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A Roubaix, l’islam, la loi, et les chemins de traverse Déscolarisation, écoles hors contrat, initiatives de non*mixité…

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  • A Roubaix, l’islam, la loi, et les chemins de traverse Déscolarisation, écoles hors contrat, initiatives de non*mixité…

    La ville du Nord fait face à certaines des pratiques auxquelles veut s’attaquer le chef de l’Etat
    ENQUÊTE roubaix (nord) * envoyée spéciale Au café de Jean*Pierre (son prénom a été changé), à Roubaix, il y a la loi et il y a les accommodements raisonnables. La loi, c’est celle de l’affichette interdisant la vente d’alcool aux mineurs, posée entre les cigarettes et la caisse. La loi, c’est aussi celle de la pancarte interdisant de fumer, suspendue à côté des coupes de football. Pour les accommodements, il y a un rayonnage sur lequel s’étalent les revues érotiques et une courette à l’arrière pour fumer à l’abri des regards. « Ici, quand c’est ramadan, c’est l’islam à la carte », plaisante le patron. Chez Jean*Pierre, en apparence, pas de malaise. Sauf avec une chose : la Marianne appelant à « vivre la République à visage découvert »… Debout derrière son comptoir, le patron de cet établissement situé au milieu d’une enfilade de maisonnettes en brique rouge le dit sans hésiter : il refuse de mettre sur sa porte, comme l’y oblige en principe la législation, cette affiche officielle rappelant l’interdiction, en France, de se couvrir intégralement le visage. « Ce n’est pas à moi d’appliquer une loi qui n’est pas respectée à l’extérieur », lâche ce trentenaire en agitant la pancarte soigneusement laissée dans son arrière*boutique. Certains assurent qu’il a subi des « pressions ». Lui s’en défend et plaide la dissidence volontaire. Que faut*il voir dans l’initiative de ce patron de café d’une ville de 96 000 habitants où près de 40 % de la population est étrangère ou principalement issue de l’immigration maghrébine ? L’indépendance de vue d’un effronté ? Ou le signe discret d’un « islamisme » militant ? Y a*t*il, dans la cité nordiste, historiquement travaillée par le prosélytisme musulman – notamment frériste (des Frères musulmans) et salafiste –, un « séparatisme » antirépublicain en voie d’imposer une nouvelle norme ? Ou rien d’autre qu’une évolution des mœurs, redécouverte à l’approche des élections municipales par le chef de l’Etat ? Le préfet du Nord, Michel Lalande, a accepté de rencontrer Le Monde, début février. Cet ex*directeur du cabinet de Bernard Cazeneuve lorsqu’il était ministre de l’intérieur veut préciser les mots pour « éviter de s’égarer ». Ses préoccupations en tant que représentant de l’Etat, insiste*t*il, ne sont pas d’ordre « vestimentaire » : « Il y a très peu de femmes portant la burqa, en tout cas bien moins qu’il y a dix ou quinze ans. » « Même si, après une longue phase de libération de la femme, l’essor du port du voile marque une vraie rupture sociétale, Il n’y a pas de drame d’ordre public et pas de drame en valeur absolue », souligne*t*il.
    620 élèves scolarisés à domicile Le vrai sujet de préoccupation, pour M. Lalande, est dans ce qu’il appelle les « prédateurs ». Ces « prédicateurs islamistes » qui, « sous couvert de religion, accréditent un discours aux antipodes de celui de la République ». Un discours focalisé sur la non*mixité et le rejet de la démocratie, sensible aux thèses créationnistes et qui veut « faire croire qu’il faut choisir un camp, généralement celui des musulmans contre les non*musulmans », détaille un autre fonctionnaire. Ce discours aurait depuis longtemps quitté l’enceinte des mosquées et se déporterait sur la voie publique. Avec une conséquence principale, selon le préfet : « l’évitement scolaire ».
    En clair, un rejet du système éducatif laïc traditionnel lié à la volonté d’échapper au discours classique républicain, au souhait d’éviter certains cours de sports ou de musique, et qui se traduit notamment par un absentéisme répété. Le Monde a pu consulter les chiffres concernant le département du Nord. Selon ces données, il y a eu, en 2018, quelque 6 200 avertissements aux familles par courrier (après quatre demi*journées d’absence non justifiées). Puis 1 200 rappels à la loi sous la forme d’entretien avec les parents. Dans les cas les plus manifestes, l’éducation nationale est allée jusqu’au signalement au procureur.
