SALAM
La violence
Polemos : Et moi je te dis que tout n'est que violence sur la terre.
Irenos : Et moi que toute violence est condamnable par le seul fait qu'elle est violence.
Socrate : Il semble, chers amis, que déjà la violence est dans les mots que vous employez et que Eris qui ne connaît pas le repos s'est installée entre vous.
Polemos : Tu nous en vois bien marris - ô Socrate - car Irenos est un ami qui m'est cher mais dont je ne puis accepter qu'il se dirige le cœur léger sur une voie fausse.
Irenos : Et de mon côté je ne puis supporter que mon cher Polemos ait une opinion aussi dangereuse qui risque de l'entraîner à la fréquentation d'une société à rejeter.
Socrate : Je vous sais tous les deux amis de la vérité plus que de toute renommée mondaine, c'est pourquoi je crois possible de rapprocher vos points de vue, non dans l'espoir vain de contrer la fausseté de l'un ou de l'autre, mais dans la certitude de compléter sur tel point les manques de l'un par la surabondance de l'autre.
Polemos : Nous venions - ô Socrate - pour t'en prier.
Socrate : Eh bien, commençons par toi - ô Polemos - puisque tu viens de parler. Que tiens-tu pour vrai en cette matière ?
Polemos : Que depuis l'expulsion du sein de sa mère jusqu'au dernier soupir que lui arrache Atropos l'inflexible, la vie de l'homme est sous le signe et sous l'empire de la violence, que les hommes, comme les autres animaux, se nourrissent et subsistent grâce à la violence, que l'amour même est violence puisqu'il oblige souvent l'être aimé à accepter sa propre imperfection.
Irenos : Certes, mais cela n'entraîne pas que la violence soit bonne.
Socrate : Tu parleras tout à l'heure, Irenos, auparavant essayons de mieux comprendre ce que pense notre ami.
Irenos : Je m'efface devant ta sagesse.
Socrate : Pour toi donc, la violence est inévitable dès qu'il y a la vie. Tout être ne peut naître, subsister et courir que moyennant des violences répétées.
Polemos : Exactement.
Socrate : Et comme la vie ne peut être considérée que comme bonne, il faut qu'alors la violence soit bonne aussi.
Polemos : On ne saurait mieux dire.
Socrate : La violence est même plus grande quand l'être est plus grand, c'est pourquoi l'éducation de l'écolier nécessite davantage de violence en intensité et en durée que celle du petit de l'animal.
Polemos : Cela me paraît évident.
Socrate : Cependant on ne saurait approuver la violence du bandit ou de l'assassin.
Polemos : Non certes.
Socrate : Ni celle du tyran et encore moins celle du sophiste qui use de son autorité pour corrompre la jeunesse.
Polemos : La difficulté est de savoir qui corrompt la jeunesse.
Socrate : Tu parles d'or - ô Polemos - c'est pourquoi le juge doit être affamé de vérité, mais doit-il pour autant réfuter la violence ?
Polemos : Je ne le pense pas.
Socrate : Et peut-on considérer qu'il n'est plus dans le droit chemin s'il use de violence pour mettre l'assassin ou le brigand en prison, voire pour leur ôter la vie ?
Polemos : Je ne le pense pas.
Irenos : Puisses-tu excuser ma hardiesse -ô Socrate - mais il ne s'agit plus de violence mais d'emploi de la force.
Polemos : Simple question de mots.
Socrate : Tu ne dois pas prendre cela à la légère - ô Polemos - car ce n'est qu'avec le langage que l'on peut espérer chercher et trouver la vérité entre amis. Il faut donc chercher le sens exact des mots que l'on emploie.
Irenos et Polemos : Nous sommes tout à fait de cet avis.
Socrate : Il y a près de moi un jeune homme qui vient d'arriver et qui me semble avoir l'intelligence aussi grande que son visage est beau. Il a nom Plaitonos ou Pléston, je ne sais pas encore très bien mais je vous propose de lui confier la mission d'aller chercher le sens exact du mot violence…. Viens ici !
Le jeune homme : J'arrive ô mon beau maître !
Socrate : Les deux amis que voici ont quelque différend sur la nature, l'utilité voire la nécessité de la violence mais il se peut qu'ils n'entendent pas le mot de la même manière. Je te prie donc- mon jeune compagnon - de t'en aller consulter quelque Pythie afin de connaître le désir des dieux sur la signification de ce mot. Je te laisse le choix de la prêtresse, veille seulement à te hâter car nous brûlons du désir d'enrichir notre savoir.
Le jeune homme : J'y cours, ô mon beau maître…
Socrate : Voici que notre jeune ami au pied léger vole vers quelque grotte sans que, cher Polemos, nous ne lui ayons fait nulle violence !
Polemos : Je le reconnais bien volontiers.
Socrate : En attendant le verdict de la Pythie, j'aimerais quand même examiner avec toi, Irenos, les aspects sous lesquels le commun des mortels voit la violence.
Irenos : J'y consens bien volontiers.
Socrate : Il faut reconnaître que ce mot n'est pas toujours pris en mauvaise part.
Irenos : Voyons cela.
