Vous aimez cette ville ? me demande la dame que je conduisais chez son fils. Elle allait prendre le métro. Je rentrai chez moi dans ma banlieue qui est aussi la banlieue de son fils. C'est la maman de Claude, notre gardien de sécurité. C'est Claude qui lui a déniché ce travail de femme de ménage. Elle est là depuis trois mois déjà. Et elle est pas contente. Elle vient d'être syndiquée, une job jusqu'à sa retraite. « Vous aimez cette ville ? » me demande la dame. Je voyais bien qu'elle, elle ne l'aimait pas.
Vous n'êtes pas de Montréal ?
Non, je viens d'un village près du Havre St-Pierre... Un village à cent milles kilomètres de Montréal. Son mari, décédé, était fermier. Des vaches. Combien de vaches ? Quelques dizaines. Des moutons aussi. Des chevaux. Et deux enfants... Vous incluez Claude dans le troupeau ? T'es ben comique toi ! Elle rit de les avoir inclus dans le troupeau. Elle me dit que chez elle, il n'y a pas une seule colline, c'est plat à l'infini. En ce moment, tout est gelé, mais cela ne durera pas longtemps. Tout deviendra vert et mouillé. Et ils sont tous des fermiers là-bas... Ah oui ! Même les immigrants sont des fermiers ?... Y viennent pas chez nous les étrangers, le seul étranger, c'est l'Indonésien qui tient le restaurant. Il se tient avec personne, tout seul, tous le temps. Je me sens comme lui maintenant. Étrangère. Même que ma tête est pas toute là. Des fois, je pleure, je pleure, j'ai le goût de retourner chez moi, dans mon village... Et pourquoi vous faîtes pas madame ?... Mais j'ai vendu les vaches, les chevaux, plus capable de m'organiser toute seule, pis, Claude veut plus m'aider, veut plus retourner... Ça prend un peu de temps madame, vous allez vous habituer à la grande ville, certainement.
On a parlé de la vie. L'école, les hôpitaux, la retraite, les impôts, je vous résume: c'est comme à Montréal... Vous étiez heureuse, là-bas, dans votre village ? La question la surprend. Elle me la retourne. Vous étiez heureux, là-bas, dans votre pays ? Des fois, je lui réponds. Elle aime ma réponse. Elle dit: so, moi aussi, des fois. Racontez-moi une fois, je lui demande. Elle y pense un peu: le dimanche soir, quand on allait au restaurant avec mon mari et les enfants.
- Chez l'Indonésien ?
- Oui.
- Vous mangez quoi ?
- De la pizza.
- Chez l'Indonésien ?
- Ben oui, pourquoi ?
On venait de passer sur le pont qui relie Montréal à notre banlieue. Je peux vous demander quelque chose d'un peu particulier, madame ? Me chanteriez-vous la petite chanson de « Souigne la bacaisse dans l'fond d'la boîte à bois » ? Elle rit. Si vous m'en chantez une de chez vous aussi, elle dit. O.K., mais vous d'abord. Elle toussote un peu et se met à fredonner : C’est Nicolas de Saint-Albert / Son estomac tout à l’envers / Son bon fromage y’a renvoyé / Sur la robe d’la belle Aimée / A ouigne-a-han, a ouigne-a-han / Souigne la bacaisse dans l’fond d’la boîte à bois... À vous maintenant, elle dit, allez une chanson de ton pays. O.K madame, elle s'appelle Chabba Khayra, une voix très puissante, je pense même qu'elle est dotée de 49 cordes vocales. Et je lui mets le CD à fond : Vraiment ana ana ana / Kouali gualbi / m3a da radjel / maniche sûr ah / La mokhlata 3omri barkani yeh / Halfa a3lih nekoui gualbi yeh / Halfa a3lih ana ça y'est yeeeh...
C'était un moment fort pour moi, j'aime cette chanson, mais je voyais bien qu'elle, elle ne l'aimait pas. So, j'ai arrêté ça à la fin de l'istikhbar lol. Je l'ai laissé devant chez son fils. Merci monsieur. Je vous en prie madame.
