En regrettant l'absence de Ben Arfa et Benzema en équipe de France pour l'Euro 2016, Jamel Debbouze se voit accuser de communautarisme. Et pourtant, ce que dit l'humoriste des Bleus dit aussi le malaise d'une France qui se sent rejetée par une autre France.
Brice Hortefeux condamne les propos de Jamel Debbouze, défenseur de la cause de Benzema et Ben Arfa. Qui pourra s’en étonner? Se poser en avocat de ces deux-là, aujourd’hui en France, c’est s’exposer à l’accusation immédiate de "communautarisme". "L’équipe de France constituée doit être constituée des meilleurs donc le communautarisme, ce n’est pas notre projet de société. Le communautarisme, c’est l’inverse de ce que nous pensons utile à notre société", a déclaré le représentant Les Républicains au micro d’Europe 1.
De la part d’un ancien ministre de Nicolas Sarkozy, membre d’un gouvernement qui lança en son temps un débat insensé sur l’identité nationale réduite aux seules racines chrétiennes de la France, l’accusation n’est pas dépourvue d’ironie dramatique. Sauf que Jamel Debbouze n’est pas Cantona. Qu’il ne succombe pas au poison de l’islamo-gauchisme différencialiste. Qu’il ne formule aucune accusation de racisme envers Didier Deschamps. Et qu’il pose en vérité la question de l’intégration à travers le prisme social, lui-même déterminé par le prisme identitaire et culturel.
Donc, Brice Hortefeux vise les propos tenus par Jamel Debbouze dans France football. Grand connaisseur de football, l’humoriste déplore l’absence de deux grands joueurs à l’occasion de l’Euro 2016: "Ce sera une fête avec deux convives très importants qui manquent à l’appel: avec Benzema et Ben Arfa, la fête aurait été plus folle."
Et de rappeler leur talent: "Benzema est l’un des meilleurs attaquants du monde. Ben Arfa, lui, est le meilleur joueur français de la saison en Ligue 1, c’est incontestable, tout le monde l’a vu".
Et d’insister sur le symbole que ces deux-là emportent avec eux: "Ces gamins représentent en plus tellement de choses, notamment en banlieues. N’avoir aucun de "nos" représentants en équipe de France…"
Et de terminer en abordant le problème, non sous l’angle d’un improbable racisme, mais sous l’angle social: "Karim Benzema, et par extension Hatem Ben Arfa, payent la situation sociale de la France d’aujourd’hui".
Les Français ne se reconnaissent plus dans les Bleus
Nous pensons ici qu’il convient d’entendre Debbouze plutôt que de crier au loup communautariste, par réflexe, tel un chroniqueur de Causeur agenouillé devant l’icône sépia d’Alain Finkielkraut, plongé en transe extatique, rosaire identitaire en mains, et psalmodiant du Péguy, "O peuple inventeur de la cathédrale, Je ne t’ai point trouvé léger en foi.
O peuple inventeur de la croisade, Je ne t’ai point trouvé léger en charité"...
Commençons par un constat: des Français ne se reconnaissent pas dans l’équipe de France de football qui s’en va disputer l’Euro 2016. Des Français nés en France, de parents et grands-parents originaires d’Afrique du nord et de culture (entendu au sens large) musulmane. C’est un fait incontestable, il suffit de se promener sur les réseaux sociaux pour le constater, et dont les propos de Jamel Debbouze sont l’écho incontournable. Et il ne suffit pas de brandir (comme le font certains commentateurs des choses du football, qui ne s’y intéressent que lorsqu’il s’agit d’en faire un instrument de lutte identitaire) les noms de Sagna, Sissoko et autres Pogba pour dissiper le malaise identifié par Jamel Debbouze. D’où l’importance de la question sociale, dépassant la problématique du racisme si mal posée par Cantona.
Depuis 1998, l’équipe de France de football est devenue un objet politique symbolique. Pour le meilleur, France Black-Blanc-Beur de 1998. Et pour le pire, France du bus de Knysna 2010.
Le pouvoir sarkozyste, ayant décidé d’instrumentaliser le naufrage français de la Coupe du Monde en Afrique du Sud, a beaucoup contribué à métamorphoser les Bleus en objet de lutte identitaire. Faut-il rappeler ici que les gamineries stupides de Ribéry, Abidal, Anelka et les autres ont été commentées, à l’époque, par le président de la République lors d’un sommet en compagnie de Poutine à Moscou et ont ensuite fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire dont les débats se sont déroulés sur fond de délire identitaire?
C’est dans ce contexte qu’il faut aujourd’hui entendre, et comprendre, pour expliquer, la plaidoirie de Jamel Debbouze en faveur de Ben Arfa et Benzema.