Socrate : On parle d'un orage violent ou d'une pluie violente pour désigner simplement des éléments en colère.
Irenos : C'est juste, mais il s'agit de choses matérielles… et chez les hommes la colère est définie comme une folie passagère, c'est-à-dire comme quelque chose de mauvais.
Socrate : Tu dis vrai, voyons donc plus avant. Lorsqu'on dit que l'ennemi a attaqué avec violence ou, au contraire qu'on l'a repoussé grâce à une violente contre-attaque, doit-on considérer que l'ennemi s'est mal conduit ou bien - tout au contraire - qu'il a agi conformément à sa nature ? La violence n'est-elle pas alors bien naturelle ?
Irenos : En effet.
Socrate : Le soldat qui empêche une troupe de bandits de terroriser les paysans n'utilise-t-il pas la violence ? Peut-on le lui reprocher ?
Irenos : Non, certes.
Socrate : Les lois ne font-elles pas violence à celui qui voudrait les enfreindre ? Lorsque le magistrat prononce une sentence, ne contraint elle point celui qui la reçoit, indépendamment du déplaisir qu'il pourrait en avoir ?
Irenos : C'est certain.
Socrate : Et celui qui a reçu la sentence ne doit-il pas s'y conformer ? Pour ma part je trouverai que c'est un mal de s'y soustraire et je ne pense jamais m'abaisser à cela, même au prix de ma propre vie.
Irenos : Tu es grand, ô Socrate.
Socrate : Il en est de même du père qui corrige son enfant. Mais ne dit-on pas lorsqu'on se force à accomplir quelque acte vertueux, ou que l'on s'exerce à maîtriser son corps, que l'on se fait violence ?
Irenos : C'est vrai.
Socrate : Et lequel est le plus proche de la dignité de l'homme, celui qui ayant déjà bu tend encore sa coupe ou celui qui, estimant que la mesure doit être gardée en toutes choses, se fait violence et refuse les services de l'échanson ?
Irenos : Mais c'est là - ô Socrate - une violence envers soi-même, non envers quelqu'un d'autre,
Socrate : Tu dis vrai, mais il paraît difficile d'admettre qu'une chose bonne pour soi soit mauvaise pour autrui, ce serait une exception Hapax legomenon -Or nous avons vu d'autres violences qui étaient bonnes… ...mais j'aperçois notre jeune coursier. Ne nous laisse pas dans l'attente plus longtemps, mon jeune ami et dis-nous vite quelle prêtresse tu as visitée et quel fut son message.
A SUIVRE...
La violence
Dialogue socratique sur le mode plaisant.
Polemos : Et moi je te dis que tout n'est que violence sur la terre.
Irenos : Et moi que toute violence est condamnable par le seul fait qu'elle est violence.
Socrate : Il semble, chers amis, que déjà la violence est dans les mots que vous employez et que Eris qui ne connaît pas le repos s'est installée entre vous.
Polemos : Tu nous en vois bien marris - ô Socrate - car Irenos est un ami qui m'est cher mais dont je ne puis accepter qu'il se dirige le cœur léger sur une voie fausse.
Irenos : Et de mon côté je ne puis supporter que mon cher Polemos ait une opinion aussi dangereuse qui risque de l'entraîner à la fréquentation d'une société à rejeter.
Socrate : Je vous sais tous les deux amis de la vérité plus que de toute renommée mondaine, c'est pourquoi je crois possible de rapprocher vos points de vue, non dans l'espoir vain de contrer la fausseté de l'un ou de l'autre, mais dans la certitude de compléter sur tel point les manques de l'un par la surabondance de l'autre.
Polemos : Nous venions - ô Socrate - pour t'en prier.
Socrate : Eh bien, commençons par toi - ô Polemos - puisque tu viens de parler. Que tiens-tu pour vrai en cette matière ?
Polemos : Que depuis l'expulsion du sein de sa mère jusqu'au dernier soupir que lui arrache Atropos l'inflexible, la vie de l'homme est sous le signe et sous l'empire de la violence, que les hommes, comme les autres animaux, se nourrissent et subsistent grâce à la violence, que l'amour même est violence puisqu'il oblige souvent l'être aimé à accepter sa propre imperfection.
Irenos : Certes, mais cela n'entraîne pas que la violence soit bonne.
Socrate : Tu parleras tout à l'heure, Irenos, auparavant essayons de mieux comprendre ce que pense notre ami.
Irenos : Je m'efface devant ta sagesse.
Socrate : Pour toi donc, la violence est inévitable dès qu'il y a la vie. Tout être ne peut naître, subsister et courir que moyennant des violences répétées.
Polemos : Exactement.
Socrate : Et comme la vie ne peut être considérée que comme bonne, il faut qu'alors la violence soit bonne aussi.
Polemos : On ne saurait mieux dire.
Socrate : La violence est même plus grande quand l'être est plus grand, c'est pourquoi l'éducation de l'écolier nécessite davantage de violence en intensité et en durée que celle du petit de l'animal.
Polemos : Cela me paraît évident.
Socrate : Cependant on ne saurait approuver la violence du bandit ou de l'assassin.
