Deux semaines avant Alain Magloire, un autre itinérant a eu une fin tragique dans le métro
CAMILLE LAURIN-DESJARDINS
JOURNAL DE MONTRÉAL, PUBLIÉ LE: MERCREDI 05 FÉVRIER 2014
Radil Hebrich
En quelques mois, Radil Hebrich est passé d’architecte de renom, en Algérie, à sans-abri, dans les rues de Montréal. Cet homme, que rien ne prédestinait à vivre dans la rue, est décédé tragiquement il y a deux semaines, après avoir été happé par un wagon de métro.
La mort de M. Hebrich n’est pas sans rappeler celle d’Alain Magloire, abattu tragiquement par les policiers, lundi. Rien ne semblait prédestiner ce chercheur, père de deux enfants, à devenir sans-abri.
Les circonstances de sa mort sont très différentes, puisqu’il s’agit d’un bête accident. Mais l’homme d’origine algérienne faisait aussi partie de ces êtres qui ont échappé au système, bien qu’ils aient tout pour réussir.
« Il ne voulait pas partir »
Radil Hebrich, 59 ans, est décédé le 16 janvier, au métro Langelier. Il marchait près de la rame de métro, quand il aurait trébuché, la tête au-dessus des rails.
Selon la police, il était en état d’ébriété. C’est à ce moment qu’un wagon serait arrivé et lui aurait heurté la tête de plein fouet. L’homme laisse derrière lui une bien triste histoire, lui qui était sur la bonne voie pour se sortir de son malheur.
«On est tous sous le choc… Tout le monde l’adorait», a confié sa sœur Djanet Zahia Hebrih, jointe par le Journal à Annaba, en Algérie, quelques jours après le décès de son frère.
M. Hebrich venait de commencer à reprendre sa vie en main, après des années plutôt difficiles. Il était arrivé au Québec en 2010 avec sa femme et ses enfants.
«Il ne voulait pas partir, affirme sa sœur, Djanet. Mais sa femme partait avec les enfants, alors…»
M. Hebrich était un architecte reconnu en Algérie** et âgé dans la mi-cinquantaine, il n’avait nulle envie de quitter le pays pour repar*tir à zéro. Mais il ne voulait pas vivre loin de ses enfants, selon sa sœur. Arrivé au Canada, le couple aurait divorcé. «Sa femme l’a jeté dehors», raconte Djanet.
De fil en aiguille, il se serait retrouvé à la rue. Avec l’organisme Mission Old Brewery, il a suivi un programme de réinsertion sociale.
Un homme travaillant
«C’était une personne très travaillante, raconte Teodor Vidam, le conseiller du refuge pour hommes qui s’est occupé de Radil. Il essayait de rebâtir sa vie. Il essayait tellement! Il était très calme et il prenait toutes les ressources que je lui donnais.»
Mais Radil semblait avoir beaucoup de difficulté à se trouver un emploi. M. Vidam se souvient qu’il a quitté le refuge il y a près d’un an, après qu’il l’eut aidé à se trouver un logement.
«Je n’ai plus eu de nouvelles de lui après, se souvient M. Vidam. Il s’était trouvé un logement, alors j’espérais que tout allait bien. Je l’ai croisé quelque temps après, au Salon de l’emploi. Il était venu déposer des CV.»
Selon Djanet Zahia Hebrih, son frère s’était finalement trouvé un emploi, mais elle ne sait pas dans quelle branche. Il était d’ail*leurs allé rendre visite à sa famille, en Algérie, en novembre. «Il est resté un mois, c’était fantastique. Il allait très bien. Quand j’y repense, j’ai l’impression qu’il nous a fait ses adieux, au moins… C’est fou, la vie!», lance-t-elle d’une voix émue, à l’autre bout du fil.
