By La redaction de Mondafrique - 5 avril 2019
La veille des manifestations du vendredi 5 avril qui verra le peuple algérien accepter ou refuser la main tendue par l’armée, Rabha Attaf imagine la conversation entre « Bo Goss », un des milliers de jeunes algériens qui se sont mobilisés contre le régime, et son ainée de 20 ans, Yemma Oum X. Un dialogue plus vrai que nature.
Bo Goss, un jeune algérien de 30 ans, toujours bien mis malgré sa méchante balafre camouflée par des Ray-ban, et Yemma Oum X (Yox), son aînée de 20 ans qui l’a vu naître et accompagné dans ses multiples galères, commentent l’actualité algérienne, bien installés sur une terrasse des hauteurs d’Alger.
« On va avoir leur peau à tous »B
Yox : Alors Bo Goss, t’as manifesté ?
Bo Goss : Évidemment, ça fait longtemps que j’attendais ça. Au moins, je bouge, ça change de mon mur de Climat de France ! J’en suis à ma 6ème manif depuis le 16 février, et on est pas prêt d’arrêter. Cette fois, on va avoir leur peau à tous ?
Yox : Ton enthousiasme est touchant, cher Bo Goss. Mais tu oublies une chose importante. Même s’ils jettent en pâture Boutef et son clan, l’armée demeure le pilier du régime. Le général Gaïd Salah a eu beau brandir l’article 102 de la Constitution pour destituer le président, il n’en demeure pas moins l’arbitre de ce qui est en train de se jouer… Et il tient sa revanche !
Bo Goss : Oh, arrête de faire la rabat joie Yemma, n’entends- tu pas la clameur du peuple ? C’est tous les « décideurs » qui sont visés, pas seulement les Boutef and co ! Le slogan « A force de nous mépriser, vous nous avez sous-estimé » dit tout. Cette fois, nous sommes bien déterminés à tous les dégager !
Yox : Ah bon ? Et vous comptez le faire comment, avec des sourires et des balais ? Ne comprends-tu pas que Gaïd Salah a bien manœuvré pour nous enfumer en beauté ? Regarde donc la réalité en face ! Qu’est-ce qu’il propose ? Un cadeau empoisonné ! Ils ont déjà fait le coup de la transition démocratique après octobre 1988 et on a vu ce que ça a donné : 3 ans de récréation et le couperet est tombé avec le putch du 19 janvier 1992 !
Bo Goss : Cette fois, c’est pas pareil, chère amie ! Le peuple est entré dans la danse, et l’armée n’a pas sorti ses blindés ! Tu te rends compte, le RND, le FLN et même le Forum des Chefs d’Entreprises ont retiré leur soutien à Boutef !
Yox : C’est vrai, pour le moment les manifs sont encadrés par la police et aucun incident regrettable n’est a déplorer, en dehors de la mort accidentelle de Youssef Benkhedda –Allah yarahmah (Que Dieu l’agrée de sa miséricorde, ndla). Mais franchement Bo Goss, tu penses que les militaires vont se contenter de compter les manifestants en attendant qu’ils se fatiguent ? Dès que la ligne rouge sera franchie, ils risquent de réagir comme à leur habitude, par la brutalité !
Bo Goss : Quelle ligne rouge ?
Yox : Réfléchis un peu Bo Goss : qui tient vraiment les rênes du pouvoir en Algérie? Boutef and co ? Le commandement militaire ? L’ex-DRS toujours actif et son puissant patron le général Tewfik ?
Bo Goss : Ben… c’est difficile d’y voir clair Yemma, le vrai pouvoir se maintient dans l’ombre…
Yox : Très juste, mais en situation de crise ils sortent du trou. D’abord Gaïd Salah, le chef d’état major de l’armée avec l’article 102. Ensuite, le général Mohamed Médienne, ditTewfek ,vient de se positionner. En rencontrant l’ex-président Lamine Zéroual pour lui proposer de conduire la période de transition, il sait que ce dernier jouit d’un crédit positif depuis sa démission. Dans le même temps, des tractations ont commencé entre des proches de Boutef, des personnalités civiles de premier rang, et bien sûr un proche de Tewfik, pour proposer un plan B. C’était certainement pour contrer la solution brandie par Gaïd Salah et ménager une sortie honorable au clan du président… Gaïd Salah, de son côté, a réuni des responsables militaires. Bref, les manœuvres ont commencé dans le théâtre d’ombres…
Bo Goss (jubilant) : Oui, mais Ali Haddad, l’ex-patron des patrons a été arrêté alors qu’il tentait de fuir par la frontière tunisienne, des hommes d’affaires sont frappés d’une interdiction de sortir du territoire et, en plus, tous les avions privés algériens sont interdits de décoller !