Anyway, tout ça parce que je viens de lire deux topics, un à Damlagul « Pensez-vous retourner dans votre pays d'origine un jour » et l'autre à El Hadja Fatima45 « Je n'ai pas de chez moi ». Et cette femme chez elle, qui se sent pas chez elle. Et ces gens à la télévision qui parlent depuis quelques semaines des immigrants, s'interroger sur la qualité de l'accueil de la société québecoise, un autre débat à ras les pâquerettes, pas de remise en question du modèle d'intégration, l'accueil au sens premier, bonjour, bienvenue au Québec. C'est quoi votre accent ? Ou alors : si t'es pas content, r'tourne d'où tu viens.
Si vous saviez comme l'immigrant n'entend rien de ce que vous dites, si vous saviez comme son monde est loin du vôtre, les premières années du moins. Si vous saviez comme « société ouverte » ou « modèle d'intégration » sont des concepts qui ne lui disent rien. Si vous saviez. Mais de toute évidence vous ne savez pas. Tiens, juste pour le fun, c'est quoi un immigrant ? Je pose la question aux autochtones. C'est quoi un immigrant, hein ? Ouaiis, je savais que vous alliez dire ça. Non, ce n'est pas quelqu'un d'un autre pays qui vient s'installer chez vous.
Un immigrant est d'abord un émigrant comme la madame qui se sent étrangère chez elle. Prenons un exemple, mettons une personne qui vit à Montréal, Kikka du forum par exemple, non pas Kikka, elle a dit qu'elle se sentait tout à fait chez elle au Québec, mettons Ibn-Adam du forum qui répondait, aussi, dans le topic d'El Hadja Fatima45. En dépit des apparences, l'immigrant Ibn-Adam n'arrive pas. Il QUITTE. Et il va rester dans cet état « de partance » pendant plusieurs année. Vous ne pouvez pas l'aider. Le temps qu'il mettra à s'intégrer ne dépend pas du « ici », mais du « là-bas », ce là-bas qu'il pensait quitter, mais qui l'a suivi.
Il a satisfait à toutes les demandes, il a passé la visite médicale, il est enfin reçu, il fait ses adieux, adieu parents, adieu amis, adieu pauvre pays... Il s'en va vers la modernité. Il s'en va vers son avenir. Il s'en va au Canada.
Il arrive. S'installe. Et découvre quoi au bout de six mois ? Que la réalité n'est pas tout à fait comme dans son rêve ? Oui, mais ça il s'y attendait, il n'est pas si con. Ce à quoi il ne s'attendait pas, par contre, ce qu'il découvre, stupéfait, c'est que ce pays qu'il pensait avoir quitté, l'Algérie, ce pays l'a suivi au Canada. Un an, deux ans, trois ans plus tard, il n'est toujours pas ici. Dans le plus banal des gestes du quotidien, quand il mange, quand il écoute le téléjournal et se demande où est La Tuque, quand il n'en a rien à foutre que l'équipe de hochey de Montréal ait gagné 5 à 3 contre New-York, il est encore de là-bas. Que vous soyez gentils avec lui ou pas ne l'empêchera pas de vous haïr parfois, de trouver que vous mangez mal, que vous élevez vos enfants mal et que vous êtes racistes : il était ingénieur là-bas, ici il conduit un taxi. ( c'est juste un exemple Ibn-Adam, d'habitude je prends Adhrhar comme exemple parcequ'il m'a donné carte balanche, mais là Adhrhar ne fitte pas avec la poutine et Montréal )
Cela lui prendra des années pour muer, pour sortir de sa vieille peau d'Algérien. Vous n'y pouvez rien. Pouvez caresser une chenille du bout du doigt, lui dire t'es belle, lui dire t'es fine, cela ne la fera pas devenir papillon plus vite.
Un matin, longtemps , longtemps après son arrivée à l'aéroport, l'immigrant Ibn-Adam débarque enfin. Bienvenue ! S'en suit souvent une période de grande exaltation, tout ce qui l'horripilait le ravit, il se met à manger la poutine (un mélange de frites, fromage et sauce brune ), achète sa première paire de raquettes, va en vacances au Nouveau-Brunswick, et dans certains cas extrêmes écoute Virginie ( moussalssal québécois ) le soir à la télévision. Cette phase gaga-Québec ne dure pas très longtemps. Un autre matin, il se réveille en sacrant, F u c k ! Moins 25, quel pays de m e r d e. Il est désormais comme vous et Kikka, vous les québecois et québecoises de souche, mais surtout comme Kikka, à cause de l'accent.
