies. Le particularisme culturel, cultivé sciemment par des courants politiques laïcisants de cette région, a fait que le carcan conservateur y était moins ressenti que dans les autres endroits du pays. Mais, depuis le début de la décennie 2000, le phénomène du port du voile ne cesse de s'y développer, touchant des pans entiers de la société et se déclinant dans tous les styles en vogue –y compris celui, pittoresque et chatoyant, qui marie le foulard islamique à la robe kabyle.
Slate
Tous ceux qui s'étaient imaginé que les centaines d'Iraniennes sorties sans voile, dans des manifestations anti-régime en automne 2022, allaient faire des émules ailleurs, en ont pris pour leur grade.
En dépit des coups de boutoir successifs qu'a essuyés la mouvance islamiste ces dernières années, le hijab (voile islamique), symbole, si l'en est, d'une société embrigadée, résiste et s'adapte. Dans certains pays comme l'Algérie, on assiste même à un rebond, sans que cela ne semble préoccuper aucunement les décideurs politiques.
En mars 2023, un collectif d'étudiantes d'une cité universitaire à Alger a organisé une cérémonie pour célébrer le passage de 150 filles au voile. L'image choque. On se croirait revenu au début des années 1990, quand la déferlante islamiste imposait des règles de conduite conformes à la charia dans les espaces publics. Comment expliquer ce regain d'engouement pour le voile?
Pour le sociologue et politologue Addi Lahouari, le port du voile ne doit pas être réduit à sa seule dimension religieuse. «C'est aussi, indique-t-il, un élément d'une dynamique socio-historique qui touche les pays musulmans où la tradition (à ne pas confondre avec la religion) n'autorise pas la femme à se montrer dans l'espace public.»
«La femme voilée, poursuitAddi Lahouari, veut être présente dans l'espace public dans le respect de la morale qui réprouve les rapports sexuels en dehors du mariage. En portant le voile, la jeune femme dit: je ne suis pas disponible pour une relation avec un homme si elle n'est pas conforme à la charia. Le voile est un morceau de tissu où se lit l'obsession de la société pour la thématique de la yajouz [interdiction religieuse, ndlr]. Il est aussi la réponse au regard du prédateur sexuel potentiel sur une proie sexuelle potentielle. Lorsque ce regard diminuera d'intensité, lorsque la société, et donc l'État, donneront suffisamment de garanties à la femme dans l'espace public, le voile refluera», avance le chercheur.
Les fashionistas de la mode islamique
Au-delà du motif invoqué, cette cérémonie était aussi une démonstration politique, symptomatique d'une nouvelle vague qui traverse la société algérienne depuis au moins dix ans. Déjà en 2008, un sondage sur la «connaissance des droits des femmes et des enfants», réalisé par le Centre d'information sur les droits de la femme et de l'enfant (CIDDEF), estimait le taux des Algériennes portant le hijab à 80%. Parmi les premières raisons expliquant leur choix: le fait qu'il leur permette de circuler plus librement, puis le mimétisme («tout le monde le porte»), l'obligation familiale, l'influence des médias, les arguments religieux.
Cette banalisation du port du voile a fini par en faire un objet de mode. D'habit conçu pour cacher la beauté de la femme (ou sa misère, c'est selon), le hijab se décline aujourd'hui sous toutes les coutures. Après la burqa et le voile intégral (interdits dans les institutions publiques en Algérie depuis 2018), la mode aujourd'hui est au voile dit «light» (simple foulard, souvent aux couleurs vives), qui permet à celles qui le portent de faire valoir leur féminité et de rester coquettes, tout en conservant, aux yeux de la société, un statut de femmes respectueuses du dogme islamique. D'où la naissance des «hijabistas», ces fashionistas de la mode islamique que l'on retrouve dans tous les pays musulmans.