Yox : Tu es bien naïf, Bo Goss. Haddad est un proche de Saïd Boutefika, ainsi que les milliardaires qui se sont enrichis sous son ombre. Remarque qu’il a été arrêté par la gendarmerie, un corps de l’armée, ce qui en dit long. Ils vont se contenter de jeter en pâture les second couteaux pour neutraliser le clan Boutef et calmer la rue. En matière de diversion, ils savent faire !
Comme le maréchal Sissi en Egypte, Gaïd Salah tente de sauver les meubles avant que le peuple ne franchisse la ligne rouge en s’en prenant à l’armée. Déjà, les islamistes jusque là très discrets dans les manifestations, organisent des défilés dans les quartiers d’Alger où ils sont encore bien implantés, à Kouba, El Herrach, etc, histoire de battre le rappel. Ils attendent leur heure et me font penser aux Frères Musulmans d’Egypte qui étaient présents à titre individuels dans les premières manifestations. Ensuite, une fois Moubarak destitué, ils sont sortis au grand jour, ont appelé à des « vendredi de la colère » et ont réussis à prendre le contrôle de la rue afin de dealer en position de force avec Conseil Suprême des Forces Armées. Leur opération avait marché comme sur des roulettes, et au final Mohamed Morsi fut élu président à une majorité écrasante !
Bo Goss : L’Algérie n’est pas l’Egypte Yemma…
Yox : Et les Égyptiens disaient « L’Egypte n’est pas l’Algérie ! » quand je les mettais en garde contre un coup d’État de l’armée, ce qui n’a pas manqué ! Aujourd’hui, pendant que le peuple est occupé à manifester, les clans du pouvoir sont en train régler leurs comptes à huis-clos. Celui d’entre-eux qui saura se rallier la rue l’emportera…
Bo Goss : C’est à dire ?
Yox : Tout laissait croire que le chef d’état major lâchait Boutef. Mais il n’en est rien : il figure dans le nouveau gouvernement, toujours comme vice-ministre de la Défense ! Et l’annonce officielle de la démission du président de la République ouvre la porte à une période de transition qui sera assurée par le président du Conseil de la Nation, un proche de Boutef en place depuis 2002. Il aura pour mission d’organiser des élections présidentielles dans les trois mois. Autant dire qu’à ce jeu de chaises musicales, la transition sera contrôlée, et Boutef protégé !
Bo Goss : Les Algériens n’ont pas dit leur dernier mot et les manifestations vont continuer !
Yox : Pour le moment, les Algériens ont eu la peau de Boutef, mais concernant le « système » c’est une autre paire de manches ! Les différents clans de la caste au pouvoir -la Coupole- sont liés par un pacte de sang établi durant la décennie noire. Ils ont le même intérêt : la captation de la rente pétrolière et le contrôle des entreprises stratégiques de l’économie. Alors, les manifestations peuvent continuer jusqu’à l’essoufflement. Ils n’en ont cure. Leur force de frappe est redoutable, même si, pour le moment, ils évitent de l’utiliser sachant que les Algériens ont été vaccinés contre toute tentative de révolte armée. Moi, les manifestations me donnent l’impression d’une grande récréation populaire, d’une soupape qui lâche sa vapeur trop longtemps contenue.
Bo Goss (euphorique, le nez sur son smatphone) : Ça y est, c’est officiel, Boutef a démissionné !
Yox : Ne te réjouis pas trop vite mon ami, c’est maintenant que les choses sérieuses commencent. Les Algériens vont certainement continuer à manifester, mais la récréation risque de se terminer avec des déceptions ! Franchement, je suis très inquiète pour la suite. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui a suivi la chute de Moubarak. Le peuple était en liesse sur la place Tahrir. Mais dès le lendemain, des personnalités et groupes constitués se sont précipités au portillon du Conseil Suprême des Forces Armées pour participer à la « transition démocratique » dictée par le haut. En fait, on a assisté à une recomposition du champ politique et non à un changement de régime. L’armée a gardé la main et la répression a frappé les « irrédentistes ». En Algérie, il faut s’attendre au même genre de scénario, avec un peu moins de sang. La société civile algérienne n’est pas assez organisée pour résister, et la tentation est grande pour la course aux strapontins ! Déjà, se profilent des agents intermédiaires entre la base et le sommet… A Alger, les chefs du FLN, du RND, de l’opposition contrôlée, ainsi que des personnalités de premier plan sont pris de réunionite aiguë.
Bo Goss : Oh, ça vole trop haut pour moi Yemma. C’est quoi ces agents intermédiaires ?