Vous n'êtes pas de Montréal ?
Non, je viens d'un village près du Havre St-Pierre... Un village à cent milles kilomètres de Montréal. Son mari, décédé, était fermier. Des vaches. Combien de vaches ? Quelques dizaines. Des moutons aussi. Des chevaux. Et deux enfants... Vous incluez Claude dans le troupeau ? T'es ben comique toi ! Elle rit de les avoir inclus dans le troupeau. Elle me dit que chez elle, il n'y a pas une seule colline, c'est plat à l'infini. En ce moment, tout est gelé, mais cela ne durera pas longtemps. Tout deviendra vert et mouillé. Et ils sont tous des fermiers là-bas... Ah oui ! Même les immigrants sont des fermiers ?... Y viennent pas chez nous les étrangers, le seul étranger, c'est l'Indonésien qui tient le restaurant. Il se tient avec personne, tout seul, tous le temps. Je me sens comme lui maintenant. Étrangère. Même que ma tête est pas toute là. Des fois, je pleure, je pleure, j'ai le goût de retourner chez moi, dans mon village... Et pourquoi vous faîtes pas madame ?... Mais j'ai vendu les vaches, les chevaux, plus capable de m'organiser toute seule, pis, Claude veut plus m'aider, veut plus retourner... Ça prend un peu de temps madame, vous allez vous habituer à la grande ville, certainement.
On a parlé de la vie. L'école, les hôpitaux, la retraite, les impôts, je vous résume: c'est comme à Montréal... Vous étiez heureuse, là-bas, dans votre village ? La question la surprend. Elle me la retourne. Vous étiez heureux, là-bas, dans votre pays ? Des fois, je lui réponds. Elle aime ma réponse. Elle dit: so, moi aussi, des fois. Racontez-moi une fois, je lui demande. Elle y pense un peu: le dimanche soir, quand on allait au restaurant avec mon mari et les enfants.
- Chez l'Indonésien ?
- Oui.
- Vous mangez quoi ?
- De la pizza.
- Chez l'Indonésien ?
- Ben oui, pourquoi ?
On venait de passer sur le pont qui relie Montréal à notre banlieue. Je peux vous demander quelque chose d'un peu particulier, madame ? Me chanteriez-vous la petite chanson de « Souigne la bacaisse dans l'fond d'la boîte à bois » ? Elle rit. Si vous m'en chantez une de chez vous aussi, elle dit. O.K., mais vous d'abord. Elle toussote un peu et se met à fredonner : C’est Nicolas de Saint-Albert / Son estomac tout à l’envers / Son bon fromage y’a renvoyé / Sur la robe d’la belle Aimée / A ouigne-a-han, a ouigne-a-han / Souigne la bacaisse dans l’fond d’la boîte à bois... À vous maintenant, elle dit, allez une chanson de ton pays. O.K madame, elle s'appelle Chabba Khayra, une voix très puissante, je pense même qu'elle est dotée de 49 cordes vocales. Et je lui mets le CD à fond : Vraiment ana ana ana / Kouali gualbi / m3a da radjel / maniche sûr ah / La mokhlata 3omri barkani yeh / Halfa a3lih nekoui gualbi yeh / Halfa a3lih ana ça y'est yeeeh...
C'était un moment fort pour moi, j'aime cette chanson, mais je voyais bien qu'elle, elle ne l'aimait pas. So, j'ai arrêté ça à la fin de l'istikhbar lol. Je l'ai laissé devant chez son fils. Merci monsieur. Je vous en prie madame.
Anyway, tout ça parce que je viens de lire deux topics, un à Damlagul « Pensez-vous retourner dans votre pays d'origine un jour » et l'autre à El Hadja Fatima45 « Je n'ai pas de chez moi ». Et cette femme chez elle, qui se sent pas chez elle. Et ces gens à la télévision qui parlent depuis quelques semaines des immigrants, s'interroger sur la qualité de l'accueil de la société québecoise, un autre débat à ras les pâquerettes, pas de remise en question du modèle d'intégration, l'accueil au sens premier, bonjour, bienvenue au Québec. C'est quoi votre accent ? Ou alors : si t'es pas content, r'tourne d'où tu viens.