De quoi Debbouze est-il le révélateur? De ce que le malaise identitaire français, est générateur d’exclusion sociale. Qu’à force de livrer les écrans de télévision, les antennes radios, les colonnes de journaux, les sites internet, aux identitaires de toutes sortes, qui ne cessent de brandir la menace d’une insécurité culturelle visant sans cesse les mêmes personnes, la même culture, la même religion, se génère une exclusion sociale qui frappe tous ceux qui sont identifiés à ce groupe humain. Même des footballeurs de haut niveau. Et quand bien même Debbouze ne distingue pas entre les cas Benzema et Ben Arfa (le premier étant compromis dans une affaire de chantage, le second étant surtout victime de ses mauvaises relations avec Deschamps) il faut entendre que désormais, aux yeux du comédien comme de bien des Français issus de la même culture que lui, Ben Arfa et Benzema sont devenus les symboles de ce qu’une partie de la France est rejetée par l’autre.
Un combat sur le même terrain
Autrement dit, à travers les propos de Jamel Debbouze, une France identitaire répond à une France identitaire. A une insécurité culturelle répond une autre insécurité culturelle. Puisque les politiques, les sarkozystes en tête, on fait de l’équipe de France un objet politique de combat identitaire, il est normal que les cibles de ce combat mènent le combat sur le même terrain.
Que dit Debbouze en vérité? Qu’il est un Français, né en France, ayant grandi en France, authentiquement Français et qu’à ce titre, quand bien même sa culture n’est pas conforme à l’idée que s’en font ceux qui entendent la réduire aux racines chrétiennes de la France, il doit jouir des mêmes droits. Que cela vaut aussi pour Ben Arfa et Benzema, emblèmes d’une partie de la France qui souffre. Et que le sentiment de peur alimenté en permanence par les prophètes de l’identité malheureuse finit par générer un malaise social insupportable pour ceux qui en sont victimes, Ben Arfa et Benzema étant les symboles de ce malaise.
Admettons un instant, comme le proclame Brice Hortefeux, que les propos de Jamel Debbouze constituent bel et bien une revendication "communautariste". Alors surgit la question du "pourquoi cette revendication", et la réponse qui s’impose avec: s’il y a demande "communautariste", c’est parce qu’il se répand dans la société, le sentiment partagé par bien des Français qu’ils sont victimes d’un rejet culturel qui engendre un rejet social.
En clair, ce n’est pas une demande communautariste que formule Debbouze en regrettant l’absence des symboles Ben Arfa et Benzema en équipe de France, c’est une demande d’inclusion dans la société, avec reconnaissance de ce que la France n’est pas réductible à une identité uniquement judéo-chrétienne, productrice d’exclusion sociale.
Jamel Debbouze a compris que la meilleure façon de traiter des cas Ben Arfa et Benzema, c’était de pointer que le combat social est conditionné par combat culturel. A sa façon, il fait du Gramsci.
challenges fr
Brice Hortefeux condamne les propos de Jamel Debbouze, défenseur de la cause de Benzema et Ben Arfa. Qui pourra s’en étonner? Se poser en avocat de ces deux-là, aujourd’hui en France, c’est s’exposer à l’accusation immédiate de "communautarisme". "L’équipe de France constituée doit être constituée des meilleurs donc le communautarisme, ce n’est pas notre projet de société. Le communautarisme, c’est l’inverse de ce que nous pensons utile à notre société", a déclaré le représentant Les Républicains au micro d’Europe 1.
De la part d’un ancien ministre de Nicolas Sarkozy, membre d’un gouvernement qui lança en son temps un débat insensé sur l’identité nationale réduite aux seules racines chrétiennes de la France, l’accusation n’est pas dépourvue d’ironie dramatique. Sauf que Jamel Debbouze n’est pas Cantona. Qu’il ne succombe pas au poison de l’islamo-gauchisme différencialiste. Qu’il ne formule aucune accusation de racisme envers Didier Deschamps. Et qu’il pose en vérité la question de l’intégration à travers le prisme social, lui-même déterminé par le prisme identitaire et culturel.
Donc, Brice Hortefeux vise les propos tenus par Jamel Debbouze dans France football. Grand connaisseur de football, l’humoriste déplore l’absence de deux grands joueurs à l’occasion de l’Euro 2016: "Ce sera une fête avec deux convives très importants qui manquent à l’appel: avec Benzema et Ben Arfa, la fête aurait été plus folle."
Et de rappeler leur talent: "Benzema est l’un des meilleurs attaquants du monde. Ben Arfa, lui, est le meilleur joueur français de la saison en Ligue 1, c’est incontestable, tout le monde l’a vu".
Et d’insister sur le symbole que ces deux-là emportent avec eux: "Ces gamins représentent en plus tellement de choses, notamment en banlieues. N’avoir aucun de "nos" représentants en équipe de France…"
Et de terminer en abordant le problème, non sous l’angle d’un improbable racisme, mais sous l’angle social: "Karim Benzema, et par extension Hatem Ben Arfa, payent la situation sociale de la France d’aujourd’hui".