La veille des manifestations du vendredi 5 avril qui verra le peuple algérien accepter ou refuser la main tendue par l’armée, Rabha Attaf imagine la conversation entre « Bo Goss », un des milliers de jeunes algériens qui se sont mobilisés contre le régime, et son ainée de 20 ans, Yemma Oum X. Un dialogue plus vrai que nature.
Bo Goss, un jeune algérien de 30 ans, toujours bien mis malgré sa méchante balafre camouflée par des Ray-ban, et Yemma Oum X (Yox), son aînée de 20 ans qui l’a vu naître et accompagné dans ses multiples galères, commentent l’actualité algérienne, bien installés sur une terrasse des hauteurs d’Alger.
« On va avoir leur peau à tous »B
Yox : Alors Bo Goss, t’as manifesté ?
Bo Goss : Évidemment, ça fait longtemps que j’attendais ça. Au moins, je bouge, ça change de mon mur de Climat de France ! J’en suis à ma 6ème manif depuis le 16 février, et on est pas prêt d’arrêter. Cette fois, on va avoir leur peau à tous ?
Yox : Ton enthousiasme est touchant, cher Bo Goss. Mais tu oublies une chose importante. Même s’ils jettent en pâture Boutef et son clan, l’armée demeure le pilier du régime. Le général Gaïd Salah a eu beau brandir l’article 102 de la Constitution pour destituer le président, il n’en demeure pas moins l’arbitre de ce qui est en train de se jouer… Et il tient sa revanche !
Bo Goss : Oh, arrête de faire la rabat joie Yemma, n’entends- tu pas la clameur du peuple ? C’est tous les « décideurs » qui sont visés, pas seulement les Boutef and co ! Le slogan « A force de nous mépriser, vous nous avez sous-estimé » dit tout. Cette fois, nous sommes bien déterminés à tous les dégager !
Yox : Ah bon ? Et vous comptez le faire comment, avec des sourires et des balais ? Ne comprends-tu pas que Gaïd Salah a bien manœuvré pour nous enfumer en beauté ? Regarde donc la réalité en face ! Qu’est-ce qu’il propose ? Un cadeau empoisonné ! Ils ont déjà fait le coup de la transition démocratique après octobre 1988 et on a vu ce que ça a donné : 3 ans de récréation et le couperet est tombé avec le putch du 19 janvier 1992 !
Bo Goss : Cette fois, c’est pas pareil, chère amie ! Le peuple est entré dans la danse, et l’armée n’a pas sorti ses blindés ! Tu te rends compte, le RND, le FLN et même le Forum des Chefs d’Entreprises ont retiré leur soutien à Boutef !
Yox : C’est vrai, pour le moment les manifs sont encadrés par la police et aucun incident regrettable n’est a déplorer, en dehors de la mort accidentelle de Youssef Benkhedda –Allah yarahmah (Que Dieu l’agrée de sa miséricorde, ndla). Mais franchement Bo Goss, tu penses que les militaires vont se contenter de compter les manifestants en attendant qu’ils se fatiguent ? Dès que la ligne rouge sera franchie, ils risquent de réagir comme à leur habitude, par la brutalité !
Bo Goss : Quelle ligne rouge ?
Yox : Réfléchis un peu Bo Goss : qui tient vraiment les rênes du pouvoir en Algérie? Boutef and co ? Le commandement militaire ? L’ex-DRS toujours actif et son puissant patron le général Tewfik ?
Bo Goss : Ben… c’est difficile d’y voir clair Yemma, le vrai pouvoir se maintient dans l’ombre…
Yox : Très juste, mais en situation de crise ils sortent du trou. D’abord Gaïd Salah, le chef d’état major de l’armée avec l’article 102. Ensuite, le général Mohamed Médienne, ditTewfek ,vient de se positionner. En rencontrant l’ex-président Lamine Zéroual pour lui proposer de conduire la période de transition, il sait que ce dernier jouit d’un crédit positif depuis sa démission. Dans le même temps, des tractations ont commencé entre des proches de Boutef, des personnalités civiles de premier rang, et bien sûr un proche de Tewfik, pour proposer un plan B. C’était certainement pour contrer la solution brandie par Gaïd Salah et ménager une sortie honorable au clan du président… Gaïd Salah, de son côté, a réuni des responsables militaires. Bref, les manœuvres ont commencé dans le théâtre d’ombres…
Bo Goss (jubilant) : Oui, mais Ali Haddad, l’ex-patron des patrons a été arrêté alors qu’il tentait de fuir par la frontière tunisienne, des hommes d’affaires sont frappés d’une interdiction de sortir du territoire et, en plus, tous les avions privés algériens sont interdits de décoller !