Teodor Vidam a été terrassé d’apprendre la mort accidentelle et bête de l’homme qu’il avait aidé à se remettre sur pied. «Je n’ai pas de mots pour le décrire, dit-il doucement, réprimant un sanglot. C’était tellement un homme bon! Il était très respectueux et reconnaissant envers moi. Je me souviendrai toujours de sa moustache!» ajoute-t-il, un sourire dans la voix.
La dépouille de Radil Hebrich a été envoyée à Annaba, où sa famille a procédé à l’enterrement.
MANQUE DE SOUTIEN AUX IMMIGRANTS
Le manque de ressources et de soutien pour les immigrants à leur arrivée au Québec est criant, constate Sylvain Thibault, directeur du Projet Refuge, à Montréal.
Ce programme d’aide aux réfugiés offre une ressource d’hébergement pour hommes réfugiés ou demandeurs d’asile, la Maison Haidar, et un soutien aux nouveaux arrivants se retrouvant dans une situation difficile.
Selon M. Thibault, de plus en plus de personnes vivant dans la rue sont des immigrants qui n’ont pas reçu assez de soutien.
Diplômes
Évidemment, une partie du problème est le manque de reconnaissance des diplômes, sur lequel le gouvernement du Québec est en train de se pencher. Mais ce n’est pas tout.
«Le problème, c’est qu’on ne reconnaît pas la spécificité des besoins de ces gens-là à leur arrivée et l’ampleur du choc culturel qu’ils vivent», poursuit M. Thibault.
Plusieurs des résidents de la Maison Haidar proviennent de refuges pour sans-abri. «J’ai reçu des hommes, ici, qui arrivaient complètement traumatisés. Vous imaginez le choc pour un médecin ou un diplomate qui se retrouve dans un refuge pour sans-abri où il peut y avoir du racisme, de l’alcoolisme ou de la toxicomanie...»
M. Thibault déplore que le Projet Refuge soit le seul organisme à offrir** des services du genre dans la métropole, alors que le taux d’occupation de la Maison Haidar est de 100 %.
«À un moment donné, il va falloir qu’on se pose la question collectivement: pourquoi y en a-
t-il tant qui se retrouvent en situation de pauvreté** extrême?»
CAMILLE LAURIN-DESJARDINS
JOURNAL DE MONTRÉAL, PUBLIÉ LE: MERCREDI 05 FÉVRIER 2014
Radil Hebrich
En quelques mois, Radil Hebrich est passé d’architecte de renom, en Algérie, à sans-abri, dans les rues de Montréal. Cet homme, que rien ne prédestinait à vivre dans la rue, est décédé tragiquement il y a deux semaines, après avoir été happé par un wagon de métro.
La mort de M. Hebrich n’est pas sans rappeler celle d’Alain Magloire, abattu tragiquement par les policiers, lundi. Rien ne semblait prédestiner ce chercheur, père de deux enfants, à devenir sans-abri.
Les circonstances de sa mort sont très différentes, puisqu’il s’agit d’un bête accident. Mais l’homme d’origine algérienne faisait aussi partie de ces êtres qui ont échappé au système, bien qu’ils aient tout pour réussir.
« Il ne voulait pas partir »
Radil Hebrich, 59 ans, est décédé le 16 janvier, au métro Langelier. Il marchait près de la rame de métro, quand il aurait trébuché, la tête au-dessus des rails.
Selon la police, il était en état d’ébriété. C’est à ce moment qu’un wagon serait arrivé et lui aurait heurté la tête de plein fouet. L’homme laisse derrière lui une bien triste histoire, lui qui était sur la bonne voie pour se sortir de son malheur.
«On est tous sous le choc… Tout le monde l’adorait», a confié sa sœur Djanet Zahia Hebrih, jointe par le Journal à Annaba, en Algérie, quelques jours après le décès de son frère.
M. Hebrich venait de commencer à reprendre sa vie en main, après des années plutôt difficiles. Il était arrivé au Québec en 2010 avec sa femme et ses enfants.