Polemos : Non certes.
Socrate : Ni celle du tyran et encore moins celle du sophiste qui use de son autorité pour corrompre la jeunesse.
Polemos : La difficulté est de savoir qui corrompt la jeunesse.
Socrate : Tu parles d'or - ô Polemos - c'est pourquoi le juge doit être affamé de vérité, mais doit-il pour autant réfuter la violence ?
Polemos : Je ne le pense pas.
Socrate : Et peut-on considérer qu'il n'est plus dans le droit chemin s'il use de violence pour mettre l'assassin ou le brigand en prison, voire pour leur ôter la vie ?
Polemos : Je ne le pense pas.
Irenos : Puisses-tu excuser ma hardiesse -ô Socrate - mais il ne s'agit plus de violence mais d'emploi de la force.
Polemos : Simple question de mots.
Socrate : Tu ne dois pas prendre cela à la légère - ô Polemos - car ce n'est qu'avec le langage que l'on peut espérer chercher et trouver la vérité entre amis. Il faut donc chercher le sens exact des mots que l'on emploie.
Irenos et Polemos : Nous sommes tout à fait de cet avis.
Socrate : Il y a près de moi un jeune homme qui vient d'arriver et qui me semble avoir l'intelligence aussi grande que son visage est beau. Il a nom Plaitonos ou Pléston, je ne sais pas encore très bien mais je vous propose de lui confier la mission d'aller chercher le sens exact du mot violence…. Viens ici !
Le jeune homme : J'arrive ô mon beau maître !
Socrate : Les deux amis que voici ont quelque différend sur la nature, l'utilité voire la nécessité de la violence mais il se peut qu'ils n'entendent pas le mot de la même manière. Je te prie donc- mon jeune compagnon - de t'en aller consulter quelque Pythie afin de connaître le désir des dieux sur la signification de ce mot. Je te laisse le choix de la prêtresse, veille seulement à te hâter car nous brûlons du désir d'enrichir notre savoir.
Le jeune homme : J'y cours, ô mon beau maître…
Socrate : Voici que notre jeune ami au pied léger vole vers quelque grotte sans que, cher Polemos, nous ne lui ayons fait nulle violence !
Polemos : Je le reconnais bien volontiers.
Socrate : En attendant le verdict de la Pythie, j'aimerais quand même examiner avec toi, Irenos, les aspects sous lesquels le commun des mortels voit la violence.
Irenos : J'y consens bien volontiers.
Socrate : Il faut reconnaître que ce mot n'est pas toujours pris en mauvaise part.
Irenos : Voyons cela.
Socrate : On parle d'un orage violent ou d'une pluie violente pour désigner simplement des éléments en colère.
Irenos : C'est juste, mais il s'agit de choses matérielles… et chez les hommes la colère est définie comme une folie passagère, c'est-à-dire comme quelque chose de mauvais.
Socrate : Tu dis vrai, voyons donc plus avant. Lorsqu'on dit que l'ennemi a attaqué avec violence ou, au contraire qu'on l'a repoussé grâce à une violente contre-attaque, doit-on considérer que l'ennemi s'est mal conduit ou bien - tout au contraire - qu'il a agi conformément à sa nature ? La violence n'est-elle pas alors bien naturelle ?
Irenos : En effet.
Socrate : Le soldat qui empêche une troupe de bandits de terroriser les paysans n'utilise-t-il pas la violence ? Peut-on le lui reprocher ?
Irenos : Non, certes.
Socrate : Les lois ne font-elles pas violence à celui qui voudrait les enfreindre ? Lorsque le magistrat prononce une sentence, ne contraint elle point celui qui la reçoit, indépendamment du déplaisir qu'il pourrait en avoir ?
Irenos : C'est certain.
Socrate : Et celui qui a reçu la sentence ne doit-il pas s'y conformer ? Pour ma part je trouverai que c'est un mal de s'y soustraire et je ne pense jamais m'abaisser à cela, même au prix de ma propre vie.
Irenos : Tu es grand, ô Socrate.
Socrate : Il en est de même du père qui corrige son enfant. Mais ne dit-on pas lorsqu'on se force à accomplir quelque acte vertueux, ou que l'on s'exerce à maîtriser son corps, que l'on se fait violence ?
Irenos : C'est vrai.
Socrate : Et lequel est le plus proche de la dignité de l'homme, celui qui ayant déjà bu tend encore sa coupe ou celui qui, estimant que la mesure doit être gardée en toutes choses, se fait violence et refuse les services de l'échanson ?
Irenos : Mais c'est là - ô Socrate - une violence envers soi-même, non envers quelqu'un d'autre,
Socrate : Tu dis vrai, mais il paraît difficile d'admettre qu'une chose bonne pour soi soit mauvaise pour autrui, ce serait une exception Hapax legomenon -Or nous avons vu d'autres violences qui étaient bonnes… ...mais j'aperçois notre jeune coursier. Ne nous laisse pas dans l'attente plus longtemps, mon jeune ami et dis-nous vite quelle prêtresse tu as visitée et quel fut son message.
A SUIVRE...
Commentaire