    Boom des emplois tertiaires En parallèle, la scolarisation à domicile a bondi. En 2019, le département a recensé 620 élèves dans cette situation, contre 350 en 2014 : la plupart à Lille, Roubaix et Tourcoing. La majorité était des filles (60 %) et des enfants en âge d’être inscrits dans le premier degré (70 %). Il existe par ailleurs dans le Nord, deux écoles musulmanes hors contrat, rassemblant 750 élèves, et les projets similaires se multiplient. A la préfecture, on nuance toutefois ces chiffres en rappelant qu’ils illustrent un phénomène encore « clairement minoritaire », avec une majorité de la population « non réceptive » à ce prosélytisme. Sur la seule ville de Roubaix, l’évitement scolaire concerne une centaine d’enfants sur 20 000 élèves. « Dans la plupart des collèges, la laïcité est respectée, les jeunes filles enlèvent leur voile avant d’entrer. Ailleurs dans la ville, vous verrez plein de femmes en jupe avec du rouge à lèvres », souligne une source avisée. Malgré un effondrement de l’emploi industriel, l’ex*cité textile a en effet connu un boom des emplois tertiaires, « qualifiés et très qualifiés », notamment liés au secteur numérique, avec l’implantation du leader européen du cloud, OVH, selon un rapport de Matignon de 2019. Un boom qui ne profite cependant pas à tous. « Le principal problème à Roubaix, c’est l’emploi et la délinquance [notamment liée au trafic de stupéfiants] », souligne la même source, qui ajoute à ce cocktail explosif les discriminations. A la préfecture du Nord, fin 2019, un poste a d’ailleurs été créé pour s’occuper des laissés*pourcompte du nouveau virage économique. En effet, 46,3 % de la population active roubaisienne est titulaire, au mieux, d’un brevet des collèges. La « machine de prédication » cherche à « gagner la confiance (…) avec un discours en rupture partout où il y a un trou dans la raquette de l’Etat », se désole un bon connaisseur du terrain. Une volonté de « séparer » néanmoins difficile à caractériser, car peu visible dans l’espace public, à l’exception de certaines rues, où se concentrent les commerces ethniques et religieux. Sur le boulevard Gambetta, par exemple, un restaurant dit « familial » permet
    aux femmes le souhaitant, de déjeuner non voilées, dissimulées par un rideau pouvant être tiré afin d’être isolées du reste de la salle. Mais rien n’est revendiqué de l’extérieur. La cuisine proposée est celle d’une brasserie ordinaire : pizza, pâtes, salades. Juste à côté, se trouve une vaste salle de sport rutilante, avec deux entrées assumées : une pour les hommes, une pour les femmes. Ces initiatives du secteur privé offrent peu de prises au « combat » contre « l’islamisme » voulu par l’exécutif. Seule parade possible à l’étude : développer une offre « alternative », en aidant à l’installation d’autres commerces. Et ce, par le recours au crédit*bail ou le droit de préemption. « Mais le droit n’est pas très facilitant », reconnaît pudiquement un cadre du ministère de l’intérieur. En attendant, à la préfecture du Nord, on applique la circulaire publiée en novembre 2019 par la Place Beauvau. Quelque 79 contrôles fiscaux ciblés ont eu lieu depuis début 2018 dans des commerces jugés « communautaires » ou dissimulant des activités illicites, 107 contrôles Urssaf ou encore 27 visites d’associations sportives. Un travail mené jusqu’ici discrètement, sans publicité, pour des cas de « rupture manifeste de la règle » – harcèlement, corruption, blanchiment d’argent, etc. Ainsi de cette boucherie dont la famille gérante a fait l’objet de plusieurs procédures. Le père est désormais poursuivi pour de la fraude fiscale de grande ampleur. Un des fils est suivi par les services de renseignement pour des soupçons de détention d’armes, tandis que l’une des filles est entrée dans les radars en raison de ses liens avec des individus dans la zone irako*syrienne. L’une des cadettes, enfin, a fait l’objet d’un signalement au procureur pour défaut de scolarisation.