Les Français ne se reconnaissent plus dans les Bleus
Nous pensons ici qu’il convient d’entendre Debbouze plutôt que de crier au loup communautariste, par réflexe, tel un chroniqueur de Causeur agenouillé devant l’icône sépia d’Alain Finkielkraut, plongé en transe extatique, rosaire identitaire en mains, et psalmodiant du Péguy, "O peuple inventeur de la cathédrale, Je ne t’ai point trouvé léger en foi.
O peuple inventeur de la croisade, Je ne t’ai point trouvé léger en charité"...
Commençons par un constat: des Français ne se reconnaissent pas dans l’équipe de France de football qui s’en va disputer l’Euro 2016. Des Français nés en France, de parents et grands-parents originaires d’Afrique du nord et de culture (entendu au sens large) musulmane. C’est un fait incontestable, il suffit de se promener sur les réseaux sociaux pour le constater, et dont les propos de Jamel Debbouze sont l’écho incontournable. Et il ne suffit pas de brandir (comme le font certains commentateurs des choses du football, qui ne s’y intéressent que lorsqu’il s’agit d’en faire un instrument de lutte identitaire) les noms de Sagna, Sissoko et autres Pogba pour dissiper le malaise identifié par Jamel Debbouze. D’où l’importance de la question sociale, dépassant la problématique du racisme si mal posée par Cantona.
Depuis 1998, l’équipe de France de football est devenue un objet politique symbolique. Pour le meilleur, France Black-Blanc-Beur de 1998. Et pour le pire, France du bus de Knysna 2010.
Le pouvoir sarkozyste, ayant décidé d’instrumentaliser le naufrage français de la Coupe du Monde en Afrique du Sud, a beaucoup contribué à métamorphoser les Bleus en objet de lutte identitaire. Faut-il rappeler ici que les gamineries stupides de Ribéry, Abidal, Anelka et les autres ont été commentées, à l’époque, par le président de la République lors d’un sommet en compagnie de Poutine à Moscou et ont ensuite fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire dont les débats se sont déroulés sur fond de délire identitaire?
C’est dans ce contexte qu’il faut aujourd’hui entendre, et comprendre, pour expliquer, la plaidoirie de Jamel Debbouze en faveur de Ben Arfa et Benzema.
De quoi Debbouze est-il le révélateur? De ce que le malaise identitaire français, est générateur d’exclusion sociale. Qu’à force de livrer les écrans de télévision, les antennes radios, les colonnes de journaux, les sites internet, aux identitaires de toutes sortes, qui ne cessent de brandir la menace d’une insécurité culturelle visant sans cesse les mêmes personnes, la même culture, la même religion, se génère une exclusion sociale qui frappe tous ceux qui sont identifiés à ce groupe humain. Même des footballeurs de haut niveau. Et quand bien même Debbouze ne distingue pas entre les cas Benzema et Ben Arfa (le premier étant compromis dans une affaire de chantage, le second étant surtout victime de ses mauvaises relations avec Deschamps) il faut entendre que désormais, aux yeux du comédien comme de bien des Français issus de la même culture que lui, Ben Arfa et Benzema sont devenus les symboles de ce qu’une partie de la France est rejetée par l’autre.
Un combat sur le même terrain
Autrement dit, à travers les propos de Jamel Debbouze, une France identitaire répond à une France identitaire. A une insécurité culturelle répond une autre insécurité culturelle. Puisque les politiques, les sarkozystes en tête, on fait de l’équipe de France un objet politique de combat identitaire, il est normal que les cibles de ce combat mènent le combat sur le même terrain.
Que dit Debbouze en vérité? Qu’il est un Français, né en France, ayant grandi en France, authentiquement Français et qu’à ce titre, quand bien même sa culture n’est pas conforme à l’idée que s’en font ceux qui entendent la réduire aux racines chrétiennes de la France, il doit jouir des mêmes droits. Que cela vaut aussi pour Ben Arfa et Benzema, emblèmes d’une partie de la France qui souffre. Et que le sentiment de peur alimenté en permanence par les prophètes de l’identité malheureuse finit par générer un malaise social insupportable pour ceux qui en sont victimes, Ben Arfa et Benzema étant les symboles de ce malaise.
Admettons un instant, comme le proclame Brice Hortefeux, que les propos de Jamel Debbouze constituent bel et bien une revendication "communautariste". Alors surgit la question du "pourquoi cette revendication", et la réponse qui s’impose avec: s’il y a demande "communautariste", c’est parce qu’il se répand dans la société, le sentiment partagé par bien des Français qu’ils sont victimes d’un rejet culturel qui engendre un rejet social.
En clair, ce n’est pas une demande communautariste que formule Debbouze en regrettant l’absence des symboles Ben Arfa et Benzema en équipe de France, c’est une demande d’inclusion dans la société, avec reconnaissance de ce que la France n’est pas réductible à une identité uniquement judéo-chrétienne, productrice d’exclusion sociale.
Jamel Debbouze a compris que la meilleure façon de traiter des cas Ben Arfa et Benzema, c’était de pointer que le combat social est conditionné par combat culturel. A sa façon, il fait du Gramsci.
challenges fr
Commentaire