Par son ordonnance du 26 août 2016, le juge des référés du Conseil d’État français a affirmé, avec force, qu’il n’existait pas de laïcité balnéaire et que l’ordre public n’était pas une notion politique extensible à l’infini, permettant de subvertir l’État de droit.
Il convient de s’en réjouir. Pour l’État de droit d’abord, car personne d’autre que le Conseil d’État n’est mieux à même de remplir ce rôle, chargé qu’il est de contrôler les fautes, dérives et outrances de l’autorité administrative centrale comme locale. Pour la garantie des libertés individuelles ensuite, car au-delà du cas particulier du burkini, c’est la liberté tout entière qui est menacée, lorsque le pouvoir politique s’arroge le droit de restreindre les libertés de certains, pour des motifs tenant bien plus de l’opportunisme politique que de la bonne administration, a fortiori en s’abstrayant largement des normes juridiques supérieures.
Donc, ce Conseil d’État, légitimement critiqué ces dernières années, eu égard à plusieurs décisions pouvant être perçues comme serviles à l’égard du pouvoir politique, a rendu la meilleure décision possible en droit, bravant même les méchantes rodomontades du Premier ministre sur le sujet.
Cette décision est une bonne surprise, mais nous nous affligeons d’observer certains exulter littéralement devant l’ordonnance du Conseil d’État, comme si ce dernier venait, en quelques pages et en référé, d’abolir la violence, la misère ou la haine.
Il faut en effet être un raciste angélique ou un arriéré phallocrate pour trouver que le burkini est quelque chose de formidable. Non. Le burkini est certes un objet ambigu, comme cela a été écrit et dit partout ces dernières semaines, mais il est assurément porteur d’une régression, d’une symbolique lourdement inégalitaire, d’un rappel “textilement” un peu grotesque, que l’impératif de pudeur islamique reste d’abord un outil traditionnel de domination masculine. La vérité empirique de cette pudeur est, en effet, qu’elle est presque exclusivement féminine.
Cette victoire judiciaire n’est pas un blanc-seing donné à la communauté musulmane pour qu’elle se laisse glisser, tranquillement mais sûrement, dans le néant d’une religion vidée de sa spiritualité et de son génie. Les obsessionnels du vêtement “islamiquement” correct sont bien plus dans les ressorts psychologiques des sapeurs de Kinshasa, que dans ceux du croyant sincère. Que vaut une religion quand elle n’est plus qu’une dichotomie du haram et du halal ? Or, cette misérable histoire de burkini a encore plus servi la cause d’un islam puéril. Un islam qui ne fonctionnerait dans les représentations collectives qu’à travers quelques saillances cognitives, toutes plus négatives les unes que les autres.
Encore une fois, le problème n’est pas, intrinsèquement, que des femmes portent un “burkini”, il est dans une sorte de construction d’un paradigme islamo-phallo-débile morbide dont le burkini est une des nouvelles occurrences.
Ce paradigme n’est pas que le fruit de médias forcément islamophobes ou d’élites françaises forcément néo-colonialistes, mais il est parfaitement co-construit par les musulmans eux-mêmes et contre eux-mêmes.
Au cœur de ce paradigme, qui tire tout le monde vers le bas, il y a la place des femmes. Plus que jamais, elle est la mère de toutes les batailles. Une bataille d’autant plus possible à mener que les textes sacrés sont bien moins inégalitaires que la doxa, y compris musulmane, tend à le véhiculer. Cette bataille est ainsi en réalité bien plus culturelle que théologique.
Il est d’ailleurs regrettable que le féminisme français actuel soit si lourdement fracturé sur ces questions. Le dépassement dialectique se trouvera au-delà d’une Elisabeth Badinter considérant, peu ou prou, que “le voile c’est la mort”, et de certains mouvements islamo/afro-féministes dont on se demande parfois si leur féminisme ne finit pas par se cantonner à la défense du droit des femmes à porter “librement” la burqa.