    « Renversement de la norme » Depuis 2016, à Roubaix, la préfecture bataille aussi avec un projet jugé problématique d’une école privée hors contrat. Un projet porté par une association musulmane de soutien scolaire dont l’analyse des flux financiers a notamment fait apparaître les donations d’un ex*membre de la filière djihadiste des Buttes*Chaumont. Mais là encore, les marges de manœuvres pour l’Etat sont étroites, et après divers recours, cette association pourrait avoir gain de cause. Elle a déposé une nouvelle demande d’ouverture d’école pour la rentrée 2020. La structure pourrait accueillir jusqu’à 150 enfants, de la petite section au CM2, dont 90 % sont actuellement scolarisés à domicile. Les effectifs sont complets et il y a déjà une liste d’attente. Pour soutenir cette silencieuse guerre administrative, il « faut toutefois des moyens dans les quartiers ! » plaide Nawal Badaoui, une enseignante de 47 ans. Cette exprésidente de l’antenne locale du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) est musulmane. Mère de
    trois enfants, adepte de l’islam mutazilite – une école de pensée moins conservatrice que l’islam salafiste ou frériste – sa foi ne l’empêche pas de se dire très « remontée » contre le militantisme « islamique ». Mariée à un protestant, elle est, par exemple, très préoccupée par ses élèves qu’elle a pu entendre dire que « seuls les musulmans peuvent porter la djellaba ». Et elle est indignée par ce serveur de cantine qui, récemment, a refusé de lui servir du porc. « Il y a un renversement de la norme », se désole*t*elle.
    Lent glissement Pour autant, aux yeux de cette fille d’un bobineur algérien issue d’une fratrie de dix enfants, il ne s’agit pas formellement d’une « pression religieuse ». Plutôt d’un lent glissement ayant entraîné des incompréhensions. « En tant que Française issue de l’immigration maghrébine, je subis comme beaucoup une double pression : de la part de ceux à qui je suis censée ressembler, et des Français qui ne sont pas musulmans et présupposent ce que je pense ou je crois. C’est absurde ! » s’agace celle qui, chaque année, accroche avec soin une couronne de l’avent sur sa porte d’entrée. « J’aime Noël, je suis attachée à cette tradition », rit*elle Dans le paysage roubaisien, Ali Rhani est une figure plus influente et clivante. A 48 ans, cet éducateur dans un centre pour décrocheurs scolaires, qui appelle aussi à plus de moyens pour les associations de quartier, a été, autrefois, un point d’entrée de Tariq Ramadan en France. « Je m’en suis éloigné, mais quand j’ai lu son livre To Be a European Muslim (Etre un musulman européen, 1998), j’avoue, j’ai été séduit ! » Aujourd’hui, ce fils de harki issu d’une fratrie de huit nie tout lien direct avec les Frères musulmans mais continue de soutenir leur vision de l’islam : « Nous, ce n’est pas les Frères musulmans, les musulmans sont tous frères ! » Ali Rhani s’offusque ainsi de la démarche de l’exécutif. « C’est de la distraction stratégique (…) le vrai communautarisme, c’est celui de classe », estime celui qui anime aussi une émission « citoyenne » sur une radio locale, Radio Pastel, dont les subsides de la région ont été coupés en 2017 en raison de son engagement religieux affiché. « J’ai toujours été pour un islam engagé », plaide Ali Rhani. Sur le prosélytisme de rue, il considère ainsi que ce sont d’abord des « maladresses ». A propos de la hiérarchie des normes entre charia et loi démocratique : « tout dépend de quoi on parle ». Quant aux créneaux pour femmes dans les piscines : « S’il y a une demande, pourquoi pas. Le politique doit écouter les citoyens », plaide*t*il. « Il y a des années que ces positionnements sont en germe. Maintenant on se rend compte qu’il y a un trou un peu plus gros que prévu », regrette un observateur averti. « C’est vrai qu’il y a des quartiers qui se ferment, mais ce n’est pas en opposant la France francofrançaise à la France communautariste qu’on arrivera à des solutions », s’alarme pour sa part Farhad Khosrokhavar, auteur de Radicalisation (Maison des sciences de l’homme, 2014) et justement investi dans un projet de recherche sur le sujet dans plusieurs quartiers en France, dont Roubaix. « C’est fondamentalement un problème d’ajustement », tempèret*on à la préfecture. « Notre but, ce n’est pas d’empêcher les gens de prier leur dieu, c’est de les intégrer », résume M. Lalande.  élise vincent
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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