Yox : Tu es bien naïf, Bo Goss. Haddad est un proche de Saïd Boutefika, ainsi que les milliardaires qui se sont enrichis sous son ombre. Remarque qu’il a été arrêté par la gendarmerie, un corps de l’armée, ce qui en dit long. Ils vont se contenter de jeter en pâture les second couteaux pour neutraliser le clan Boutef et calmer la rue. En matière de diversion, ils savent faire !
Comme le maréchal Sissi en Egypte, Gaïd Salah tente de sauver les meubles avant que le peuple ne franchisse la ligne rouge en s’en prenant à l’armée. Déjà, les islamistes jusque là très discrets dans les manifestations, organisent des défilés dans les quartiers d’Alger où ils sont encore bien implantés, à Kouba, El Herrach, etc, histoire de battre le rappel. Ils attendent leur heure et me font penser aux Frères Musulmans d’Egypte qui étaient présents à titre individuels dans les premières manifestations. Ensuite, une fois Moubarak destitué, ils sont sortis au grand jour, ont appelé à des « vendredi de la colère » et ont réussis à prendre le contrôle de la rue afin de dealer en position de force avec Conseil Suprême des Forces Armées. Leur opération avait marché comme sur des roulettes, et au final Mohamed Morsi fut élu président à une majorité écrasante !
Bo Goss : L’Algérie n’est pas l’Egypte Yemma…
Yox : Et les Égyptiens disaient « L’Egypte n’est pas l’Algérie ! » quand je les mettais en garde contre un coup d’État de l’armée, ce qui n’a pas manqué ! Aujourd’hui, pendant que le peuple est occupé à manifester, les clans du pouvoir sont en train régler leurs comptes à huis-clos. Celui d’entre-eux qui saura se rallier la rue l’emportera…
Bo Goss : C’est à dire ?
Yox : Tout laissait croire que le chef d’état major lâchait Boutef. Mais il n’en est rien : il figure dans le nouveau gouvernement, toujours comme vice-ministre de la Défense ! Et l’annonce officielle de la démission du président de la République ouvre la porte à une période de transition qui sera assurée par le président du Conseil de la Nation, un proche de Boutef en place depuis 2002. Il aura pour mission d’organiser des élections présidentielles dans les trois mois. Autant dire qu’à ce jeu de chaises musicales, la transition sera contrôlée, et Boutef protégé !
Bo Goss : Les Algériens n’ont pas dit leur dernier mot et les manifestations vont continuer !
Yox : Pour le moment, les Algériens ont eu la peau de Boutef, mais concernant le « système » c’est une autre paire de manches ! Les différents clans de la caste au pouvoir -la Coupole- sont liés par un pacte de sang établi durant la décennie noire. Ils ont le même intérêt : la captation de la rente pétrolière et le contrôle des entreprises stratégiques de l’économie. Alors, les manifestations peuvent continuer jusqu’à l’essoufflement. Ils n’en ont cure. Leur force de frappe est redoutable, même si, pour le moment, ils évitent de l’utiliser sachant que les Algériens ont été vaccinés contre toute tentative de révolte armée. Moi, les manifestations me donnent l’impression d’une grande récréation populaire, d’une soupape qui lâche sa vapeur trop longtemps contenue.
Bo Goss (euphorique, le nez sur son smatphone) : Ça y est, c’est officiel, Boutef a démissionné !
Yox : Ne te réjouis pas trop vite mon ami, c’est maintenant que les choses sérieuses commencent. Les Algériens vont certainement continuer à manifester, mais la récréation risque de se terminer avec des déceptions ! Franchement, je suis très inquiète pour la suite. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui a suivi la chute de Moubarak. Le peuple était en liesse sur la place Tahrir. Mais dès le lendemain, des personnalités et groupes constitués se sont précipités au portillon du Conseil Suprême des Forces Armées pour participer à la « transition démocratique » dictée par le haut. En fait, on a assisté à une recomposition du champ politique et non à un changement de régime. L’armée a gardé la main et la répression a frappé les « irrédentistes ». En Algérie, il faut s’attendre au même genre de scénario, avec un peu moins de sang. La société civile algérienne n’est pas assez organisée pour résister, et la tentation est grande pour la course aux strapontins ! Déjà, se profilent des agents intermédiaires entre la base et le sommet… A Alger, les chefs du FLN, du RND, de l’opposition contrôlée, ainsi que des personnalités de premier plan sont pris de réunionite aiguë.
Bo Goss : Oh, ça vole trop haut pour moi Yemma. C’est quoi ces agents intermédiaires ?
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