Karim Achoui
avocat, président de la Ligue de défense judiciaire des musulmans
Il convient de s’en réjouir. Pour l’État de droit d’abord, car personne d’autre que le Conseil d’État n’est mieux à même de remplir ce rôle, chargé qu’il est de contrôler les fautes, dérives et outrances de l’autorité administrative centrale comme locale. Pour la garantie des libertés individuelles ensuite, car au-delà du cas particulier du burkini, c’est la liberté tout entière qui est menacée, lorsque le pouvoir politique s’arroge le droit de restreindre les libertés de certains, pour des motifs tenant bien plus de l’opportunisme politique que de la bonne administration, a fortiori en s’abstrayant largement des normes juridiques supérieures.
Donc, ce Conseil d’État, légitimement critiqué ces dernières années, eu égard à plusieurs décisions pouvant être perçues comme serviles à l’égard du pouvoir politique, a rendu la meilleure décision possible en droit, bravant même les méchantes rodomontades du Premier ministre sur le sujet.
Cette décision est une bonne surprise, mais nous nous affligeons d’observer certains exulter littéralement devant l’ordonnance du Conseil d’État, comme si ce dernier venait, en quelques pages et en référé, d’abolir la violence, la misère ou la haine.
Il faut en effet être un raciste angélique ou un arriéré phallocrate pour trouver que le burkini est quelque chose de formidable. Non. Le burkini est certes un objet ambigu, comme cela a été écrit et dit partout ces dernières semaines, mais il est assurément porteur d’une régression, d’une symbolique lourdement inégalitaire, d’un rappel “textilement” un peu grotesque, que l’impératif de pudeur islamique reste d’abord un outil traditionnel de domination masculine. La vérité empirique de cette pudeur est, en effet, qu’elle est presque exclusivement féminine.
Cette victoire judiciaire n’est pas un blanc-seing donné à la communauté musulmane pour qu’elle se laisse glisser, tranquillement mais sûrement, dans le néant d’une religion vidée de sa spiritualité et de son génie. Les obsessionnels du vêtement “islamiquement” correct sont bien plus dans les ressorts psychologiques des sapeurs de Kinshasa, que dans ceux du croyant sincère. Que vaut une religion quand elle n’est plus qu’une dichotomie du haram et du halal ? Or, cette misérable histoire de burkini a encore plus servi la cause d’un islam puéril. Un islam qui ne fonctionnerait dans les représentations collectives qu’à travers quelques saillances cognitives, toutes plus négatives les unes que les autres.
Encore une fois, le problème n’est pas, intrinsèquement, que des femmes portent un “burkini”, il est dans une sorte de construction d’un paradigme islamo-phallo-débile morbide dont le burkini est une des nouvelles occurrences.
Ce paradigme n’est pas que le fruit de médias forcément islamophobes ou d’élites françaises forcément néo-colonialistes, mais il est parfaitement co-construit par les musulmans eux-mêmes et contre eux-mêmes.
Au cœur de ce paradigme, qui tire tout le monde vers le bas, il y a la place des femmes. Plus que jamais, elle est la mère de toutes les batailles. Une bataille d’autant plus possible à mener que les textes sacrés sont bien moins inégalitaires que la doxa, y compris musulmane, tend à le véhiculer. Cette bataille est ainsi en réalité bien plus culturelle que théologique.
Il est d’ailleurs regrettable que le féminisme français actuel soit si lourdement fracturé sur ces questions. Le dépassement dialectique se trouvera au-delà d’une Elisabeth Badinter considérant, peu ou prou, que “le voile c’est la mort”, et de certains mouvements islamo/afro-féministes dont on se demande parfois si leur féminisme ne finit pas par se cantonner à la défense du droit des femmes à porter “librement” la burqa.
Karim Achoui
avocat, président de la Ligue de défense judiciaire des musulmans
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