«Il ne voulait pas partir, affirme sa sœur, Djanet. Mais sa femme partait avec les enfants, alors…»
M. Hebrich était un architecte reconnu en Algérie** et âgé dans la mi-cinquantaine, il n’avait nulle envie de quitter le pays pour repar*tir à zéro. Mais il ne voulait pas vivre loin de ses enfants, selon sa sœur. Arrivé au Canada, le couple aurait divorcé. «Sa femme l’a jeté dehors», raconte Djanet.
De fil en aiguille, il se serait retrouvé à la rue. Avec l’organisme Mission Old Brewery, il a suivi un programme de réinsertion sociale.
Un homme travaillant
«C’était une personne très travaillante, raconte Teodor Vidam, le conseiller du refuge pour hommes qui s’est occupé de Radil. Il essayait de rebâtir sa vie. Il essayait tellement! Il était très calme et il prenait toutes les ressources que je lui donnais.»
Mais Radil semblait avoir beaucoup de difficulté à se trouver un emploi. M. Vidam se souvient qu’il a quitté le refuge il y a près d’un an, après qu’il l’eut aidé à se trouver un logement.
«Je n’ai plus eu de nouvelles de lui après, se souvient M. Vidam. Il s’était trouvé un logement, alors j’espérais que tout allait bien. Je l’ai croisé quelque temps après, au Salon de l’emploi. Il était venu déposer des CV.»
Selon Djanet Zahia Hebrih, son frère s’était finalement trouvé un emploi, mais elle ne sait pas dans quelle branche. Il était d’ail*leurs allé rendre visite à sa famille, en Algérie, en novembre. «Il est resté un mois, c’était fantastique. Il allait très bien. Quand j’y repense, j’ai l’impression qu’il nous a fait ses adieux, au moins… C’est fou, la vie!», lance-t-elle d’une voix émue, à l’autre bout du fil.
Teodor Vidam a été terrassé d’apprendre la mort accidentelle et bête de l’homme qu’il avait aidé à se remettre sur pied. «Je n’ai pas de mots pour le décrire, dit-il doucement, réprimant un sanglot. C’était tellement un homme bon! Il était très respectueux et reconnaissant envers moi. Je me souviendrai toujours de sa moustache!» ajoute-t-il, un sourire dans la voix.
La dépouille de Radil Hebrich a été envoyée à Annaba, où sa famille a procédé à l’enterrement.
MANQUE DE SOUTIEN AUX IMMIGRANTS
Le manque de ressources et de soutien pour les immigrants à leur arrivée au Québec est criant, constate Sylvain Thibault, directeur du Projet Refuge, à Montréal.
Ce programme d’aide aux réfugiés offre une ressource d’hébergement pour hommes réfugiés ou demandeurs d’asile, la Maison Haidar, et un soutien aux nouveaux arrivants se retrouvant dans une situation difficile.
Selon M. Thibault, de plus en plus de personnes vivant dans la rue sont des immigrants qui n’ont pas reçu assez de soutien.
Diplômes
Évidemment, une partie du problème est le manque de reconnaissance des diplômes, sur lequel le gouvernement du Québec est en train de se pencher. Mais ce n’est pas tout.
«Le problème, c’est qu’on ne reconnaît pas la spécificité des besoins de ces gens-là à leur arrivée et l’ampleur du choc culturel qu’ils vivent», poursuit M. Thibault.
Plusieurs des résidents de la Maison Haidar proviennent de refuges pour sans-abri. «J’ai reçu des hommes, ici, qui arrivaient complètement traumatisés. Vous imaginez le choc pour un médecin ou un diplomate qui se retrouve dans un refuge pour sans-abri où il peut y avoir du racisme, de l’alcoolisme ou de la toxicomanie...»
M. Thibault déplore que le Projet Refuge soit le seul organisme à offrir** des services du genre dans la métropole, alors que le taux d’occupation de la Maison Haidar est de 100 %.
«À un moment donné, il va falloir qu’on se pose la question collectivement: pourquoi y en a-
t-il tant qui se retrouvent en situation de pauvreté** extrême?»
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