Malgré ces tentatives de modernisation, le voile devient un obstacle pour un nombre croissant de jeunes filles en quête de travail. En effet, plusieurs secteurs d'activité en Algérie refusent toujours l'accès aux femmes voilées, notamment dans les organismes publics (télévision, police, armée, douanes, Air Algérie…), mais aussi dans certaines entreprises privées, locales ou étrangères, œuvrant dans le tourisme et l'importation. Une situation qui n'est pas du goût des conservateurs –et de certains défenseurs des droits humains– qui crient à la «ségrégation», car aucun texte de loi n'interdit le recrutement de femmes voilées en Algérie.
Comment le voile islamique est-il apparu en Algérie?
L'essor du voile islamique en Algérie remonte au milieu des années 1980. Dans le pays, les féministes reprochent au pouvoir d'avoir anticipé l'avènement du nouvel ordre conservateur, en ratifiant dès 1984 le fameux Code de la famille qui s'inspire de la charia et rétablit la répudiation.
L'apparition du voile militant –car il y avait aussi le voile traditionnel, dit «haïk»– commence dans les lycées et universités, précisément à partir de 1986, année du contre-choc pétrolier, avant de se généraliser dans les établissements scolaires, puis, peu à peu, dans toute la société.
Jusqu'à la fin des années 1980, les femmes en hijab sont loin d'être majoritaires. Une enquête, menée en 1989 par une sociologue, relève que sur 100 femmes, seules 25, soit le quart d'entre elles, se voilent. Interrogées sur les raisons pour lesquelles elles portent le voile, la plupart répondent:«Par habitude, nos ancêtres l'ont porté» (et l'autrice de souligner: «ce qui n'est pas entièrement vrai») ou«pour la décence». Plus de trente ans plus tard, on y est toujours.
1990. Le Front islamique du salut (FIS) décrète, après sa victoire aux élections municipales, l'obligation du port du voile conformément aux préceptes de l'islam et lance des campagnes d'inquisition contre les femmes non voilées. La même année, 10.000 femmes avaient manifesté à Alger pour réclamer le port du voile, en se référant au Coran.
Que dit le Coran sur le voile?
Il y a plusieurs versets plus ou moins explicites sur la question du port du voile, mais son caractère obligatoire divise toujours dans le milieu des exégètes musulmans. Le verset 59 de la sourate 33 dit: «Ô Prophète! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de serrer sur elles leurs voiles! Cela sera le plus simple moyen qu'elles soient reconnues et qu'elles ne soient point offensées. […]»
Un autre verset, celui portant le numéro 31 de la sourate 34, redit la chose d'une autre manière: «Dis aux croyantes […] de rabattre leurs voiles sur leurs gorges! […]» ou, plus littéralement, «de frapper le khimar [grand voile de tête qui couvre les yeux] sur l'échancrure pectorale».Tout cela est bien détaillé, mais il n'est jamais dit dans aucun passage du texte sacré que ces recommandations s'appliquent à toutes les femmes et pour tous les temps. Ce qui n'a pas empêché les tenants du rigorisme d'avoir le dessus sur la question.
Le nombre de femmes voilées va certainement encore augmenter sous l'effet de la terreur instaurée par les groupes islamistes armés, notamment dans les quartiers populaires. Des milliers de femmes ont été enlevées par les hommes de ces groupes de 1993 à 1997; 5.000 d'entre elles ont été violées. Il y a eu aussi des femmes sauvagement assassinées pour avoir refusé de porter le voile. Le cas de Katia Bengana, lycéenne de 17 ans, tuée en 1994 près d'Alger, demeure emblématique de cette barbarie.
Une région, la Kabylie, était relativement épargnée par cette islamisation forcenée de la société pendant des décennies. Le particularisme culturel, cultivé sciemment par des courants politiques laïcisants de cette région, a fait que le carcan conservateur y était moins ressenti que dans les autres endroits du pays. Mais, depuis le début de la décennie 2000, le phénomène du port du voile ne cesse de s'y développer, touchant des pans entiers de la société et se déclinant dans tous les styles en vogue –y compris celui, pittoresque et chatoyant, qui marie le foulard islamique à la robe kabyle.
Slate
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