Si vous saviez comme l'immigrant n'entend rien de ce que vous dites, si vous saviez comme son monde est loin du vôtre, les premières années du moins. Si vous saviez comme « société ouverte » ou « modèle d'intégration » sont des concepts qui ne lui disent rien. Si vous saviez. Mais de toute évidence vous ne savez pas. Tiens, juste pour le fun, c'est quoi un immigrant ? Je pose la question aux autochtones. C'est quoi un immigrant, hein ? Ouaiis, je savais que vous alliez dire ça. Non, ce n'est pas quelqu'un d'un autre pays qui vient s'installer chez vous.
Un immigrant est d'abord un émigrant comme la madame qui se sent étrangère chez elle. Prenons un exemple, mettons une personne qui vit à Montréal, Kikka du forum par exemple, non pas Kikka, elle a dit qu'elle se sentait tout à fait chez elle au Québec, mettons Ibn-Adam du forum qui répondait, aussi, dans le topic d'El Hadja Fatima45. En dépit des apparences, l'immigrant Ibn-Adam n'arrive pas. Il QUITTE. Et il va rester dans cet état « de partance » pendant plusieurs année. Vous ne pouvez pas l'aider. Le temps qu'il mettra à s'intégrer ne dépend pas du « ici », mais du « là-bas », ce là-bas qu'il pensait quitter, mais qui l'a suivi.
Il a satisfait à toutes les demandes, il a passé la visite médicale, il est enfin reçu, il fait ses adieux, adieu parents, adieu amis, adieu pauvre pays... Il s'en va vers la modernité. Il s'en va vers son avenir. Il s'en va au Canada.
Il arrive. S'installe. Et découvre quoi au bout de six mois ? Que la réalité n'est pas tout à fait comme dans son rêve ? Oui, mais ça il s'y attendait, il n'est pas si con. Ce à quoi il ne s'attendait pas, par contre, ce qu'il découvre, stupéfait, c'est que ce pays qu'il pensait avoir quitté, l'Algérie, ce pays l'a suivi au Canada. Un an, deux ans, trois ans plus tard, il n'est toujours pas ici. Dans le plus banal des gestes du quotidien, quand il mange, quand il écoute le téléjournal et se demande où est La Tuque, quand il n'en a rien à foutre que l'équipe de hochey de Montréal ait gagné 5 à 3 contre New-York, il est encore de là-bas. Que vous soyez gentils avec lui ou pas ne l'empêchera pas de vous haïr parfois, de trouver que vous mangez mal, que vous élevez vos enfants mal et que vous êtes racistes : il était ingénieur là-bas, ici il conduit un taxi. ( c'est juste un exemple Ibn-Adam, d'habitude je prends Adhrhar comme exemple parcequ'il m'a donné carte balanche, mais là Adhrhar ne fitte pas avec la poutine et Montréal )
Cela lui prendra des années pour muer, pour sortir de sa vieille peau d'Algérien. Vous n'y pouvez rien. Pouvez caresser une chenille du bout du doigt, lui dire t'es belle, lui dire t'es fine, cela ne la fera pas devenir papillon plus vite.
Un matin, longtemps , longtemps après son arrivée à l'aéroport, l'immigrant Ibn-Adam débarque enfin. Bienvenue ! S'en suit souvent une période de grande exaltation, tout ce qui l'horripilait le ravit, il se met à manger la poutine (un mélange de frites, fromage et sauce brune ), achète sa première paire de raquettes, va en vacances au Nouveau-Brunswick, et dans certains cas extrêmes écoute Virginie ( moussalssal québécois ) le soir à la télévision. Cette phase gaga-Québec ne dure pas très longtemps. Un autre matin, il se réveille en sacrant, F u c k ! Moins 25, quel pays de m e r d e. Il est désormais comme vous et Kikka, vous les québecois et québecoises de souche, mais surtout comme Kikka, à cause de l'accent.
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