Salam
Après avoir suivi par pure curiosité (je le jure!
) l'intervention du chef du gouvernement devant l'assemblée , et lisant ce matin ma chronique préférée , j'ai décidé de la faire partager aux fans de Si Ahmed , et à leur tête double6 .
Bonne lecture .
Ouyahia est un homme bien: il a des chiffres, des réponses et des explications. Face aux députés de ce pays en fin de semaine, il a décroché le bon rôle: celui du gentil intelligent, un peu victime des médisances structurelles de la politique en Algérie et un peu vainqueur des adversités du climat, de la presse, des autres et des choses sans preuves. Les députés en avaient presque le mauvais rôle des gens qui ne savent rien mais qui ont un avis payé sur tout.
Ouyahia a annoncé des bonnes nouvelles, il a avancé des chiffres, il a répondu, il a transformé sous les yeux des humains une gomme en un indice de croissance et des sacs de ciment en une promesse de logements.
Ouyahia a marché sur l’eau là où l’eau pose encore problème. Il a été brillant, polémiste avec une note de fausse douceur, il a été poli dans le massacre des contradicteurs abstraits de Koraïche. Ouyahia, étant l’un des rares de nos maîtres qui a appris à parler, a superbement bien parlé du haut de la Montagne sacrée en nous décrivant la vallée grasse où la viande n’a même pas besoin de vivre en vache avant d’être servie sur une assiette.
Sa voix a été hypnotique: à l’angoisse existentielle du peuple, elle a offert une sorte de confort de suicide par les chiffres, une mort par inhalation de l’éther et une noyade dans les effets secondaires de la foi statistique.
On n’était pas obligé de le croire: on était contraint par la fascination du vide. Pour une fois, dans la voix d’Ouyahia et dans l’univers virtuel de sa politique, il y avait un endroit habitable et gratuit dans ce pays.
La voix d’Ouyahia a été aussi une grande leçon linguistique: elle a réinventé la langue. Ce n’était ni du kabyle, ni de l’arabe orthodoxe, ni de l’arabe des rues non agréé par l’histoire, ni même du français ostentatoire. C’était une sorte de synthèse qui faisant que l’on n’écoutait pas la voix d’Ouyahia face aux députés mais qu’on la regardait comme on regarde la mer qui regarde le ciel. Avec sa voix, son ton, sa montagne sacrée, son statut et sa prestance électronique, Ouyahia n’avait même pas besoin de chiffres. Ni de députés. Ni même de nous. Ni même de la réalité. Comme dans la logique fascinante de l’amour mystique, tout était dans l’incendie et la consommation. Tout était dans le poème et l’idiot qui le mangeait bouche bée.
Pendant ces heures où il expliquait sa politique générale, Ouyahia a été presque un président de la république temporaire en attendant de dire «alternatif». C’est pour sa voix que peut-être Ouyahia a raison et non pas pour sa raison. Il peut mentir, cela n’a aucune importance car sa voix sonne vrai. Si dans l’être aimé, les Arabes poètes voyaient la lune, il est tout à fait normal que l’être aimé puisse vous y promener par le nez. Dans la bouche d’Ouyahia et face à la face désordonnée, un peu laminée, plus ou moins écrasée et ouvertement sélectionnée comme décor des députés, l’Algérie a un sens, une addition, des mesures claires, une pointure, une destination de voyage, un livre de dépenses et de recettes, une comptabilité au réel, des noms pour les rues et des explications claires pour les cas de contentieux.
Il reste qu’Ouyahia ne peut pas parler tout le temps et que ce beau pays imaginaire a une fin et un générique. A la fin, tout le monde se réveille pour rentrer chez soi. Même le pays est obligé de revenir en l’Algérie et d’aller remplir ses jerricanes dans l’histoire de la révolution. On ne peut pas demander à notre chef de gouvernement de faire des miracles, déjà qu’il nous fait rêver.
Lien vers la chronique
Après avoir suivi par pure curiosité (je le jure!

Bonne lecture .

Fan de la voix d’Ouyahia
Par Kamel Daoud
Ouyahia est un homme bien: il a des chiffres, des réponses et des explications. Face aux députés de ce pays en fin de semaine, il a décroché le bon rôle: celui du gentil intelligent, un peu victime des médisances structurelles de la politique en Algérie et un peu vainqueur des adversités du climat, de la presse, des autres et des choses sans preuves. Les députés en avaient presque le mauvais rôle des gens qui ne savent rien mais qui ont un avis payé sur tout.
Ouyahia a annoncé des bonnes nouvelles, il a avancé des chiffres, il a répondu, il a transformé sous les yeux des humains une gomme en un indice de croissance et des sacs de ciment en une promesse de logements.
Ouyahia a marché sur l’eau là où l’eau pose encore problème. Il a été brillant, polémiste avec une note de fausse douceur, il a été poli dans le massacre des contradicteurs abstraits de Koraïche. Ouyahia, étant l’un des rares de nos maîtres qui a appris à parler, a superbement bien parlé du haut de la Montagne sacrée en nous décrivant la vallée grasse où la viande n’a même pas besoin de vivre en vache avant d’être servie sur une assiette.
Sa voix a été hypnotique: à l’angoisse existentielle du peuple, elle a offert une sorte de confort de suicide par les chiffres, une mort par inhalation de l’éther et une noyade dans les effets secondaires de la foi statistique.
On n’était pas obligé de le croire: on était contraint par la fascination du vide. Pour une fois, dans la voix d’Ouyahia et dans l’univers virtuel de sa politique, il y avait un endroit habitable et gratuit dans ce pays.
La voix d’Ouyahia a été aussi une grande leçon linguistique: elle a réinventé la langue. Ce n’était ni du kabyle, ni de l’arabe orthodoxe, ni de l’arabe des rues non agréé par l’histoire, ni même du français ostentatoire. C’était une sorte de synthèse qui faisant que l’on n’écoutait pas la voix d’Ouyahia face aux députés mais qu’on la regardait comme on regarde la mer qui regarde le ciel. Avec sa voix, son ton, sa montagne sacrée, son statut et sa prestance électronique, Ouyahia n’avait même pas besoin de chiffres. Ni de députés. Ni même de nous. Ni même de la réalité. Comme dans la logique fascinante de l’amour mystique, tout était dans l’incendie et la consommation. Tout était dans le poème et l’idiot qui le mangeait bouche bée.
Pendant ces heures où il expliquait sa politique générale, Ouyahia a été presque un président de la république temporaire en attendant de dire «alternatif». C’est pour sa voix que peut-être Ouyahia a raison et non pas pour sa raison. Il peut mentir, cela n’a aucune importance car sa voix sonne vrai. Si dans l’être aimé, les Arabes poètes voyaient la lune, il est tout à fait normal que l’être aimé puisse vous y promener par le nez. Dans la bouche d’Ouyahia et face à la face désordonnée, un peu laminée, plus ou moins écrasée et ouvertement sélectionnée comme décor des députés, l’Algérie a un sens, une addition, des mesures claires, une pointure, une destination de voyage, un livre de dépenses et de recettes, une comptabilité au réel, des noms pour les rues et des explications claires pour les cas de contentieux.
Il reste qu’Ouyahia ne peut pas parler tout le temps et que ce beau pays imaginaire a une fin et un générique. A la fin, tout le monde se réveille pour rentrer chez soi. Même le pays est obligé de revenir en l’Algérie et d’aller remplir ses jerricanes dans l’histoire de la révolution. On ne peut pas demander à notre chef de gouvernement de faire des miracles, déjà qu’il nous fait rêver.
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